Peintures romaines antiques et faussaires. Sources et techniques

« Dévoiler les contrefaçons » Dévoiler les contrefaçons, c’est tenter de répondre à de multiples questions. La première était de savoir où se trouvaient les contrefaçons et comment les repérer. En effet, si quelques contrefaçons de peinture romaine antique étaient connues et bien répertoriées, comme la Muse de Cortone ou le Jupiter et Ganymède, le plus grand nombre d’entre elles étaient cachées ou plus simplement oubliées dans les réserves d’une collection. Ensuite, je voulais connaître les motivations des faussaires et chercher l’origine de l’apparition des contrefaçons de peinture antique. Dans quel contexte historique se plaçait ce phénomène ? Les contrefaçons semblaient s’inscrire dans la réception des peintures murales antiques à une époque donnée et étaient donc à lier à l’histoire des fouilles. Comment les faussaires ont-ils procédé pour duper leurs contemporains ? Se sont-ils fait aider ? Quels matériaux ont-ils employés ? Ont-ils réalisé une fausse patine sur leurs œuvres ? Après la technologie du faux, il était nécessaire d’étudier son iconographie. Quels modèles ont inspiré les faussaires ? Ces derniers obéissaient-ils à une mode? Je souhaitais comprendre aussi ce qui a contribué au succès des contrefaçons. Pourquoi les antiquaires et les collectionneurs s’y sont-ils laissé prendre ? Est-ce que l’évolution du collectionnisme, le développement du Grand Tour et l’engouement pour les peintures antiques pouvaient expliquer l’apparition d’un grand nombre de faux à Rome au milieu du XVIIIe siècle ? Etait-ce la première fois que de fausses peintures antiques étaient réalisés ou bien existait-il des précédents ? Il me semblait important d’essayer de déterminer l’origine de ce phénomène. L’histoire de Giuseppe Guerra m’intéressait plus précisément, car lors de mes travaux précédents, j’avais remarqué que les informations sur ce faussaire données par la littératures étaient peu nombreuses et reprises d’un auteur à l’autre. Seuls deux auteurs apportaient de nouveaux éléments : dans un article daté de 1921, Giuseppe Consoli-Fiego synthétisa un certain nombre d’informations sur le faussaire donnés par des documents conservés aux archives de Naples ; dans les années 1980 Mariette De Vos étudia deux peintures du faussaire et les compara avec les mémoires du père Piaggio, un contemporain de Guerra, qui décrit avec une certaine précision les agissements du faussaire. Il restait toutefois quelques incertitudes sur sa biographie, notamment sur sa jeunesse et sur sa formation de peintre. J’ai donc tenté de retrouver un grand nombre de contrefaçons de peinture antique, et j’ai cherché à repérer celles qui pouvaient être de la main de Guerra. Pour cela, il était tout d’abord nécessaire d’établir une définition précise de la contrefaçon qui soit cohérente avec la période considérée et avec les pratiques, courantes alors, des artistes, res restaurateurs et des collectionneurs. C’est d’une part dans la littérature contemporaine du faussaire et dans les informations qu’elle donne sur sa technique, d’autre part dans ma propre observation des œuvres et de leur technologie, voire dans les analyses de laboratoire, que des réponses pourraient être apportées.

Définition de la contrefaçon Selon les définitions modernes, le terme de contrefaçon est à distinguer de ceux de « réplique », de « copie », « d’imitation » et de « pastiche». La définition du Robert indique qu’une contrefaçon est une « imitation frauduleuse » et qu’un faux est une « pièce artistique ou rare qui est fausse, soit par copie ou contrefaçon frauduleuse d’un original, soi par fabrication dans le style des œuvres authentiques ». L’Encyclopedia Universalis insiste sur le fait qu’un faux en art est une œuvre réalisée avec une intention délictueuse ». En effet, à l’inverse d’une copie ou d’une imitation, l’artiste cherche à faire croire que son œuvre est authentique et pour cela il cherche à tromper le spectateur sur son origine supposée par le recours à différents truchements . Outre les œuvres que nous venons de définir, peuvent être regardées comme contrefaçons également celles qui n’ont pas été réalisées avec une intention délictueuse, mais dont l’histoire matérielle a été détournée par un collectionneur ou un marchand désirant la faire passer pour autre (pour antique, par exemple). Nous appellerons ces œuvres des contrefaçons par « destination », car elles ne sont pas nées fausses, elles le sont devenues.

La copie, la réplique, l’imitation et le pastiche ne peuvent être considérés comme faux si leur origine est donnée clairement. Une copie est la reproduction d’une œuvre, dans le même médium que celle-ci, ou dans un autre médium (copie sur papier d’une peinture sur toile, par exemple) . Une réplique est la reproduction d’une œuvre par l’artiste lui-même. L’imitation, ou pastiche, est réalisée avec un style n’appartenant plus à l’époque où elle est réalisée. On a ainsi des œuvres « à l’antique », ou « pseudo-Renaissance ».

Il existe souvent une confusion entre tous ces termes, confusion parfois entretenue volontairement. Une certaine honte s’attache en effet à posséder un faux, un senso di vergogna, per essere stati vittime di un inganno, comme le dit Paul Eberhard dans l’introduction de son article sur les faux antiques . Le marchand ou le collectionneur préfère vendre une œuvre qu’il sait fausse comme « pseudo-antique », ou « pseudo-Renaissance », faisant passer la contrefaçon pour un pastiche, moins honteux.

Le faux se définit donc par rapport à la notion d’original et d’authenticité, et n’est apparu qu’avec elle, au moment où l’on commence à concevoir les œuvres d’art comme des pièces uniques et non reproductibles. A partir du moment où la non-authenticité d’une contrefaçon est prouvée, celle-ci cesse d’intéresser les historiens et collectionneurs, elle est alors placée dans une réserve, oubliée, voire détruite. La dichotomie entre l’authentique et le faux est souvent assimilée au couple bon/mauvais . En français, une œuvre jugée authentique est parfois qualifiée du terme de « bonne ».

Au XVIIe siècle, la notion d’original n’était pas encore bien définie, et l’on ne parlait pas de contrefaçons, mais de pastiches. Félibien nous en donne la définition : « les tableaux (…qu’) on appelle Pastiches, de l’italien, Pasticci, qui veut dire Patez: parce que de même que les choses différentes qui assaisonnent un pâté, se réduisent à un seul goût; ainsi les faussetés qui composent un Pastiche ne tendent qu’à faire une vérité. Un peintre qui veut tromper de cette sorte, doit avoir dans l’esprit la manière et les principes du Maître dont il veut donner l’idée, afin d’y réduire son ouvrage, soit qu’il y fasse entrer quelque endroit d’un tableau que ce maître aura déjà fait, soit que l’invention étant de lui, il imite avec légèreté, non seulement les touches, mais encore le goût du dessin, et celui du coloris. Il arrive très souvent que le peintre, qui se propose de contrefaire la manière d’un autre, ayant toujours en vue d’imiter ceux qui sont plus habiles que lui, fait de meilleurs tableaux de cette sorte, que s’il produisait de son propre fond » . Le pastiche est donc une contrefaçon, dans laquelle, si l’on s’en tient à la définition de Félibien, l’intention frauduleuse n’entre pas en compte.

Aujourd’hui, le terme de pastiche a gardé le même sens, puisque selon le Robert, il s’agit d’une « œuvre littéraire ou artistique dans laquelle l’auteur a imité la manière, le style d’un maître, par exercice de style ou dans une intention parodique ».

Le terme de contrefaçon tel qu’on le définit aujourd’hui, c’est-à-dire l’imitation frauduleuse d’une œuvre, nommée aussi « faux », n’existait pas au XVIIe et au XVIIIe siècle. Les copies ou imitations d’œuvres d’art réalisées avec une intention délictueuse étaient appelées « supercheries ».

Le faux est caché, puis oublié L’étude des faux se révèle difficile car les œuvres reconnues comme telles ne sont pas ou rarement mentionnées dans les catalogues de collection, et sont encore moins reproduites ; leur existence même peut être complètement occultée dans une collection . Il est donc malaisé de retrouver ces objets qui forment un type d’art à part. Avec le temps, la période à la quelle remonte leur prétendue origine finit, elle-aussi, par être oubliée, l’art dont elles s’inspirent ne pouvant plus être reconnu : dans l’ignorance du contexte dans lequel elles ont été créées, elles sont alors regardées comme des pièces insolites, inclassables . De plus, jusqu’à une période très récente, une œuvre reconnue comme fausse était considérée comme indigne d’être étudiée . Or, les faux sont des témoignages importants de l’histoire du goût, de l’histoire de l’art, de l’archéologie, de l’histoire des fouilles et de l’histoire des collections. Leur étude permet de connaître le contexte de leur fabrication et les événements historiques qui ont entraîné leur apparition.

Table des matières

INTRODUCTION
LEXIQUE
I. Origine de l’intérêt pour les peintures murales antiques
A. Découverte des peintures murales antiques
1. Rome
a) Copies par les artistes
b) Les fouilles au XVIIe siècle
c) Peintures murales antiques dans les collections
2. Premières contrefaçons de peintures antiques : peintures et mosaïque antiques de la collection Barberini
a) La Parque Atropos
b) La Vénus Barberini
c) L’Enlèvement d’Europe
B. Copie et diffusion des peintures murales antiques
1. Copie de peintures antiques
a) Rôle de la copie de peintures antiques
b) La copie de peinture antique à Rome au XVIIe siècle et dans la première moitié du XVIIIe siècle
2. Publications sur les peintures antiques trouvées à Rome
a) Giovan Pietro Bellori
b) Turnbull, A Treatise on Ancient Painting, 1740
c) Caylus
C. Réception des peintures antiques aux XVIIe et XVIIIe siècles
1. Les peintures antiques prises comme modèle dans la peinture moderne aux XVIIe et XVIIIe siècles
a) Peintures à l’huile sur toile
b) Motifs inspirés de la peinture antique dans les peintures murales
2. Le débat sur la restauration des peintures antiques
3. Contrefaçons de peintures antiques
a) Esculape, Sept divinités
b) L’Amour endormi
c) La collection du Docteur Mead
II. Développement de l’intérêt pour les peintures murales antiques à l’extérieur de Rome
A. Nouvelles découvertes de peintures antiques : Herculanum et Pompéi
1. Les fouilles et la dépose des peintures
a) La direction des fouilles : Alcubierre et Venuti
b) La dépose des peintures : Joseph Canart
2. Publications sur les découvertes d’Herculanum
a) Témoignages non-officiels sur les découvertes
b) Le Antichità di Ercolano esposte
3. Le Museo Ercolanese de Portici et son directeur, Camillo Paderni
a) Paderni dessinateur et graveur
b) Paderni, directeur du Musée de Portici
c) Relations avec les voyageurs étrangers et les Britanniques
B. Le Grand Tour
1. Les touristes et leur accueil à Rome et à Naples
a) Personnalités influentes dans le milieu romain
b) Le contrôle du Vatican sur le marché des antiquités
c) La visite des sites romains
2. Réflexion sur l’esthétique de la peinture antique
a) La querelle des Anciens et des Modernes
b) La lecture de l’iconographie des peintures antiques au travers de la littérature antique
C. Accroissement de la production de contrefaçons
1. Peintures antiques en vente à Rome et à Naples
a) Vente clandestine
b) La découverte de la supercherie
c) Giuseppe Guerra
d) Réglementation napolitaine contre le vol
2. Un terrain propice à l’apparition de contrefaçons d’antiquités
a) La Muse de Cortone
b) Jupiter et Ganymède
3. Autres types de contrefaçons
a) Les reproductions d’antiquités
b) Les mosaïques en relief
c) Les bronzes et terres cuites
d) Les inventions des marchands
CONCLUSION

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