Technologies de l’information

Technologies de l’information

Les conditions d’évolution des outils au niveau des communes décentralisées, présages de premières difficultés Nous avons pu voir au cours du chapitre 4 que l’organisation de Registre Foncier Urbain fait appel à des compétences professionnelles spécifiques et demande l’acquisition de nombreux équipements onéreux et parfois très techniques. La première partie de ce chapitre 5, comme annoncé plus haut, s’intéresse aux conditions générales d’implantation des outils de la géomatique au sein des communes. Il s’agit d’apprhénder si les nouvelles entités de gouvernement issues des politiques de décentralisation présentent les données requises à la fois pour une bonne appropriation des outils par les acteurs locaux et pour leur gestion efficace au quotidien. Deux aspects vont être approchés : les effets des financements et des choix des modalités d’intervention des bailleurs de fonds puis l’organisation des ressources humaines et matérielles au sein des communes.

Des défis à surmonter quant aux modalités d’implantation des outils 

Rappelons que jusqu’en 2011 toutes les installations de Registres Fonciers Urbains au Bénin ont été menées dans le cadre de financements apportés par des bailleurs de fonds internationaux ou des coopérations décentralisées (Carte 25). Par ailleurs, les municipalités en tant que telles n’existant pas lors du lancement des premiers projets ou, par la suite, les collectivités territoriales n’ayant peu d’expérience en maîtrise d’ouvrage (Chapitre 3.1.2), une partie ou la totalité des travaux (animation des différents cadres de collaboration entre les acteurs, cartographie, installation des logiciels, constitution des bases de données)ont été confiés à des structures ou des acteurs extérieurs. Les modalités de cette externalisation ont évolué entre les 1990 et 2010 prenant la forme de délégation de maîtrise d’ouvrage, de maîtrise d’œuvre, d’assistance technique internationale ou encore de marché de prestation de services (Chapitre 3.2.2.b). Nous allons nous interroger ci-dessous aux effets de ces différentes interventions extra-municipales dans les appropriations finales des outils par les acteurs locaux. 

Une maîtrise d’ouvrage municipale en partie fictive

l’omniprésence d’une agence liée aux bailleurs de fonds (la SERHAU) Sur une période de 20 ans d’essaimage de Registre Foncier Urbain (RFU) au Bénin, on observe de manière presque continue l’intervention de la Société d’Etudes Régionales d’Habitat et l’Aménagement Urbain (SERHAU-SA). Cette structure à capital mixte, fruit à la fois de plusieurs projets de coopérations étrangères et des politiques de désengagement de l’Etat et d’ouverture aux investissements privés a été présentée déjà au cchapitre 2.2.2. Ainsi, le montage du premier projet de RFU à Parakou a pu s’appuyer sur les acquis professionnels de la SERHAU qui, depuis plusieurs années, avait fait émerger des compétences locales dans l’expertise technique et opérationnelle en milieu urbain avec la réalisation de schémas et plans directeurs d’urbanisme. Grâce à son autonomie financière par rapport à son ministère de tutelle, cette structure avait pu recruter directement des techniciens de très haut niveau en urbanisme et gestion de projet sur la base de salaires compétitifs. Plusieurs agents de la SERHAU, qui faisaient partie de l’équipe initiale du projet de Parakou (Bachir Oloudé, Bernardin Agbo, José Tonato), avaient été formés à l’École Africaine des Métiers de l’Aménagement et de l’Urbanisme de Lomé (EAMAU), centre de formation panafricain de deuxième et troisième cycle universitaire (Chapitre 2.1.2.b). Ces cadres supérieurs mobilisés grâce aux moyens de la SERHAU sont pour beaucoup dans le développement initial de l’outil RFU au Bénin. Au moment de l’installation des RFU de Cotonou et Porto-Novo en 1991 et 1993, ces villes, étant alors organisées en circonscription urbaine sans conseil municipal élu (Chapitre 3.1.2.a) et dépourvues de cadres techniciens, avaient été évaluées comme insuffisamment armées pour assumer les multiples activités techniques que l’outil impliquait dans sa première phase de développement. (Nous verrons dans la suite de ce chapitre l’acuité des problèmes de Chapitre 5 – Technologies de l’information géographique foncière à l’épreuve du terrain 233 ressources humaines rencontrés par les nouvelles municipalités et leur difficulté à retenir des cadres compétents.) Les premiers travaux lancés par la Coopération française ont donc été confiés à la SERHAU qui se présentait encore sous la forme d’un service de la Direction de l’Urbanisme et de l’Habitat avant de devenir une agence autonome au statut de société d’économie mixte en 1993 (Chapitre 2.2.2.a) pour mener à bien toutes les opérations. Les autres financements autour du RFU dans la suite des années 1990 et 2000 (installation à Djougou, Dassa, Savé, Savalou, Tanguiéta, Nikki et renforcement des premiers outils de Parakou, Cotonou et Porto-Novo) ont encore été confiés à la SERHAU. Le choix de recourir à cette structure s’est imposé dans la continuité d’appuis et de collaborations privilégiées avec plusieurs bailleurs de fonds et notamment pour la Coopération française avec des liens engagés depuis 1982 (Chapitre 3.2.1.a). Ces différentes conventions de financement des bailleurs de fonds ont été conçues sur la base d’une délégation de maîtrise d’ouvrage. Même après l’application de la décentralisation en 2003, les projets des bailleurs de fonds pour l’installation et le renforcement du RFU au Bénin ont conservé comme modalité d’intervention la « maîtrise d’ouvrage déléguée » dont la SERHAU va devenir la principale agence de référence. Les objectifs qui ont sous-tendu le recours à la maîtrise d’ouvrage déléguée s’articulent autour d’intentions plus ou moins exprimées de contournement de l’administration publique ce qui peut paraître paradoxal dans le contexte d’une décentralisation qui a été fortement appuyée par les coopérations internationales (Chapitre 3.1). Officiellement, il s’agit de bénéficier du fonctionnement de structures légères avec du personnel de haut niveau. Le statut juridique de ces agences leur confère, en effet, une autonomie quasi-totale par rapport à l’administration. Leurs politiques de recrutement sont fondées sur la mise en concurrence des postes de direction. La gestion de personnel est axée sur les résultats et les performances avec des niveaux de salaires compétitifs. À la SERHAU-SA, les salaires pratiqués pour les cadres étaient en 2010 en moyenne de 350 000 FCFA par mois ce qui correspondait à une rémunération triple par rapport à un statut équivalent dans la fonction publique. J’ai pu constater entre 2001 et 2011 une stabilité dans les effectifs de personnel de la structure. Elle employait, en moyenne, une vingtaine d’agents permanents dont presque la moitié était cadres. Parmi eux, il y avait plusieurs urbanistes et architectes inscrits à l’Ordre national des métiers, des juristes-aménageur, des inspecteurs du trésor, un comptable et un informaticienprogrammeur. Ces agences bénéficient également de dérogations étendues dans la passation des marchés avec des commissions internes entièrement responsables pour l’ouverture des offres et l’attribution des marchés. Le recours à la maîtrise d’ouvrage déléguée permet d’aller beaucoup plus vite, par rapport au circuit traditionnel de l’administration, dans le recrutement des prestataires extérieurs et les acquisitions des matériels. La production régulière de rapports d’activités et la réalisation d’audits financiers et techniques externes constituent aussi des facteurs de démonstration de bonne gestion qui séduisent les bailleurs de fonds au vu de l’importance des responsabilités de gestion de ressources publiques qui leur sont confiées. La SERHAU, dans les travaux autour du RFU, est arrivée au fil des années 1990 et 2000, de façon plus ou moins directe, à imposer son expertise technique et par la même susciter une Chapitre 5 – Technologies de l’information géographique foncière à l’épreuve du terrain 234 certaine homogénéité des outils montés au Bénin. Nous avons pu voir (chapitre 4), par exemple, que les grilles d’enquête du parcellaire foncier des outils mis en place dans le pays sont, à quelques détails près, similaires de même que leurs logiciels d’exploitation. L’omniprésence, inscrite dans la durée, de cette agence autonome fortement liée aux bailleurs et contrôlée par eux présente sans doute des avantages techniques dans l’installation opérationnelle des RFU au Bénin. Mais cette omniprésence tend aussi à amenuiser les capacités d’implication des autorités politiques et techniques locales dans la constitution de leur propre outil de gestion territoriale. A terme, on peut augurer des difficultés dans les appropriations des travaux par des administrations qui ne disposent ni des moyens financiers ni de l’autonomie de cette structure. A l’issue de la phase d’installation et des financements des projets des bailleurs de fonds, la SERHAU doit remettre les outils aux communes qui en deviennent officiellement les responsables. Dans ce mécanisme, deux aspects apparaissent particulièrement importants et sensibles. Il s’agit d’abord de la transmission de l’ensemble des bases de données élaborées et de leurs moyens d’exploitation (progiciel). Il s’agit ensuite de la formation du personnel local afin qu’il puisse honorer les activités de gestion, de mise à jour et de développement des bases de données. Sur ces deux aspects, l’organisation même de la maîtrise d’ouvrage déléguée peut être à l’origine de plusieurs questionnements. Avec la transmission des outils et des savoirfaire, celle-ci, soumise à des injonctions de rentabilité, semble en effet perdre inéluctablement une partie de revenus potentiels. À Porto-Novo, l’étude « Information pour la Décision Municipale » (IRD-Codesria pour le FSP “Sciences Sociales” du MAEE) a montré combien la mise en œuvre de dispositifs autour de l’information géographique, avec le Registre Foncier Urbain, a suscité des modes de fonctionnement concurrentiels très éloignés de l’idéal consensuel de la « bonne gouvernance » autour d’enjeux comme la propriété des données, le coût de leurs accès et la répartition des plus-values entre les différentes parties prenantes [DORIER-APPRILL E. 2004]. L’étude, concentrée sur le module SIG de l’outil RFU, avait mis en lumière un mécanisme de rente institué par la SERHAU dans le cadre de sa fonction de maitrise d’ouvrage déléguée et de vives revendications de légitimité de propriété des administrateurs de la ville. Ce module SIG de l’outil n’a pas été immédiatement mis à disposition de la circonscription urbaine et a constitué une rétention lucrative de la SERHAU puisque des plans de ville et des cartes d’analyses thématiques étaient alors vendues, à la demande et exclusivement sous forme « papier », aux acteurs intéressés. L’étude avait également montré que le système informatique mis en place comportait d’importants défauts techniques ne lui permettant pas, en l’état, de fournir les services attendus et mis en avant par le projet qui l’avait financé. Pour la transmission des savoir-faire et des compétences au niveau communal, les enjeux du contexte du recours à la maîtrise d’ouvrage déléguée portent sur la qualité des formations théoriques dispensées mais aussi sur une phase d’accompagnement sur plusieurs mois. Cette période d’accompagnement est nécessaire afin que toutes les opérations des applications de l’outil (impression et distribution des avis, suivi du recouvrement, mise à jour des bases de données, etc.) puissent être appréhendées et confrontées par les agents gestionnaires de l’outil Chapitre 5 – Technologies de l’information géographique foncière à l’épreuve du terrain 235 avec des appuis méthodologiques. Ces prestations de la maîtrise d’ouvrage déléguée sont, à l’évidence, difficilement évaluables en terme de durée et de coût car elles vont également dépendre des capacités d’assimilation des agents communaux désignés pour être en charge de la gestion finale des outils. 

Des projets coûteux, décalés par rapport aux budgets ordinaires des communes et sources de convoitise

 Les montants des projets de RFU, bien que publiés officiellement par les bailleurs de fonds dans leurs rapports sont difficilement comparables les uns aux autres. La dévaluation du Franc CFA en janvier 1994 a eu pour effet de renchérir le coût général des derniers travaux par rapport à ceux menés en premier (Parakou et Cotonou). Par ailleurs, pour certains projets des activités ont été mutualisées entre plusieurs communes ou avec d’autres projets urbains. Ainsi le coût de l’investissement final du RFU de Parakou a été sous-estimé dans la mesure où de nombreuses dépenses ont été prises en charge par un autre projet urbain intervenant dans la ville. Celui-ci avait financé, notamment, la fourniture régulière de listings aux services des Impôts et l’entretien de matériels roulants et informatiques. Inversement, d’après le rapport de mission du coopérant technique français en poste à la SERHAU de 1996 à 1998, le coût du RFU de Porto-Novo a été surestimé car lui ont été imputées des dépenses qui ont profité à l’ensemble des villes alors couvertes par l’outil (édition de manuel du RFU et modules informatiques). Cette difficile comparaison des coûts d’installation de l’outil RFU est surtout relative au fait que les contenus ainsi que les modalités de mise en œuvre des projets et leurs objectifs finaux sont particulièrement hétérogènes. Les dispositifs RFU développés au Bénin n’ont pas tous permis la mise à disposition de documentation cartographique avec la même précision géographique ni d’acquérir une couverture aérienne numérique, ni d’engager des opérations de panneautage des rues et des portes ou encore d’élaborer des modules de Systèmes d’Informations Géographiques pour la gestion urbaine. Afin d’avoir un ordre de grandeur des sommes considérables investies dans les projets, nous avons reproduit ci-après (tableau 19) les montants évalués par la SERHAU-SA pour l’installation de 3 dispositifs qu’elle a suivis en tant que maître d’ouvrage délégué, donc en tant que responsable du suivi des dépenses. Ces montants sont indiqués dans la Revue permanente de secteur urbain au Bénin publiée en 2000. Ils tendraient ainsi à constituer la fourchette de prix que la SERHAU, éditrice de cette revue, souhaite promouvoir comme base commerciale de l’outil. Ces chiffres élevés ne prennent pourtant pas en compte le coût de l’assistance technique française qui pilotait administrativement les projets de coopération avec l’Ambassade de France et les structures d’accueil. La lecture du document montre des investissements de plusieurs dizaines à centaines de millions de Francs CFA pour l’installation d’un dispositif RFU incluant une base de données fiscales, foncières et urbaines et une cartographie numérique parcellaire et adressée. Ces montants élevés sont confirmés par la Coopération allemande qui fait état, de son côté, pour les deux outils installés à Ouidah et Abomey en 2006 d’un investissement de 157 883 592 FCFA [TONATO J. 2007]. Menés sur plusieurs années, les financements dégagés par les bailleurs de fonds sont également difficiles à mettre en parallèle avec les budgets des collectivités locales qui sont établis sur une année civile.  

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