Place des ignames cultivées dans la société malgache 

Place des ignames cultivées dans la société malgache 

Perception paysanne des différentes valeurs de l’igname L’igname cultivée, et en particulier D. alata, est considérée comme une culture ancestrale («volin-drazana» ou «zava-manirin’ny ntaolo») par les paysans. Ils savent que cette plante constituait la base de l’alimentation du malgache aux temps anciens. De plus, la large distribution de ces ignames cultivées et l’existence d’un grand nombre de noms vernaculaires plaident pour l’importance de cette plante dans la culture et dans la vie des malgaches. La culture de l’igname selon les paysans est plus contraignante que celle des autres tubercules (manioc, patate douce ou taro dont l’introduction est plus récente) et ils expliquent ainsi le recul de la culture. Ils ont cependant continué à en consommer, en se rabattant surtout sur les ignames sauvages en forêt ou sur les ignames autrefois cultivées qui persistent naturellement dans les champs par l’intermédiaire de leurs bulbilles ou des fragments de tubercules qui n’ont pas pu être déterrés. D’autre part, leur maintien dans les champs, qui correspond à une forme de culture appelée «végéculture», vient aussi du fait que les paysans ont conservé jusqu’à maintenant une pratique héritée des ancêtres, transmise de génération en génération, qui est celle de remettre obligatoirement en terre la tête d’un tubercule qui vient d’être déterré. Cette pratique découlait de l’application d’un «dina» ou pacte social mis en place aux temps des ancêtres et qui sanctionnait celui qui ne le respectait pas. Il faut cependant spécifier que l’accès à ces ignames est libre. Tout le monde peut aller dans un champ et déterrer une igname. La seule contrainte est de reboucher le trou et d’y remettre la tête du tubercule. C’est ainsi que les champs d’ignames, sauf pour quelques exceptions dans l’Est de Madagascar, ont disparu du paysage agricole et que les ignames ne sont plus cultivées que sous forme de quelques pieds plantés le long des clôtures ou dans les jardins de case. Leur culture peut alors être associée à des croyances qui vont être développées plus loin. Lors des enquêtes, il a été constaté que l’igname en tant qu’aliment bénéficie d’un statut variable selon les régions et reflétant ainsi l’importance de cette plante pour la population. D’abord, l’igname cultivée ne représente qu’un produit d’appoint consommé lorsque les autres produits alimentaires viennent à manquer. Elle est de ce fait devenue un aliment peu considéré et représente même chez certains l’aliment du pauvre. Ceci est surtout vrai sur les Hauts- Plateaux malgaches où les conditions de milieu et les conditions sociales ont permis le développement de la culture d’une grande variété d’autres produits facilement accessibles. Par contre dans les zones côtières où l’agriculture de subsistance est beaucoup plus difficile et Ethnobotanique 73 moins variée, l’igname, aussi bien sauvage que cultivée, a gardé ses lettres de noblesse et est toujours prisée par les populations bien qu’elles en cultivent très peu. C’est ainsi que l’igname est l’aliment le plus apprécié pour affronter les durs labeurs des champs ou encore pour la célébration d’évènement familial comme par exemple la cérémonie de mariage à Fanasana de Brickaville pendant laquelle on offre aux invités les ignames cultivées comme Ovibe, Mavondro et Ovy lalaina à la place du riz. Enfin, il faut dire que cette dernière constatation est confortée par le fait que le commerce des ignames cultivées dans les conditions décrites ci-dessus s’observe le long des routes et même sur les marchés, ce qui prouve que pour un certain nombre de malgaches, notamment ceux qui vivent dans les zones côtières, l’igname est toujours un produit recherché pouvant générer des revenus. Des collecteurs sur la côte Est du pays en témoigne car ils peuvent même se rendre auprès des villageois lors des jours de marché pour acheter des ignames qui vont être revendues sur les marchés de grandes villes comme Toamasina. A partir des résultats des enquêtes individuelles, nous avons pu tracer la figure 8 qui montre la perception des gens sur l’importance de l’igname, c’est-à-dire s’ils la considèrent comme un aliment dont on peut plus ou moins se passer. Certaines personnes en effet pensent que ce sont des aliments indispensables dont elles ne peuvent pas s’en passer. D’autres accordent peu d’importance aux ignames et pensent que ne pas en manger ne constitue pas une grosse lacune dans leur alimentation.

Préférence pour les différentes formes d’ignames cultivées selon les perceptions paysannes

Le choix des ignames cultivées par les paysans dépend de plusieurs facteurs. Selon les paysans, la qualité des tubercules n’est pas la même suivant les différentes formes d’igname considérées. En général, les ignames destinées à la consommation sont celles qui produisent un tubercule avec une forme régulière, facile à éplucher et avec une chair moelleuse. C’est le cas de Ovy lava, Ovy lalaina, Ovy tranga, Randromiendaka, Ovy vazaha, Tangôlina, Mavondro, Majôla, Ovy toko, Bemako, Bodoa. Par contre, Ovibe, qui est pourtant le plus consommé et le plus cultivé du fait de sa plasticité écologique qui lui permet de s’adapter à tous les types de milieux, ne répond pas à ces critères. Il en est de même pour Ovy voay et Ovy lohandambo pour lesquelles l’épluchage des tubercules présentant de nombreuses aspérités, produit une quantité importante de déchets et réduit la part comestible à une infime portion du tubercule. C’est d’ailleurs la raison pour laquelle ces deux ignames sont rarement cultivées. Enfin, toujours d’après les enquêtes, les tubercules à chair blanche comme Ovy lava sont meilleurs car ils ne s’oxydent pas comme les tubercules à chair jaune comme Ovibe qui changent de couleur au contact de l’air. V.6 Commercialisation des ignames La vente d’igname a été constatée dans la majorité des régions étudiées, dans les grandes villes comme Antsiranana, Toamasina, Morondava, Brickaville ou Moramanga ou dans tous les villages des principales zones productrices. Elle est pratiquée directement par les Ethnobotanique 76 particuliers ou par l’intermédiaire de collecteurs – notamment à Brickaville – qui écoulent les tubercules auprès des marchands. Cette vente se déroule sur les marchés, au bord des routes ou au porte à porte. Les tubercules peuvent être vendus crus, placés sur des étals ou par terre, à la pièce, en tas et rarement au kilo (Photos 63 et 64). Les tubercules ne sont pas lavés, généralement afin d’assurer leur conservation pendant un délai assez long. La commercialisation des tubercules peut également se faire après cuisson et ce sont des tranches de tubercules épluchés qui sont alors vendus dans des marmites ou des cuvettes, sur les marchés, au bord des routes ou par le biais de marchands ambulants (Photos 65 et 66). Le commerce des ignames cultivées est particulièrement florissant dans la région de Brickaville, notamment les villages de Fanasana, Anivorano ou Razanaka, où, avant 2002, la quantité d’igname vendue pouvait atteindre journalièrement plus de 40 «gony» .

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