Mise en place d’un projet de Tutorat

Qui a déjà eu l’occasion d’entrer dans une salle des maîtres aura vraisemblablement entendu parler de motivation. Liée à un élève ou à une classe entière, la motivation – ou plutôt la démotivation – semble en effet être une préoccupation importante pour les enseignants, comme en témoigne, par exemple, l’organisation en mars 2015 d’une journée pédagogique sur ce thème au sein du Collège des Bergières. S’ils ont démontré que la motivation scolaire subit une baisse à l’adolescence (cf. chap. 1.2), Jean-Luc Gurtner et alii soulignent également que « de même qu’il n’existe aucune activité motivante pour tous, il n’existe pas d’individu que rien ne va motiver » (Gurtner, 2001, p.2). Persuadés par la véracité de cette affirmation, nous avons souhaité analyser la motivation de certains de nos élèves et comprendre si un programme de tutorat pouvait contrecarrer ladite chute de motivation. L’idée du tutorat nous est venue à la lecture des recherches de Zoltán Dörnyei et nous a séduite pour diverses raisons : premièrement il s’agit d’une structure de travail inédite au sein de nos établissements (le Collège des Bergières à Lausanne et celui de Montreux-Ouest à Clarens) et peu exploitée au niveau de l’école obligatoire, deuxièmement le programme utilise les ressources relativement peu utilisées que sont les élèves eux-mêmes, troisièmement le tutorat nous semblait être profitable cognitivement et socialement pour l’ensemble des participants et finalement cela nous permettait de nous mettre, en tant qu’enseignants, dans un nouveau rôle, un rôle plus proche de l’accompagnement que de l’enseignement. Le soutien par les pairs, tel qu’il a été mis en place dans un de nos établissements, a permis à cinq élèves de 9H de niveau 1 d’allemand de collaborer avec des élèves de 11H. Les tutorés et leurs tuteurs ont été sélectionnés sur une base de volontariat, souhaitant améliorer leurs compétences pour les plus jeunes, et revoir certaines bases tout en aidant un plus jeune pour les élèves de 11H. Etant donné le nombre limité d’individus participant au projet (cinq tutorés et cinq tuteurs), nous ne pouvons espérer présenter une étude statistiquement valide. Cependant en associant diverses méthodes de recherche, à savoir des questionnaires pré- et post-test incluant un groupe contrôle (les élèves ne souhaitant pas participer au tutorat), des observations libres et des entretiens, nous espérons pouvoir dégager de notre recherche des tendances permettant d’évaluer la pertinence du tutorat comme un outil de travail motivant l’apprentissage de l’allemand

Vers une définition de la motivation

« There are three things to remember about education. The first one is motivation. The second one is motivation. The third one is motivation » Terrel Bell

Si l’on se fie aux mots du secrétaire à l’Education des Etats-Unis (1981-1985), la pratique de l’enseignement est intimement liée à la motivation. Son importance est sans doute indéniable, mais cette citation est sûrement quelque peu excessive. Pour un bon enseignement, la maîtrise scientifique, la discipline, l’écoute ou encore la disponibilité nous semblent également primordiales. Cependant les mots de Bell soulignent la valeur de la motivation, cette force qui « nous déplace », selon l’étymologie latine de ce terme (Vianin, 2006). Pierre Vianin la compare à un moteur, lequel assure « en plus du démarrage, la direction du véhicule et la persévérance vers l’objectif qui permet de surmonter tous les obstacles » (Vianin, 2006, p.21). Définir la motivation n’est pas chose aisée, d’autant plus que, selon Jean-Luc Gurtner et alii, « sa nature fait débat dans la littérature spécialisée » (Gurtner, 2006, p.22). Une des difficultés du travail de définition est liée au fait que la motivation «varie constamment en fonction de plusieurs facteurs externes » (Viau, 2009, p.12), «un processus complexe en évolution constante » (Gurtner, 2006, p.22). D’autre part, la motivation est loin d’être une caractéristique unitaire. En effet, elle résulte des interactions entre les comportements de l’individu, ses caractéristiques personnelles (émotions, croyances et connaissances mais aussi trajectoire et vécu scolaire) et l’environnement humain et physique dans lequel il évolue. La motivation est donc multidimensionnelle (Gurtner, 2006). Finalement, la motivation meut l’individu à divers moments puisqu’elle « a ses origines dans les perceptions qu’un élève a de lui-même et de son environnement et qui l’incite à choisir une activité, à s’y engager et à persévérer dans son accomplissement afin d’atteindre un but» (Viau 2009, p.12). Si nombre de recherches décrivent la motivation comme l’intensité, la direction et la persistance du comportement ou de l’action, certaines comme celle de Carole Ames proposent de nuancer ces termes. En effet elle suggère d’examiner non seulement la persistance dans l’activité mais également la qualité de cet engagement. De même il s’agit de chercher derrière le choix menant à une certaine action, les raisons ayant pu motiver ce choix. Enfin, elle soumet l’idée que l’intensité de la motivation est certes importante mais qu’il est avant tout nécessaire d’en connaître la nature : est-elle positive ou négative (Ames, 1990) ? Si le concept de motivation semble à première vue univoque, nous percevons au travers des mots de Carole Ames que c’est loin d’être le cas. En effet, le terme de motivation regroupe un ensemble de variables de nature différente (cf. Vianin, 2006). Dans les prochains paragraphes, nous chercherons à approfondir la notion de motivation en en distinguant les différents types. Richard Ryan et Edward Deci discernent la motivation intrinsèque de la motivation extrinsèque. La première est définie comme les forces qui poussent à effectuer une activité pour la satisfaction, l’amusement ou la stimulation qui peuvent en résulter. Notons que la motivation intrinsèque est liée à un type d’activité ou une matière et n’est donc pas un état général. Ryan et Deci soulignent encore que si la motivation intrinsèque n’est pas la seule forme de motivation, elle est répandue et importante. La motivation extrinsèque est quant à elle liée à la volonté d’éviter une conséquence négative ou d’obtenir un effet positif («a separable outcome ») (Ryan & Deci, 2000, p.55). L’activité a donc ici une valeur instrumentale. Les deux chercheurs présentent l’exemple d’un élève qui fait ses devoirs par peur des sanctions parentales. Celui-ci est motivé extrinsèquement dans la mesure où il s’attelle à la tâche afin d’échapper à une issue défavorable. Parallèlement, un étudiant faisant soigneusement son travail parce qu’il estime que cela sera bénéfique à sa future carrière, est également extrinsèquement motivé dans la mesure où il espère tirer profit de son action (Ryan & Deci, 2000).

A cette distinction s’ajoute celle énoncée par Carole Ames à savoir que la motivation peut être positive ou négative. Comme l’écrit Vianin, « on parlera de motivation positive quand le sujet cherche à réaliser une performance (sportive, cognitive, scolaire, …) ou à obtenir une satisfaction. Elle se manifeste en général par une attente positive et est marquée par un espoir de réussite. A l’opposé, la motivation négative procède de la peur. Elle cherche à éviter un comportement désagréable ou à échapper à un danger. Elle s’exprime par la crainte de l’échec » (Vianin, 2006, p.34). La nature de la motivation (positive ou négative) aura un impact sur la perception du résultat de l’action. En effet, selon Perrez, Minsel et Wimmer (1990, in Vianin, 2006, p.34), « les individus motivés par la réussite ont tendance à attribuer leurs réussites à leurs propres capacités et leurs échecs à un manque de travail. En revanche, les individus motivés par l’échec ont tendance à imputer les premières au hasard et les seconds au fait qu’ils sont peu doués ». Zoltán Dörnyei, chercheur spécialisé et reconnu dans l’étude de la motivation en langue seconde, identifie, quant à lui, trois dimensions dans l’apprentissage d’une deuxième langue.

Premièrement, l’élève peut être motivé par le plaisir éprouvé lors de l’apprentissage, on retrouve ici la notion de motivation intrinsèque. Deuxièmement, il peut l’être car il est conscient des bénéfices que peuvent lui apporter la maîtrise de cette langue étrangère. Dans ce cas-là, l’élève sera motivé extrinsèquement. Troisièmement, et c’est là peut-être une particularité de l’apprentissage des langues, l’individu peut souhaiter rejoindre une communauté de locuteurs de la langue-cible. Son apprentissage sera alors guidé par une valeur intégrative (Dörnyei, 2001, p.51). Notons ici que l’intégration peut être perçue de façon métaphorique et qu’il ne s’agit pas forcément d’intégration physique au sein de la culture étrangère (Dörnyei, 2001). Le statut d’une langue en fait, selon Louise Dabène, un objet d’apprentissage plus ou moins estimé et recherché : il a « un effet direct sur les attentes et les attitudes des apprenants, et par conséquent sur leurs conduites d’apprentissage. En fonction de l’image […] de la langue objet, l’apprenant investira plus ou moins d’efforts et d’intérêt dans son acquisition » (Dabène, 1997, pp.22-23). Si l’on s’intéresse à la motivation des élèves face à une langue étrangère, il convient donc de définir le statut porté à la langue seconde (L2). Pour ce faire, Dabène identifie 5 critères d’appréciation : le critère économique, social, culturel, épistémique et affectif. Le premier, le critère économique, est lié à la valorisation ou non de la langue en tant qu’accès ou non au monde du travail. Le second, l’aspect social, pousse à l’apprentissage de la langue étrangère car celle-ci est appréciée pour les possibilités de promotion sociale qu’elle offre. Chaque langue est affectée à un indice de richesse culturelle et esthétique, la maîtriser signifie se rapprocher de ce prestige, on parle alors de critère culturel. Une langue peut être appréciée en fonction des exigences cognitives que l’on attache à son apprentissage, on est poussé, ici, par l’aspect épistémique. Enfin, « il existe à l’égard de certaines langues des préjugés favorables ou défavorables qui tiennent aux aléas de l’histoire, à leur émergence sur la scène internationale et aux relations harmonieuses ou conflictuelles entres les pays où on les parle », il s’agit ici du critère affectif (Dabène, 1997, p.21).

La motivation est un concept complexe et intimement lié à l’individu. Elle peut être liée autant à la matière à étudier, qu’à la perception et l’estime de soi de l’élève, tout en touchant aux perspectives d’avenir de l’individu et à la valeur portée à la matière. Finalement, nous avons défini la motivation comme un processus en évolution constante, elle n’est donc pas stable . En conséquence, elle est sujette à l’évolution de l’individu mais également aux tâches mises en place par les enseignants ou aux rencontres avec la langue-cible, avec des locuteurs de celle-ci ou encore avec des modèles.

Le tutorat par les pairs

Au travers plusieurs études, Dörnyei a pu observer l’importance du comportement de l’enseignant sur la motivation des élèves. Son enthousiasme, ses attentes, son engagement auprès des élèves tout comme sa relation avec eux et leurs parents sont des facteurs influents. Cependant, Tim Murphey souligne que les enseignants ne sont pas les modèles idéaux pour les élèves dans la mesure où ils seraient trop différents tant au niveau social qu’au niveau de l’âge (cf. Dörnyei, 2001). Il conseille alors le recours à des pairs : « near peer role models are perhaps more psychologically attractive to us in that their excellence seems more possible and easy to see and replicate because they are in some ways already very similar to us, or within our zone of proximal development » (Murphey, 1998, p.201-202). Cette idée n’est pas nouvelle, ainsi Confucius affirmait au Vème siècle avant J.-C. que l’ « on apprend mieux de ses pairs que de ses maîtres » (Baudrit, 2000, p.127). Le maître romain Quintilien (1er siècle après J.-C.) soutenait également que « celui qui vient d’apprendre était le meilleur des enseignants, et qu’il était l’un des mieux placés pour rendre l’enseignement plus humain, plus moral, plus pratique, et plus profond » (Baudrit, 2000, p.127). Si ces citations témoignent de la prise de conscience antique de la ressource que peuvent être les pairs dans l’instruction, elles ne révèlent pas de mises en pratique à grande échelle. Selon Alain Baudrit, il faudra attendre les 16 et 17èmes siècles et la promotion de l’éducation populaire pour que l’instruction par les pairs ne se développe. Ainsi la nécessité d’un enseignement de masse justifia l’emploi d’élèves pour la formation de plus jeunes. L’effectif des classes (jusqu’à une centaine des élèves) poussa les enseignants à utiliser les meilleurs éléments pour s’occuper des élèves plus faibles. A la même période, une tentative de généralisation du système tutorial eut lieu en Angleterre avec l’objectif d’alphabétiser le plus grand nombre d’élèves à moindre coût. Si le « monitoral system » connaît un vif succès jusqu’au milieu du 19ème siècle, il s’essouffle pour diverses raisons : premièrement les enseignants vieillissants sont accusés de trop diriger les tuteurs et de ne pas assez enseigner, deuxièmement la loi Guizot incite les communes françaises à avoir une école chacune, les effectifs se faisant plus restreints, il n’est plus nécessaire de faire recours à des tuteurs et, troisièmement, un doute s’instaure sur la formation des moniteurs et l’on se demande s’il n’y a pas le risque que ceux-ci induisent en erreur les plus faibles. Après un siècle d’oubli, le tutorat renaît aux Etats-Unis. Il est principalement utilisé pour l’enseignement à la population noire qui semble peiner à s’intégrer, s’intéresser et comprendre. Dans les années soixante, le tutorat est mis au service de campagnes d’alphabétisation visant à lutter contre le chômage, la pauvreté et la délinquance juvénile, Les universités américaines s’intéressent également à ce type de collaboration à cette époque (Baudrit, 2000).

Table des matières

INTRODUCTION GENERALE
1. INTRODUCTION THEORIQUE
1.1. VERS UNE DEFINITION DE LA MOTIVATION
1.2. CHUTE DE LA MOTIVATION
1.3. LE TUTORAT PAR LES PAIRS
1.4. QUESTION DE RECHERCHE
2. ENTRE THEORIE ET PRATIQUE : MISE EN PLACE D’UN PROJET DE TUTORAT
2.1. ELEMENTS THEORIQUES : AGE ET FORMATION DES TUTEURS
2.1.1. LA QUESTION DE L’AGE
2.1.2. LA QUESTION DE LA FORMATION ET DE L’INFORMATION
2.2. NOS CHOIX
2.2.1. LA SELECTION DES TUTEURS
2.2.2. LA SELECTION DES TUTORES
2.2.3. L’INFORMATION A LA PLACE D’UNE FORMATION
2.2.4 SOUTIEN ET SUIVI
2.2.5. TRAVAUX/MATERIAUX
2.2.6. LES ASPECTS LOGISTIQUES
2.3. EVALUATION
3. EVALUATION DU PRODUIT
3.1. METHODE DE RECHERCHE
3.2. POPULATION ET ECHANTILLON
3.3. OPERATIONNALISATION DES VARIABLES
3.4. RESULTATS
3.4.1. PROFIL DES PARTICIPANTS ET NON-PARTICIPANTS
3.4.2. INFLUENCE DU TUTORAT SUR LES MOTIVATIONS
4. EVALUATION DU PROCESSUS
4.1. METHODE DE RECHERCHE
4.2. RESULTATS
4.2.1. DES TUTEURS CREDIBLES
4.2.2. UNE AMBIANCE « SYMPATHIQUE »
4.2.3 DES TACHES ET DES FORMES DE TRAVAIL DIVERSES
4.2.4. UN NOUVEAU REGARD SUR L’ALLEMAND : RAISONS… ET PERSPECTIVES
CONCLUSION

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