Précis de littérature française du XVIIIè siècle

Précis de littérature française du XVIIIè siècle

La littérature française du 18è s’épanouit dans l’Europe tout entière. Toute éducation aristocratique complète doit comporter un voyage à Paris, les échos de la vie littéraire des gazettes sont attendus, les classiques français circulent, les souverains appellent les écrivains comme conseillers (Voltaire, Diderot), la langue aussi se diffuse : en 1714, le traité de Radstadt, avec l’Empereur d’Autriche n’est rédigé qu’en français, signe d’une langue des élites. C’est Maupertuis, un savant et philosophe français qui préside l’académie de Berlin. Les oeuvres du 18è sont donc écrites pour un public international, et pourtant, elles restent le produit d’un microcosme. Beaucoup d’oeuvres, et même parmi les plus grandes, tirent une bonne partie de leur intérêt aux yeux des contemporains des allusions ou des révélations qu’elles contiennent, car l’époque est à la querelle et la vie littéraire tient lieu de spectacle permanent, propre à faire briller les esprits agiles et à faire vendre les livres. Les disputes deviennent un phénomène accepté, mais beaucoup de bons esprits en viennent à craindre que la littérature s’y pulvérise et y perde dignité. On tente une déontologie : La Motte définit ainsi les règles de la « dispute polie » d’où jaillit la lumière, mais cela n’évite pas à la littérature du 18è d’être écartelée entre son ambition de parler pour l’humanité tout entière et sa tentation, régler les comptes des gens de lettres susceptibles. Il ne faut donc pas oublier que les moeurs littéraires féroces qu’on connues Boileau et Racine se développent jusqu’à la Révolution. Les innovations apportées par Diderot à l’imprimerie les rélègueront ensuite au second plan, car les livres rencontreront un public plus vaste. On trouve un écho de ses querelles chez Rousseau bien sûr, comme dans le bannissement de son homonyme Jean-Baptiste Rousseau. Cette agitation est entretenue par la concentration des activités littéraires à Paris, le phénomène s’accentue, malgré Berlin, le château de Cirey et les académies de toutes sortes en Europe. « Paris c’est le monde » dit Marivaux dans La Méprise. A Paris même la vie littéraire se concentre dans quelques cercles privilégiés : Académie française, dont font partie la plupart des philosophes (l’affrontement entre la tradition et l’esprit philosophique y éclatera) ; Académie des inscriptions où ne sont pas que des érudites spécialisés ; les salons : de la duchesse du Maine avant 1740, de Mme Lambert, grande dame aux relations choisie, de Mme de Tencin, à la vie agitée, de Mme Necker, Mme Geoiffrin qui reçoit les princes éclairés et les grands esprits d’Europe, Mmes du Deffand, de Lespinasse et les Choiseul avec leurs habitués mêlé de philosophes, chez les d’Holbach se rassemblent les penseurs les plus radicaux ; d’autres maisons moins prestigieuses : celles des fermiers généraux La Popelinière ou Bertin (caricaturé dans Le neveu de Rameau) ; les cafés, au début du siècle surtout. Sans ces cercles aucune oeuvre ne peut être diffusée : ils sont les moyens d’atteindre l’opinion. D’autres cours ont aussi du prestige, comme celle de Stanislas, ancien roi de Pologne, à Nancy. Le développement des périodiques est remarquable au long du siècle, il est le signe d’une curiosoté pour l’actualité intellectuelle et littéraire : L’année littéraire, par le plus grand critique de l’époque Fréron par exemple. Les « nouvelles à la main », lettres sans caractère personnel, les correspondances ou les loges maçonniques assurent aussi la circulation des idées. Le public a en commun une assez solide culture : des collèges jésuites ou oratoriens, une formation fondée sur l’exaltation de la littérature, la langue latine et française, les écrivains modernes y sont présentés comme modèles, la formation religieuse est solide (histoire sainte –résumé de la Bible – psaumes, dogmes symboles catholiques…). le public populaire n’est guère touché que par des productions faites pour lui telle la Bibliothèque bleue de Troyes, la bourgeoisie est plus accessible aux nouveautés, mais le goût littéraire reste dominé par l’aristocratie qui bénéficie du prestige de la cour et exerce une influence réelle dans les académies. Elle exerce surtout un attrait réel et constant sur les écrivains : Voltaire, Diderot, Beaumarchais… Aristocrates et gens de lettres subissent un attrait mutuel. La noblesse accueille les idées nouvelles avec ouverture par réaction contre le conformisme bourgeois et la routine populaire, elle pratique souvent un scepticisme libertin, et, hostile à l’absolutisme royal, est tentée par les remises en cause du système de pensée officiel. Les écrivains voient dans les châteaux un microcosme où essayer leurs projets philosophiques : Clarens dans La Nouvelle Héloïse, Ferney de Voltaire. Hommes et femmes ont en commun une curiosité vive pour les voyages : l’imagination a été nourrie par Chardin, ou les Lettres édifiantes, récits des Jésuites partis évangéliser la Chine, ou les autres récits dont Prévost rassemble un grand nombre dans Histoire générale des voyages (1746-1759). Les écrivains qui plaisent sont souvent des voyageurs : Prévost, en Angleterre, Voltaire, Montesquieu en Europe, on se passionne pour la circumnavigation de Bougainville après l’expédition de Maupertuis et d’un groupe de savants en Laponie. Aussi les héros de la littérature sont souvent en mouvement. Découvrir des livres étrangers est aussi une façon de voyager : en 1770, Ducis adapte le Hamlet de Shakespeare, la littérature anglaise va se faire une place aux côtés des italiennes et espagnoles très bien connues en général. La culture du public s’enrichit aussi au fil du siècle d’éléments scientifiques de plus en plus importants. Les collèges n’enseignent que la géométrie, mais les parisiens se pressent aux cours publics des Jardins du Roi dans les années 1730. Tout grand écrivain a des compétences en ce domaine : Buffon, grand spécialiste bien sûr, Voltaire, interprète de Newton, Rousseau en botanique, Montesquieu et Diderot en physiologie. Le symbole le plus complet en est l’Encyclopédie où s’opère le rassemblement des connaissances et des interrogations. Le livre est aussi une bonne… marchandise. Sa diffusion rapporte de l’argent aux « libraires », c’est à dire les éditeurs. Il est, depuis 1701, l’objet d’une surveillance attentive en France : un censeur royal accorde un privilège qui assure l’exclusivité au « libraire ». En réalité le système est beaucoup plus souple : une « permission simple » peut suffire, voire une « permission tacite ». Des imprimeurs prennent toutefois des risques en publiant des livres sans aucune permission… Une industrie du livre français s’est développée dans les foyers protestants d’après la révocation de l’Edit de Nantes : Pays-Bas, Angleterre, Genève. Un réseau commercial les diffusent de là vers la France, où ils peuvent être recopiés, réédités… La production ne cesse de s’accroître : 2000 titres par an environ, qui couvrent aussi des livres de piétés, des livres pratiques… Poésie et théâtre occupent une place de choix. Les libraires s’associent aussi pour de granes entreprises comme la publication de véritables monuments : Histoire des voyages, Histoire naturelle, Encyclopédie, Bibliothèque des romans… Les droits d’auteurs n’existent pas : un auteur vend son manuscrit au libraire et toute exclusivité. En 1777-80, Beaumarchais les revendiquent, mais les auteurs n’y sont pas nécessairement favorables. Ils préfèrent souvent multipler les récits brefs et profiter des avantages indirects : emplois obtenus, hospitalité des grands, des riches, contributions dans les journaux. Il faut se faire distinguer dans les cercles, ainsi le talent doit se doubler d’un certain agrément social. Après le collège, un écrivain débute par des vers, une pièce ensuite qui fera connaître son nom, il espère ensuite être précepteur ou secrétaire dans une bonne maison, et intégrer les cercles renommés, puis être élu dans une académie, être pensionné. Jusqu’en 1760 cette carrière est assez facile, et permet un bon niveau de vie, mais ensuite, le nombre de candidats rendra plus difficiles les conditions, ce qui génèrera une sorte de prolétariat intellectuel d’où sortira une bonne partie des cadres de la Révolution. Les relations entre écrivains et lecteurs sont très différentes de ce qu’elles sont aujourd’hui. Souvent les livres paraissent sans nom d’auteur, sous un faux nom ou se font passer pour de véritables mémoires : les Contes de Guillaume Vadé, Candide, est censé avoir été trouvé dans les poches d’un « docteur Ralph ». La pratique de la copie est très répandue, en outre des éditeurs n’hésitent pas à publier le texte d’un inconnu sous un nom connu pour augmenter les ventes. Les « auteurs », comme on dit, ont souvent avec leurs lecteurs des rapports qui dépassent le simple rapport littéraire : on les voit dans les salons, on cherche leurs avis, on les consulte, on attend d’eux conseils et direction comme le montre cet Ecossais James Boswell venu à Paris demander des conseils à Voltaire et Rousseau en 1764, reçu et écouté par eux. les plus célèbres ont prestige et confiance, leurs interventions comptent (Voltaire dans l’affaire Calas). Leur action est réelle dans le domaine économique et dans celui de l’éducation. Ils jouent un rôle de personnages d’exception : déjà se prépare « le sacre de l’écrivain » selon la formule de Pierre Bénichou. L’homme de lettres a une dignité nouvelle.

Cours gratuitTélécharger le document complet

Télécharger aussi :

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *