Métabolisme et expression des gènes

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Thérapies

Nous avons donc vu qu’il existe une multitude de types de cancers, chacun dépendant du type cellulaire affecté et des bouleversements génétiques qui y sont associés. Ainsi, nous allons à présent voir que pour combattre cette maladie, l’Homme a développé une multitude d’approches thérapeutiques, le plus souvent utilisées en combinaisons.

Thérapies « classiques »

L’évolution des thérapies s’est faite de manière historique, au fur et à mesure des découvertes faites sur les cancers. En effet, comme nous allons le voir, les thérapies sont imaginées en fonction de l’état de l’art.

Actes chirurgicaux

Les premières techniques étaient donc chirurgicales, et ce sont toujours elles qui sont pratiquées en première intention sur les tumeurs solides. La chirurgie a pour but de retirer tout ou partie de la tumeur, selon sa taille, son accessibilité et sa proximité vis-à-vis d’autres organes. Elle peut aussi être pratiquée pour soulager certains symptômes (pression, douleur). Cependant, ce n’est pas une option envisageable pour les cancers métastasés et les cancers liquides (leucémies).

Thérapies par irradiation

La découverte de l’instabilité génomique des cellules cancéreuses a donné naissance à des thérapies par radiation qui ont pour but d’endommager l’ADN des cellules. Elle peut être externe : une machine envoie des radiations de façon précise sur les cellules cancéreuses et selon différents angles. Elle peut également être interne, sous forme solide ou liquide. Une source radioactive solide est placée en contact avec la tumeur (curiethérapie), il s’agit donc d’un traitement local comme la radiothérapie externe. Une source radioactive liquide peut également être utilisée par injection, affectant le corps entier, mais préférentiellement les cellules cancéreuses dont l’ADN est instable. On parle de thérapie systémique. Les thérapies par irradiation sont souvent utilisées en combinaison avec d’autres thérapies, notamment chirurgicales.

Chimiothérapie

Etant donné que les cellules cancéreuses se développent très rapidement, des thérapies ciblant spécifiquement les cellules prolifératives ont été mises en place. La chimiothérapie peut être utilisée seule ou de façon combinatoire, selon l’état de santé du patient et du type de cancer. Utilisée avant une chirurgie, elle permet de réduire la taille de la tumeur avant une opération, tandis qu’utilisée après une chirurgie, elle permet d’éliminer d’éventuelles traces de cellules cancéreuses sur le site chirurgical ou des métastases. Cependant, la chimiothérapie va également affecter les cellules saines se divisant rapidement, causant de forts effets secondaires (fatigue extrême, chute de cheveux, …).

Thérapies ciblées

Les années 2000 ont vu l’apparition des premières thérapies ciblées, dans le but de pouvoir traiter de façon plus fine et efficace les cancers, tout en limitant les effets secondaires des radio- ou chimiothérapies. Le principe d’une thérapie ciblée est de contrecarrer l’effet d’une protéine spécifique préalablement identifiée et contrôlant la croissance, la division cellulaire ou encore le caractère invasif des cellules cancéreuses. C’est donc la caractérisation moléculaire des différents types de cancers qui a permis cette avancée (gènes, protéines). Pour cela, des cellules cancéreuses sont prélevées au patient et la présence de ces biomarqueurs est évaluée en laboratoire. Le traitement du patient pourra ainsi être adapté selon la nature des biomarqueurs identifiés : on parle de thérapie ciblée.
La plupart des thérapies ciblées se retrouvent sous la forme d’anticorps monoclonaux ou de petites molécules (drogues) ciblant spécifiquement une protéine. Plus récemment, des approches de thérapie génique ou de vaccins ont également fait leurs preuves.
Les anticorps monoclonaux sont fabriqués en laboratoire et produits par des cellules clonales identiques (bactérie, levure ou cellule de mammifère). Pour ce faire, ces cellules sont exposées à une protéine cible pour déclencher l’équivalent d’une réaction immunitaire et la production d’anticorps spécifiques contre cette protéine est purifiée. Ils permettent essentiellement de traiter des maladies auto-immunes et certains cancers. Dans ce dernier cas, ils peuvent par exemple bloquer la prolifération cellulaire ou signaler les cellules cancéreuses au système immunitaire en se fixant à des récepteurs membranaires, ou neutraliser des facteurs de croissance extracellulaires. On peut également les conjuguer à d’autres molécules de chimiothérapie ou radioactives, pour délivrer le traitement de façon plus spécifique et au plus proche de la tumeur (augmentation des doses, diminution des effets secondaires). Tout comme les autres traitements, on peut utiliser des anticorps monoclonaux en combinaison avec d’autres approches (National Cancer Institute, 2017).
Les petites molécules possèdent un faible poids moléculaire (< 1kDa) leur permettant de pénétrer à l’intérieur des cellules pour y cibler une protéine spécifique (Nwibo et al. 2015). La plupart de ces molécules ont pour but d’inactiver des kinases ou des voies métaboliques. D’autres peuvent cibler le protéasome, déclencher l’apoptose ou inhiber les mécanismes de réparation de l’ADN (Figure 8, Lee et al. 2018).
Les vaccins anticancéreux thérapeutiques ont pour but de déclencher une réaction immunitaire antitumorale. Ils peuvent être générés de façon patient-spécifique à partir de cellules cancéreuses du patient pour diriger cette réponse immunitaire de façon très précise, ou bien en induisant une réponse immunitaire globale qui aurait un effet anti-cancéreux.
Les thérapies géniques consistent quant à elle à tenter d’introduire du matériel génétique (ADN ou ARN) dans les cellules cancéreuses pour les détruire ou restreindre leur croissance. Par exemple un gène muté peut être remplacé par sa version saine, ou encore réprimer l’expression d’un gène donné grâce à des petits ARN interférents (siRNA) (Sadelain 2016).
Intéressons-nous maintenant aux principales thérapies existant pour traiter le mélanome, notre cancer d’intérêt.

Thérapies ciblées et mélanome

Comme évoqué précédemment, les principales altérations génétiques détectées dans les mélanomes concernent des gènes des voies de signalisation MAPK et PI3K, et en particulier le gène BRAF, retrouvé muté dans plus de la moitié des cas de mélanome. Des thérapies ciblées contre ces protéines ont donc vu le jour.
Le premier inhibiteur de BRAFV600 approuvé sur le marché est le vémurafénib, capable de bloquer son activité sérine/thréonine kinase, et obtenant un taux de réponse de près de 50%, là où le traitement de référence de l’époque (dacarbazine) en obtenait un de 5% seulement (Chapman et al. 2011). Une autre molécule, le dabrafénib, permet d’obtenir des résultats similaires (Hauschild et al. 2012), mais avec des effets secondaires réduits. Plus récemment, l’encorafénib a reçu une autorisation de mise sur le marché, préconisé pour le traitement du cancer colorectal métastatique portant la mutation BRAFV600.
Dans certains cas, la tumeur se trouve dans un micro-environnement riche en facteurs de croissance, et la désactivation de BRAFV600 n’a que peu d’effet. Ainsi, des inhibiteurs de MEK, directement en aval de BRAF dans la voie de signalisation MAPK, ont été développés. Le tramétinib et le cobimétinib ont été approuvés pour le traitement du mélanome métastatique 26 en 2013 et 2015, respectivement. Le cobimétinib se lie préférentiellement aux formes phosphorylées de MEK (mais 100 fois plus à MEK1 qu’à MEK2), tandis que le tramétinib se lie aux formes non-phosphorylées de MEK1 et MEK2 sans prévalence (Roskoski 2017). Dans les deux cas, l’activation de MEK1 et/ou de sa forme phosphorylée est réduite, inhibant de ce fait la phosphorylation en aval de ERK, et donc la survie et la prolifération des cellules cancéreuses.

Limites des thérapies actuelles

Comme nous l’avons vu, l’Homme a développé ces dernières décennies une multitude de thérapies ciblées pour combattre tous types de cancers et parvenant parfois à éradiquer toute trace de cellules cancéreuses, même métastasées. Pour cela, des molécules ciblant les différentes caractéristiques clés des cancers ont été développées au cours des 20 dernières années (Figure 9). Mais toutes ces stratégies ont un point faible en commun : chez de nombreux patients, leur effet finit par s’estomper, car les cellules cancéreuses y deviennent résistantes

Résistance aux thérapies ciblées

Lorsque des cellules cancéreuses résistent aux effets de thérapies ciblées, elles se remettent à proliférer et reforment des tumeurs : c’est la rechute. Etudions à présent ces mécanismes de résistance et quelles approches sont employées pour les contourner, avec un focus sur le cas du mélanome.

Provenance de la résistance

Théorie des mutations somatiques

Il est clairement établi aujourd’hui que la résistance aux thérapies provient de l’hétérogénéité intra-tumorale (Gerlinger et al. 2012). Pendant longtemps, il a été considéré que la résurgence d’un cancer provenait uniquement de clones génétiquement résistants possédant des mutations aléatoires leur permettant de survivre à la thérapie, avant même que celle-ci ne soit mise en place (Ding et al. 2012, Figure 10). En cancérologie, ce dogme qu’est la théorie des mutations somatiques (TMS) est assez peu contesté et possède de fervent défenseurs (Robert 2022).
Figure 10: Modèle selon lequel l’apparition d’une population cancéreuse résistante se ferait par sélection Darwinienne d’un clone génétiquement résistant.
Cette hypothèse a des implications cliniques peu réjouissantes, car cela implique que toute tumeur peut contenir des clones résistants, ce qui signifie qu’il faudrait prendre en compte cette information pour adapter le traitement de chaque patient. De plus, une tumeur comporte en moyenne un milliard de cellules au moment de son diagnostic (Diaz et al. 2012), et les erreurs de séquençage étant de l’ordre d’une base sur mille, il n’est donc pas possible d’avoir une sensibilité inférieure à 0.1% de la fraction allélique pour détecter d’éventuelles mutations au sein d’un échantillon de biopsie tumorale. Récemment, les techniques de séquençage en cellule unique ont permis de lever cette barrière et permettent aujourd’hui l’analyse de plusieurs millions de clones, et remettent également en cause la TMS.

Cellules persistantes

Des études ont en effet montré de cette manière que la résistance proviendrait bien de clones présents dans la population de cellules cancéreuses de départ (Bhang et al. 2015). Cependant, il a été observé lors de phases de rechutes que les cellules cancéreuses n’arboraient pas forcément de nouvelles mutations permettant d’expliquer ce phénomène, suggérant qu’elles avaient survécu au traitement d’une autre manière, et on s’intéresse de plus en plus à cette population cellulaire depuis quelques années. Ces cellules sont souvent regroupées en deux catégories : les cellules tolérantes, qui semblent moins sensibles que les autres à la thérapie ciblée, et les cellules persistantes, qui sont dans un état de dormance, ce qui leur permet d’échapper à l’apoptose induite par le traitement (Swayden et al. 2020). Nous emploierons le terme de « cellule persistante » par la suite.
Dans un premier temps, il a été suggéré que des clones résistants émergeaient de ces cellules persistantes, via l’acquisition de nouvelles mutations (Ramirez et al. 2016). Cependant, on s’est rendu compte que la situation était plus complexe, puisque des mécanismes non-génétiques associés à la persistance ont été découverts dans plusieurs types de cancers (Shaffer et al. 2017; Bell et al. 2019).
Qu’elle soit d’ordre génétique ou non, la résistance semble donc émerger d’une sous-population clonale. De là deux hypothèses peuvent être formulées : soit la thérapie sélectionne de façon Darwinienne des clones qui seraient dans un état stochastique leur étant favorable face au traitement, soit la thérapie induit de façon Lamarckienne l’apparition de clones résistants (Figure 11). Dans les deux cas, la rechute passe par la génération de cellules persistantes résistant au traitement sans acquérir de nouvelles mutations.
Figure 11 : Schéma décrivant les possibles modes d’apparition de cellules persistantes finissant par développer des mutations ou non. Dans un premier cas, la thérapie sélectionnerait des clones se trouvant dans un état particulier de façon Darwinienne (en haut). De façon alternative et complémentaire, on peut également envisager que la thérapie induirait l’apparition des cellules persistantes de façon Lamarckienne (en bas).
Le concept de cellule persistante n’est pas tout récent puisqu’il a été observé il y a près de 80 ans, lorsque des sous-populations bactériennes parvenaient à survivre à des traitements antibiotiques (Hobby et al. 1942; Bigger 1944).
Avec l’essor des analyses -omiques en cellule unique de ces dernières années, de nombreuses études ont récemment été menées pour caractériser ces sous-populations persistantes, et la notion de cellule persistante a été définie. Il s’agit de cellules capables de survivre à des traitements sans pour autant tirer cette résistance d’altérations génétiques, avec un cycle cellulaire à l’arrêt ou fortement ralenti (Balaban et al. 2019). On parle de persistance à l’échelle de cellules uniques ou d’une sous-population cellulaire, se distinguant ainsi du phénomène de tolérance, concernant lui la totalité d’une population cellulaire.
Ce phénomène de persistance est également réversible, si bien que des cellules persistantes ayant survécu à un traitement redonneront une population semblable à celle de départ en l’absence de traitement, et cette population se comportera de façon similaire en cas de nouveau traitement identique (Harms et al. 2016, Figure 12).
De nombreux mécanismes expliquant la persistance des cellules cancéreuses ont été découverts ces dernières années. Ils peuvent être d’ordre épigénétique, transcriptionnel, traductionnel ou encore métabolique et se cumuler entre eux, afin de servir quatre grands axes stratégiques au niveau cellulaire, à savoir : réduire la prolifération cellulaire, adapter le métabolisme cellulaire, détourner le micro-environnement ou encore changer d’identité cellulaire (Shen et al. 2020).
Pour résumer, l’apparition de cellules cancéreuses persistantes face à un traitement pourrait se produire de deux façons différentes. Tout d’abord, on peut imaginer que de telles cellules préexistent déjà au sein d’une population globale de cellules cancéreuses, et que le traitement anti-cancéreux ne fait que les sélectionner de façon Darwinienne. D’un autre côté, il est possible que le traitement lui-même soit en partie responsable de l’apparition de clones persistants, via une induction Lamarckienne des cellules (Pisco et al. 2013) et c’est dans cette optique que se place mon projet de thèse.

Table des matières

Partie 1 : Résistance aux thérapies
1.1 – Le cancer
1.1.1 – Généralités
1.1.2 – Initiation
1.1.3 – Progression tumorale
1.2 – Thérapies
1.2.1 – Thérapies « classiques »
1.3 – Résistance aux thérapies ciblées
1.3.1 – Provenance de la résistance
1.3.2 – Résistance et mélanome
1.3.3 – Conclusion
Partie 2 : Métabolisme et expression des gènes
2.1 – « Programmes génétiques » et expression des gènes
2.1.1 – Les différents niveaux de régulation de l’expression génique
2.1.2 – Programmes génétiques : une réalité ?
2.2 – Métabolisme cellulaire et expression des gènes
2.2.1 – Métabolisme cellulaire et expression des gènes ?
2.2.2 – Métabolisme cellulaire et épigénétique
2.2.3 – Métabolisme cellulaire, traduction et TDD
2.2.4 – Vers une vision intégrée des différentes activités cellulaires
2.2.5 – Conclusion
Partie 3 : Objectifs
Partie 4 : Résultats (article scientifique)
4.1 – Résumé
4.2 – Abstract
4.3 – Introduction
4.4 – Results
4.5 – Discussion
4.6 – Materials and Methods
4.7 – References
4.8 – Figure legends
4.9 – Supplementary figures legends
Partie 5 : Discussion et perspectives
5.1 – Origine de la baisse de biodisponibilité d’acides aminés induite par les inhibiteurs MAPK
5.2 – TDD et épissage alternatif
5.3 – Biais de composition local VS global
5.4 – La thérapie anticancéreuse induit-elle l’apparition des cellules persistantes et la résistance ?
5.5 – Effet spécifique de la thérapie ou réaction générale à un stress ?
5.6 – Conclusion
Références bibliographiques

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