Signaux permettant l’hétérogénéité des cellules de la rétine

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Morphogenèse de l’oeil

Etablissement du champ oculaire

Bien que le premier signe apparent du développement de l’œil soit l’évagination de la vésicule optique (entre 12 heures post-fécondation -hpf- et 14hpf chez le poisson-zèbre), la formation de l’œil commence dès le début de la gastrulation (à environ 6hpf chez le poisson-zèbre) par la spécification d’un domaine de la région antérieure de la plaque neurale, nommé champ oculaire (Woo and Fraser, 1995; Chuang and Raymond, 2002). Pour apparaître, le champ oculaire nécessite l’inhibition de la signalisation des morphogènes de type Wnt. En effet, si cette voie de signalisation reste active, le champ oculaire ne peut acquérir son identité cellulaire et adopte à la place une identité de diencéphale (Houart et al., 2002; Wilson and Houart, 2004). Ceci peut être expliqué par le fait que le maintien de la voie Wnt active l’inhibition de facteurs de transcription du champ oculaire (appelés EFTFs pour Eye Field Transcription Factors) (Houart et al., 2002; Lagutin et al., 2003). L’inhibition de la voie Wnt est réalisée via l’expression de protéines inhibitrices issues de la plaque neurale antérieure comme par exemple les Secreted Frizzled-Related Proteins (ou SFRPs) (Niehrs et al., 2001; Tendeng and Houart, 2006). De plus, une autre voie clé du développement précoce, celle des morphogènes de type Bone Morphogenetic Proteins (ou BMP) doit être également inhibée pour la formation du champ oculaire (Grinblat et al., 1998; Barth et al., 1999).
Ce champ oculaire peut être défini par le domaine d’expression de plusieurs EFTFs, dont les principaux sont pax6, rx3 et six3 (Zuber et al., 2003). Ces facteurs de transcription forment un réseau de régulation interne, chacun pouvant activer ou inhiber l’autre. L’apparition de ces EFTFs nécessite en premier lieu l’expression d’un autre facteur de transcription, le transcrit otx2, qui apparaît en premier lieu et sans lequel il n’y aurait pas d’induction de l’expression des EFTFs (Rhinn et al., 1998; Chow and Lang, 2001). Otx2 est exprimé dans l’ectoderme avant la gastrulation, puis inhibé dans le champ oculaire et à nouveau exprimé dans la vésicule optique (Simeone et al., 1993). Son inhibition dans le champ oculaire est due aux EFTFs rx3 et six3 (Loosli et al., 1998) ce qui montre d’une part l’existence de boucle de rétro-régulation (ou feedback loop) entre ces différents facteurs de transcription et d’autre part le rôle clé d’otx2 dans la mise en place précoce du territoire de l’œil et non pas dans la spécification des types cellulaires qui survient plus tardivement au cours de l’embryogenèse au moment où l’expression de ce dernier est inhibée.
Les gènes rx3, six3 et pax6 sont tous trois des gènes hométiques très conservés chez les vertébrés, dont le rôle crucial dans le développement de l’œil est confirmé par l’apparition d’anophtalmie ou microphtalmie chez l’homme, le rongeur ou d’autres organismes vertébrés lors de perturbation de leur fonction :
– Rx3 est en premier lieu exprimé dans la plaque neurale antérieure puis apparaît dans la vésicule optique ainsi que dans la rétine neurale. Aux stades plus tardifs, il n’est plus exprimé que dans l’INL et les photorécepteurs (Mathers et al., 1997). De manière similaire, ses deux paralogues, rx1 et rx2, (Andreazzoli et al., 1999; Chuang and Raymond, 2001) apparaissent exclusivement dans le champ optique puis dans les photorécepteurs de type cones. De plus, tout concourt à penser que l’expression de l’homéodomaine rx est suffisante pour induire des tissus rétiniens de manière ectopique, aux dépens des tissus nerveux (cerveau antérieur) environnants. À l’inverse, des délétions dans l’équivalant murin rax engendrent des souris anophtalmiques (sans yeux) et des anomalies du cerveau antérieur et de l’hypothalamus (Mathers et al., 1997; Tucker et al., 2001), comme c’est le cas pour les mutants de poisson-zèbre (Loosli et al., 2001, 2003). La perte de marqueurs spécifiques de la rétine en absence de protéines Rx laisse également penser qu’elles ont un rôle dans la spécification des cellules progénitrices de la rétine (ou RPCs pour Retinal Precursor Cell) (Zhang et al., 2000; Stigloher et al., 2006). En outre, rx3 serait également impliqué dans la prolifération cellulaire à travers la régulation d’autres EFTFs (Zuber et al., 2003; Del Bene and Wittbrodt, 2005).
– Six3 est exprimé dans le champ oculaire puis son expression persiste dans la vésicule optique. Aux stades plus tardifs, il est exprimé dans le pédoncule (ou tige) optique ainsi que dans la rétine neurale (Loosli et al., 1999; Zuber et al., 1999). La surexpression de six3 chez la souris et le poisson entraîne une rétine et un cristallin ectopique, ce qui semble dû à l’induction des gènes rx (Loosli et al., 1999). Cette surexpression entraîne également une expression accrue d’un autre facteur de transcription, Pax2, dans le pédoncule optique et au delà (Kobayashi et al., 1998). Chez l’Homme, des mutations dans SIX3 entraînent des défauts du développement cérébral de type holoprosencéphalie (malformation congénitale du cerveau consistant en l’absence de séparation du télencéphale en deux hémisphères et deux ventricules) ainsi qu’une microphtalmie (Wallis et al., 1999), attestant du rôle clé et conservé de six3 dans le développement de l’œil et la plaque neurale antérieure. Il a été suggéré que cette action de Six3 se produise via sa fonction inhibitrice de la voie Wnt (Lagutin et al., 2003; Wilson and Houart, 2004).
– Pax6 a longtemps été considéré comme l’un des maîtres gènes du développement oculaire.
Il apparait en fin de gastrulation dans la plaque neurale antérieure et son expression persiste dans la partie dorsale de la vésicule optique ainsi que dans l’ectoderme qui donnera naissance au cristallin. Par la suite il est exprimé dans toute la cupule optique (ou optic cup), puis son expression se restreint aux seuls RGCs et ACs (Grindley et al., 1995; Belecky-Adams et al., 1997). Sa surexpression chez la drosophile ou le xénope entraine des structures ectopiques ressemblant à des cupules optiques tandis que les mutants déplétés en pax6 présentent une microphtalmie accompagnée d’une réduction de la taille du cristallin (Grindley et al., 1995; Halder et al., 1995). Des défauts similaires sont observés chez l’Homme lorsque PAX6 est muté (Jordan et al., 1992; Hanson et al., 1993), ce qui confirme son rôle déterminant et conservé au cours de l’évolution dans la formation de l’œil.

Séparation du champ oculaire

Une fois le champ oculaire défini par l’expression des EFTFs, survient la séparation de ce domaine en deux ébauches (primordia) de rétine. L’échec de cette séparation entraîne la formation d’un seul œil central, et donc d’un individu cyclope. Cette séparation du champ oculaire se fait sous l’action de facteurs sécrétés par la plaque préchordale (i.e., définie comme un épaississement de cellules localisé en rostral par rapport à la notochorde et dont le rôle organisateur est déterminant pour toute la région cervicale, à l’origine entre autres de la musculature extrinsèque de l’œil), comme : les morphogènes de type TGF-β (Transforming Growth Factor Beta) et sonic hedgehog (Shh) ou hedgehog (Hh). Chez le poisson-zèbre, les mutants cyclops/cyc présentent une mutation d’un gène codant un ligand de la voie Nodal/Notch, une des sous familles de la voie TGF-β avec les BMPs, qui engendre une cyclopie (Rebagliati et al., 1998; Sampath et al., 1998). En l’absence de ce ligand, les cellules postérieures au champs oculaire (qui donneront l’hypothalamus) n’effectuent pas leur migration antérieure le long de la ligne médiane (midline) et par voie de conséquence ne séparent pas le champ oculaire (Figure 2) (Varga et al., 1999; England et al., 2006). En parallèle, il a été montré qu’une absence de shh entraîne également une cyclopie chez la souris et le poisson (Chiang et al., 1996; Macdonald et al., 1995), de la même façon que chez l’Homme (Belloni et al., 1996; Roessler et al., 1996). En outre, il a été montré que Nodal est nécessaire pour l’expression de shh dans cette région et que les défauts du mutant cyclops serait consécutifs à l’absence d’induction de shh par le morphogène Nodal (Muller et al., 2000; Rohr et al., 2001).

Les précurseurs hypothalamiques

(bleu) migrent antérieurement (flèche bleue) et ventralement à travers le champ oculaire (rouge) sous l’action de sonic hedgehog (SHH) sécrété par le mésendoderme axial (vert hachuré). En conséquence, les précurseurs de la rétine (rouge) migrent latéralement (flèche rouge) et forment une paire d’yeux bilatérale. Antérieur en bas à gauche, postérieure en haut à droite, dorsal en haut. Inspiré de Varga et al, 1999.

Vésicule et cupule optiques

À la suite de la séparation du champ oculaire, chaque ébauche de rétine s’arrondit pour former une vésicule optique, et migre latéralement dans un mouvement d’évagination (Figure 3). La formation d’une vésicule optique se fait donc par la migration des cellules progénitrices de la rétine vers la ligne médiane, constituant ainsi une « boule » qui migre par la suite latéralement à l’emplacement des futurs yeux de l’embryon, de part et d’autre de la tête (Rembold et al., 2006; Ivanovitch et al., 2013). Cette migration latérale est rendue possible par l’expression de rx3 dans la vésicule optique qui inhibe des facteurs attractifs sécrétés par la ligne médiane. Dans la mesure où les RPCs migrent plus lentement vers la ligne médiane que les cellules environnantes, ceux-ci gardent une position latérale lors de la fermeture du tube neural, et n’adoptent donc pas une identité épithéliale, ce qui facilite leur migration latérale par la suite (Brown et al., 2010).
Ces processus morphogénétiques et migratoires sont donc à l’origine de deux vésicules optiques, chacune composée de deux couches cellulaires et reliée au cerveau antérieur par le pédoncule optique, futur point de sortie des axones des RGCs dans leur migration vers le mésencéphale. Contrairement à ce que l’on pensait à une époque révolue, la formation des vésicules optiques n’est pas due à l’augmentation de la prolifération cellulaire puisqu’elle se produit même quand la prolifération est bloquée (Harris and Hartenstein, 1991).
Après cette étape d’évagination et formation des vésicules optiques, l’apparition d’une cyclopie est toujours possible en dépit de la séparation actée du champ oculaire. En effet, c’est à ce stade que Shh et Six3 régulent l’expression des gènes pax2 et pax6 responsables respectivement de la différenciation du pédoncule optique et de celle de la rétine neurale. Ainsi, l’expression de six3 dans la vésicule optique est importante pour maintenir l’expression de shh dans la plaque préchordale qui, à son tour, maintient l’expression de six3 dans le diencéphale, formant ainsi une boucle positive de rétro-régulation. La perte de six3 entraîne la perte de shh, et de ce fait une cyclopie (Geng et al., 2008; Jeong et al., 2008). Cette cyclopie peut s’expliquer par le fait que Shh induit l’expression de pax2 et inhibe celle de pax6 (Figure 4) (Macdonald et al., 1995). En l’absence de Shh et donc de Pax2, on observe une augmentation de l’expression de pax6 ce qui engendre la disparition du pédoncule optique et la fusion des deux vésicules optiques, à l’origine de la formation d’un œil unique (Figure 4B).
Figure 4 : Le rôle de Shh dans la formation des vésicules optiques suite à l’évagination Représentations schématiques de vues frontales du système nerveux central du poisson-zèbre. (A) Embryon contrôle où Pax6 (en rouge) est exprimé dans la rétine neurale et Pax2 (en bleu) dans le pédoncule optique. Shh est sécrété par la ligne médiane ventrale (en vert). (B) Lors d’une diminution de Shh, Pax6 est observé dans le cerveau antérieur et dans les vésicules optiques jusqu’à la ligne médiane. Pax2 est, lui, pratiquement absent et toutes les cellules se différencient en cellule de la rétine neurale, résultant en une cyclopie. (C) Une augmentation de l’expression de shh entraîne une augmentation de pax2 couplée à une diminution de pax6 ; le pédoncule optique occupe une surface plus grande alors que la rétine est réduite. Dorsal en haut. Inspiré de Macdonald et al, 1995.
Après l’évagination, ont lieu les processus d’invagination et de formation de la cupule optique, dernier étape avant la rétine différenciée, autour de 18hpf chez le poisson-zèbre. La cupule optique se forme par le repliement ou creusement de la vésicule optique le long des axes dorso-ventral et antéro-postérieur de l’embryon sous l’effet d’une constriction basale des RPCs (Martinez-Morales et al., 2009) (Figure 5A). Cette invagination forme une fente qui part de la région ventrale de la rétine et qui suit le pédoncule optique jusqu’au tube neural constituant ce que l’on appelle la fissure choroïdienne ou fissure optique par laquelle sortiront de la rétine les axones des RGCs ainsi que les vaisseaux sanguins (Figure 5B). Cette fissure optique, formée à 24hpf, se fermera entre 30 et 48hpf chez le poisson-zèbre, et un défaut de fermeture entraînera une anomalie caractéristique du développement de l’œil, le colobome, que je détaillerai plus bas. En s’invaginant, la rétine présente une couche épithéliale externe qui donnera l’épithélium rétinien pigmentaire (ou RPE) et une couche neuroépithéliale interne à l’origine de la rétine neurale différenciée.
Figure 5 : Invagination de la cupule optique et création de la fissure choroïdienne (A) Reproduction en 3D de la morphogénèse de la cupule optique chez l’embryon de medaka. Les flèches brunes et bleues indiquent respectivement les mouvements antéro-postérieurs et dorso-ventraux. L’accolade rouge désigne l’emplacement de la fissure optique. Adapté de Martinez-Morales et al, 2009. (B) Schéma de la fissure optique en position ventrale avant sa fermeture. POM, mésenchyme périoculaire ; CF, fissure choroïdienne ; VRV, vaisseaux ventraux de la rétine ; OS, pédoncule optique (ou optic stalk) ; Hyp, hypothalamus ; Tel, télencéphale. Dorsal en haut. Bazin-Lopez et al, 2015.

Différenciation de la rétine

Prolifération

La génération des différents types cellulaires de la rétine suit un ordre stéréotypé chez tous les vertébrés (Cepko et al., 1996; Livesey and Cepko, 2001). À la suite de la formation de la cupule optique survient une période de prolifération cellulaire afin d’augmenter substantiellement le nombre de RPCs. Puis a lieu une première vague de différenciation en forme d’éventail dans la région ventro-nasale de la rétine du poisson-zèbre, et ce jusqu’à la région temporale, qui donnera naissance aux futures RGCs. Pour passer de la phase proliférative à la phase de différenciation, les RPCs doivent sortir du cycle cellulaire entre les phases G1 et S. Au cours de cette sortie, les cellules passent de la phase G1 à une phase irréversible G0 (Buttitta and Edgar, 2007). La transition de la phase G1 vers G0 ou S est contrôlée par l’état de phosphorylation de la protéine du rétinoblastome (Rb) (Dyer and Cepko, 2001). À l’état non phosphorylée, la protéine Rb est associée au facteur de transcription E2F qu’elle inhibe, les RPCs passent alors en phase G0. La phosphorylation de Rb par la CyclinD1 (ccnd1) permet la dissociation de E2F qui, libre, peut aller réguler positivement l’expression de gènes nécessaires à la progression du cycle cellulaire, ce qui induit le passage des RPCs en phase S (voir résumé des régulations sur la Figure 6) (Fantl et al., 1995; van den Heuvel and Dyson, 2008). Ccnd1 est donc une protéine clé du maintien de la prolifération. À l’inverse, les protéines p27kip1 et p57kip2, deux inhibiteurs de cyclines kinases, sont essentielles au passage en phase G0 via l’inhibition de ccnd1 (Dyer and Cepko, 2000; Cunningham et al., 2002). Réciproquement, Ccnd1 peut également inhiber p27kip1 et p57kip2, assurant ainsi un équilibre entre ces régulateurs du cycle cellulaire (Dyer and Cepko, 2001; Geng et al., 2001).
Certains facteurs de transcriptions sont également nécessaires pour assurer le maintien de la prolifération ou la sortie du cycle cellulaire. Parmi eux, Pax6 est crucial au maintien de la prolifération : en son absence, on observe en effet une forte réduction du nombre de cellules en phases S et une augmentation du nombre de cellules sortant du cycle cellulaire (Philips et al., 2005; Farhy et al., 2013). Cependant, le rôle de Pax6 dans la régulation du cycle cellulaire est plus complexe qu’il n’y paraît puisqu’il inhibe à la fois les cyclines kinases et leurs inhibiteurs…
Il a été suggéré que Pax6 pourrait adopter un rôle activateur ou inhibiteur de la prolifération en fonction de la présence d’autres facteurs de transcription. Deux de ces facteurs de transcription à homéodomaine de la famille des TALE, Meis1 et Meis2, sont impliqués dans la régulation de la prolifération chez plusieurs espèces (Bessa et al., 2002; Hisa et al., 2004) et peuvent contrôler l’expression de ccnd1 (Barton and Levine, 2008; Heine et al., 2008) et de pax6 (Hill et al., 1991; Bessa et al., 2008). A l’inverse de Pax6 et de Meis1/2 qui favorisent la prolifération, le facteur de transcription Prox1 est, quant à lui, impliqué dans la sortie du cycle cellulaire par l’inhibition de ccnd1 (Dyer et al., 2003) via l’induction de l’expression de p27kip1 et p57kip2 (Wigle et al., 1999; Mishra et al., 2008). Un autre facteur de transcription clé dans le processus de prolifération est Vsx2 (aussi appelé Chx10) (Burmeister et al., 1996; Wong et al., 2015). Vsx2 inhibe l’expression de p27kip1, via l’activation de ccnd1 (Green et al., 2003), tout en empêchant la différenciation des RPCs en RGCs par l’inhibition d’atoh5 (Vitorino et al., 2009; Cid et al., 2010). Lorsque vsx2 cesse d’être exprimé apparaît dmbx1. Ce dernier est exprimé dans les RPCs sortant du cycle cellulaire et est donc nécessaire au maintien en phase G0 (Wong et al., 2010). Dmbx1 agit ainsi dans une boucle de régulation de l’équilibre entre prolifération et différenciation avec Vsx2, avec un passage de l’expression majoritaire de vsx2 à celle de dmbx1 marquant le début de l’acquisition de l’identité cellulaire (Wong et al., 2015). Les rôles dans ce processus de ces facteurs de transcription sont résumés dans la Figure 6. D’autres facteurs clés de ce processus, qui ne sont pas représentés sur cette figure sont les gènes Rax/Rx. En effet, ces gènes sont exprimés dans les cellules prolifératives et leur expression varie avec la prolifération cellulaire : la surexpression de ces facteurs entraîne une hyper prolifération de la rétine (Furukawa et al., 1997; Mathers et al., 1997).
Lors de la prolifération, les cellules se divisent horizontalement le long de l’axe apico-basal, ce qui donne pour chaque cellule mère deux cellules filles identiques : il s’agit de la division symétrique. Lors de la différenciation, l’axe de division change et devient perpendiculaire à l’axe apico-basal (on parle alors de division verticale), ce qui entraîne la formation de deux cellules filles différentes : la division est alors dite asymétrique. En effet, certaines molécules de surface ou des facteurs intracellulaires peuvent se trouver majoritairement du côté apical, ce qui conduira à une répartition inégale de ces molécules dans les cellules filles (Chenn and McConnell, 1995; Cayouette and Raff, 2003). Lors du cycle cellulaire, les noyaux des cellules changent de localisation selon leur phase, c’est ce que l’on appelle la migration nucléaire intercinétique (ou INM pour Interkinetic Nuclear Migration ) (Sauer, 1935). Les noyaux des cellules en phase G1/S sont localisés du côté basal tandis que les noyaux des cellules en division (phase M) se trouvent du côté apical. Ces mouvements nucléaires sont corrélés aux types de divisions cellulaires (symétrique ou asymétrique) puisqu’il a été montré que lors de la division asymétrique, le noyau localisé en basal tend à appartenir à une cellule post-mitotique, qui sortirait du cycle cellulaire pour amorcer sa différenciation (Baye and Link, 2007), tandis que la cellule au noyau du côté apical resterait en prolifération, ce qui pourrait notamment s’expliquer par la présence d’un gradient notch1 apico-basal (Del Bene et al., 2008) et impliquerait de ce fait ce morphogène dans le maintien de la prolifération à ce stade du développement.
Les gènes présents dans la zone bleue sont exprimés dans les cellules en prolifération, les gènes présents dans la zone orange sont exprimés dans les RPCs sortant du cycle cellulaire et présentant déjà des signes de différenciation. Les flèches indiquent l’activation, les traits verticaux désignent l’inhibition. Miles et Tropepe 2016.

Différenciation en vagues

La première vague de différenciation part de la région centrale de la rétine et se propage jusqu’aux couches extérieures (Hu and Easter, 1999; McCabe et al., 1999). À la suite de cette première vague, d’autres vagues de différenciation donnent naissance aux autres types cellulaires de la rétine, avec les photorécepteurs de type bâtonnets et les cellules de Müller qui ferment la marche de la différenciation (Figure 7). Les premiers neurones RGCs différenciés apparaissent dès 27hpf chez le poisson-zèbre, les cellules amacrines, bipolaires, horizontales ainsi que les premiers photorécepteurs de type bâtonnet sont observés à partir de 36hpf et les premiers cônes se différencient en dernier après 48hpf (Li et al., 2000). À partir de 72hph, la phase de différenciation se termine et commence alors une phase de maturation. Seule une zone de la rétine reste encore indifférenciée et demeurera ainsi même à l’âge adulte du poisson: c’est la zone marginale ciliaire (ou CMZ pour Ciliary Marginal Zone). Cette zone située en position ventrale proche du pédoncule optique est la zone où prolifèrent les RPCs. Elle est active tout au long de la vie du poisson-zèbre et participe à la régénération de la rétine et du remplacement de cellules lors d’atteinte rétinienne (Johns, 1977; Perron and Harris, 2000).
Coupes sagittales de rétine à partir de la lignée Spectrum of Fates (ou SoFa) exprimant divers fluorochromes selon le type cellulaire à différent temps du développement. RGCs, cellules ganglionnaires de la rétine ; ACs, cellules amacrines ; PRs, photorécepteurs ; HCs, cellules horizontales ; PRs, photorécepteurs. Dorsal en haut. Adapté de Almeida et al, 2014.
La première vague de différenciation est caractérisée par l’expression du facteur de transcription de type basic helix–loop–helix (ou bHLH) Atoh5 (pour Atonal homologue 5, aussi nommé Atoh7). Ce facteur précède l’apparition des RGCs de quelques heures. Il est ainsi admis que c’est l’expression de ce facteur de transcription qui donne la compétence aux RPCs de se différencier en RGCs (Yang et al., 2003; Kay et al., 2005). Cette étape de la différenciation est induite par l’expression de fgf8, fgf3 (Martinez-Morales et al., 2005) et shh (Neumann and Nuesslein-Volhard, 2000). En leur absence, la vague d’expression d’atoh5 n’apparaît pas et la rétine reste dans un état indifférencié.

Signaux permettant l’hétérogénéité des cellules de la rétine

Les RPCs sont des cellules multipotentes pouvant donner naissance à tous les types cellulaires de la rétine (Turner et al., 1990). Pendant longtemps, on a expliqué l’hétérogénéité des cellules de la rétine par un modèle linéaire où les RPCs perdraient de leur compétence au fur et à mesure que la différenciation avance pour ne plus donner que certains types particuliers à des temps spécifiques (Figure 8A) (Cepko et al., 1996; Livesey and Cepko, 2001; Cepko, 2014). Jin (2017) propose un nouveau modèle arborisé où les RPCs resteraient multipotents mais donneraient également naissance à des progéniteurs transitoires qui seraient, eux, pluripotents puis bipotents, etc. (Figure 8B). Ce modèle est soutenu par l’observation que des progéniteurs multipotents sont toujours présents même tardivement au cours du processus de différenciation (Turner and Cepko, 1987; Jensen and Raff, 1997). De plus, l’ancien modèle laissait supposer que les cellules naissaient suivant un ordre linéaire, or il a été démontré depuis que différents types cellulaires peuvent apparaître en même temps. D’après les données récentes, il est plus probable qu’il y ait un groupe de progéniteurs se différenciant précocement, les early born progenitors (ou EBP) et un groupe se formant plus tardivement, les late born progenitors (ou LBP).

Table des matières

Chapitre 1 : Introduction
I. Développement du système visuel
1. Morphogenèse de l’oeil
a) Etablissement du champ oculaire
b) Séparation du champ oculaire
a) Vésicule et cupule optiques
2. Différenciation de la rétine
a) Prolifération
b) Différenciation en vagues
c) Signaux permettant l’hétérogénéité des cellules de la rétine
3. Lamination de la rétine
a) Migration cellulaire
b) Migration axonale
4. Pathologies liées au développement de l’oeil : troubles microphtalmiques, anophtalmiques et colobomes (MAC)
a) Rôle des facteurs de transcription
b) Différentes voies de signalisation impliquées
c) Autres familles de gènes à l’origine de MACs
II. La famille mab-21
1. Première découverte
2. Différents paralogues chez les vertébrés
a) Mab21l3
b) Mab21l1
3. Mab21l2
a) Expression au cours du développement des vertébrés
a) Conséquences de la perte de mab21l2
b) Voies de signalisations de mab21l2
c) Mutations chez l’Homme
III. Objectifs de la thèse
Chapitre 2 : Matériels et méthodes
Chapitre 3 : Résultats et discussion
I. Rôle de Mab21l2 dans le système visuel
1. Expression de mab21l2
2. Les outils de la perte de fonction
3. La perte de fonction partielle ou totale induit la formation de colobomes
4. La perte de Mab21l2 chez les morphants engendre une expansion de Pax2 au détriment de Pax6
5. La perte de fonction de Mab21l2 entraîne des défauts de trajectoire axonale des RGCs
6. La perte de Mab21l2 entraîne également des défauts de formation des photorécepteurs
7. L’absence ou la diminution de Mab21l2 provoque des problèmes de lamination de la rétine
8. Conséquence de la perte de Mab21l2 sur la mort cellulaire
a) L’apoptose est augmentée uniquement chez les morphants
b) L’augmentation de l’apoptose chez les morphants est bien significative mais plus faible que prévu…
9. Analyse comparative transcriptomique
II. Rôle de Mab21l2 dans le développement du rhombencéphale
1. Développement du rhombencéphale
a) Segmentation du rhombencéphale
(i) Formation des frontières inter-rhombomériques
(ii) Gènes Hox : structure de la segmentation
(iii) Les cofacteurs des Hox : les Meis et Pbx
(iv) Autres marqueurs des rhombomères
(v) Les voies de signalisations et le développement du rhombencéphale
b) Formation et migration des neurones branchio-moteurs crâniens
(i) Facteurs communs à l’identité des rhombomères
(ii) Autres facteurs de transcription
(iii) Importance des signaux extérieurs
2. Résultats expérimentaux
a) La perte transitoire de Mab21l2 altère le développement du cervelet
b) Le knockdown de Mab21l2 engendre des défauts de développement du rhombencéphale que l’on ne retrouve que partiellement chez le mutant
c) Validation de la spécifité des phénotypes du rhombencéphale
d) Les défauts du rhombencéphale sont compensés par Mab21l1 chez les mutants
e) Effet de l’absence de Mab21l2 sur les marqueurs du rhombencéphale
f) Analyse des résultats de notre crible transcriptomique sous l’angle du rhombencéphale
Chapitre 4 : Conclusion et perspectives
I. Mab21l2 est un élément clé du développement du système visuel
II. Mais Mab21l2 est également requis dans la formation du rhombencéphale et du cervelet
III. Morphants et mutants donnent des phénotypes similaires
Bibliographie
Annexe

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