Structuration sociale, rapports entre religion et royauté

Structuration sociale, rapports entre religion et
royauté

Structuration sociale

Dans sa contribution à The Cambridge History of Iran, Perikhanian relève que, tant en raison du manque de sources que de l’évolution lente des institutions juridiques et sociales, il n’est guère possible de rendre avec précision les transformations qu’a connues la société iranienne entre l’avènement de la dynastie arsacide et la chute de l’empire sassanide1 . Elle observe ainsi que, pour ce qui concerne la première partie de la période sassanide, rien n’atteste de l’existence des divisions fonctionnelles telles qu’elles ressortent de l’Avesta où la société est segmentée en prêtres (av. āϑravan), guerriers (av. raϑaēštar), et cultivateurs (av. vāstryō fšuyant) 2 . Les inscriptions rupestres, si elles constituent des sources de tout premier ordre qui seront prises en considération lorsqu’il s’agira d’examiner, par exemple, les titulatures royales ou encore la procédure concourant à l’accession au trône, ne comportent pas d’indications se rapportant à la segmentation sociale sassanide dans son ensemble 3 . Il en va de même du monnayage, qui supplée au tarissement des inscriptions rupestres à la fin du IVe siècle pour les titulatures, ou encore des données sigillographiques qui fournissent des indications précieuses au sujet de l’organisation administrative de l’empire4 . C’est, selon Perikhanian, au début du Vᵉ siècle, à l’occasion d’une réforme qu’elle qualifie de « purely bureaucratic », que la nomenclature avestique aurait été reprise en même temps qu’adaptée. Quatre grands états, comportant de nombreuses sous catégories, sont ainsi institués : ceux des prêtres (āsrōnān), des guerriers (artēštārān), des secrétaires (dibīrān) et des cultivateurs (wāstaryōšān) associés aux artisans (hutuxšān) 5 . Cette réforme, souligne Perikhanian, n’a pas modifié la fracture entre ceux qui avaient des droits en tant que « citizen », terme que nous traduirons, en l’occurrence, par « sujets », et, parmi ces sujets entre les nobles et les autres6 . C’est avec ces éléments à l’esprit que nous nous proposons d’examiner la segmentation sociale de l’Iran sassanide, en soulignant que, pour cette rubrique plus que pour d’autres, les sources dont nous disposons, très tardives pour la plupart (elles sont en effet essentiellement constituées de la littérature en moyen perse et de textes écrits en arabe ou en persan au cours des premiers siècles de l’islam), ne permettent guère que de suggérer un plan fixe là où il aurait convenu de faire ressortir des évolutions. C’est précisément en distinguant ces sources en moyen-perse des textes écrits en arabe ou en persan que nous articulerons notre propos, avant de nous pencher, dans un troisième temps, sur la rigidité de cette segmentation. 

Segmentation sociale

Les sources en moyen-perse Dans les pas de Boyce nous avions retenu plus haut une conception large de la littérature pehlevie intégrant certains ouvrages dont cette origine est incontestable mais dont seule une version arabe ou persane nous est parvenue7 ; c’est au sens de la présente rubrique, une définition plus stricte que nous retenons, destinée, on le verra, à mettre en évidence une ligne de fracture qui porte sur le contenu même de la segmentation sociale selon que l’on se réfère aux sources écrites en moyen-perse ou à celles écrites en arabe ou en persan. Du livre VII du Dēnkard, il ressort que des quatre états religieux (čahār pēšag ī dēn), Jam reçut les quatre, à savoir : la condition sacerdotale (āsrōnīh), celle des guerriers (artēštārīh), celle des paysans (wāstaryōšīh), et celle des artisans (hutuxšīh) 8 . C’est également le livre VII qui indique que Zoroastre fut doté de la connaissance totale de ces mêmes états9 , ou encore qu’il disposait des forces propres à ces quatre conditions10 . Ce sont aussi ces quatre fonctions auxquelles se réfère le livre III du Dēnkard lorsqu’il indique que l’enseignement du monde a pour nērang le sacerdoce, et qu’il évoque ensuite la protection des guerriers, le travail des paysans et le bien-être (āsānīh) procuré par les artisans11 . Si cela s’avérait nécessaire un chapitre du même livre vient préciser que parmi les quatre états, c’est le sacerdoce qui constitue la plus haute des fonctions : en charge de l’enseignement et de la récitation de la Weh dēn, il lui revient également d’appliquer le droit ; viennent ensuite guerriers, paysans et artisans. La suprématie de la classe sacerdotale est affirmée par un autre chapitre du livre III qui, au demeurant, ne mentionne que deux autres fonctions ; celle des guerriers et celle des paysans .Si l’on s’essaye maintenant, toujours dans le Dēnkard, à cerner les caractéristiques et les qualités propres à chacune des fonctions, on relèvera que la classe sacerdotale, dont on a relevé qu’elle était en charge, non seulement de la récitation de la religion, mais également de l’enseignement et de l’application du droit, se doit, tout naturellement, de développer une vaste mémoire14 . La mémorisation, outre qu’elle permet la transmission du culte sans l’altérer, repose en effet sur une tradition orale dont la légitimité est à maints égards considérée comme supérieure à celle du texte écrit15. Le sacerdoce constitue la composante « bienfaisante », et repose sur la véracité et la clémence qui, lorsque la couleur du temps devient peu propice, se mue en composante « malfaisante » comportant tyrannie, mauvaise religion et mensonge16. La classe des guerriers constitue, selon ce même texte, la composante « glorieuse » ; soutien du sacerdoce elle est invitée à cultiver mémoire, force et vaillance17. Lorsque les circonstances deviennent défavorables elle peut évoluer en composante du « concupiscent », soutien de la tyrannie. Le paysannat appartient quant à lui à la composante du « distribuant » et vient en soutien aux deux premiers états ; on attend de lui générosité et, lorsque les circonstances sont peu porteuses, il pourra pratiquer l’avarice constituant alors la constituante du « dérobant » que caractérisent vol et violence18. Quant à l’artisanat, il ressort du même texte que les autres états attendent de lui un travail de qualité. Filant une métaphore organique, il est suggéré que le sacerdoce constitue la tête, les guerriers la main et les paysans le ventre19, ou, dans un autre genre de comparaison, que, parmi les mazdéens, le prêtre est semblable à sa flamme étincelante, le guerrier à son armure de cotte de maille, le cultivateur à son champ et l’artisan à son vêtement20 .

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