Thèmes et tendances de recherche sur les maladies professionnelles

Thèmes et tendances de recherche sur les maladies professionnelles

Discussion au sujet de la recherche bibliographique

En préambule, il faut prendre en considération que notre travail a porté sur les expositions et les maladies professionnelles, ce à quoi ne saurait être restreinte la médecine du travail. Par son caractère transversal, elle regroupe également des publications sur la prévention, sur le maintien dans l’emploi, sur l’analyse tendancielle des accidents de travail, sur l’indication et la performance des équipements de protection individuelle, sur la qualité de vie au travail, sur les travailleurs vieillissants… Ces publications auraient nécessité, pour être analysées, l’utilisation d’une multitude de mots-clés, avec des choix forcément arbitraires, ce qui aurait conduit à, à la fois, trop de bruit et trop de silence en termes bibliométriques pour une analyse rigoureuse. De plus, il aurait fallu rechercher également dans des bases de données bibliographiques de psychologie, de sociologie voire de techniques de l’ingénieur.

Choix de l’outil de recherche

La base de données Medline de la NLM (avec son moteur de recherche PubMed) a été choisie pour plusieurs raisons. Tout d’abord, son accès gratuit, sa visibilité internationale, sa large couverture et ses critères de qualité en font un outil de référence pour la recherche bibliographique dans le domaine biomédical (20). Ainsi, depuis sa création il y a à peine plus de cinquante ans, elle s’est considérablement développée pour inclure en 2017 plus de 27 millions d’entrées. En outre, PubMed bénéficie d’un thésaurus hiérarchisé très efficace basé sur le MeSH, vocabulaire normalisé, régulièrement mis à jour par la NLM et utilisé pour décrire les articles de façon homogène, afin de pouvoir les retrouver facilement quels que soient les termes employés par leur(s) auteur(s). Chaque référence de Medline est donc indexée à l’aide 54 de ces mots-clés MeSH et d’autres paramètres9 , tels que le titre, l’année de publication, le nom des auteurs… Grâce à des combinaisons logiques utilisant les opérateurs booléens « AND » (ET), « OR » (OU), « NOT » (SANS), des recherches spécifiques peuvent être effectuées sur PubMed qui se révèle particulièrement adapté pour mener toutes sortes d’analyses bibliométriques. D’autres bases de données (Web of Science (21), Scopus, Embase…) se prêtent également à la bibliométrie et le fait de n’avoir ici consulté que Medline pourrait être perçu comme une limite car nous savons qu’une recherche bibliographique conduite sur une base de données unique est forcément incomplète (22). Néanmoins, une étude de 2010 , rapportant que la quasi-totalité des articles de santé au travail considérés comme de bonne qualité était répertoriée dans Medline (rappel proche de 90%), se prononçait favorablement à son utilisation seule du fait d’un bon compromis entre le temps consacré à la recherche et la pertinence des résultats (23)

Choix de la requête

Le service d’informatique médicale avec lequel nous avons coopéré dans le cadre de ce travail a été, au début des années 2000, à l’origine du concept de métaterme (24,25). Un métaterme correspond à l’ensemble des mots-clés (ou arborescences de mots-clés), qualificatifs, ou types de ressources caractérisant une spécialité médicale10 . Nous avons donc pensé dans un premier temps utiliser le métaterme « Médecine et santé au travail » pour notre requête et avons testé son efficience. Pour cela, nous avons consulté PubMed pour les principales revues de médecine du travail et avons croisé les résultats avec ceux procurés par le 9 https://www.nlm.nih.gov/bsd/mms/medlineelements.html 10 Source : CISMeF http://www.chu-rouen.fr/cismef/aide/glossaire/ 55 métaterme. Dans ces conditions, nous nous sommes aperçus que la proportion d’articles publiés par ces revues et non retrouvés par le métaterme dépassait les 20%. Les multiples tentatives pour réduire le silence tout en conservant un certain degré de précision se révélant peu satisfaisantes, l’idée du métaterme a été rejetée. Nous lui avons préféré une requête simple, reposant seulement sur deux mots-clés MeSH (« Occupational exposure » et « Occupational diseases »), jugés comme étant les plus pertinents dans le contexte de notre étude. En dépit d’un rappel imparfait, cette option confère une plus grande précision et est in fine plus adaptée pour l’évaluation de tendances, conformément au but de ce travail. Même si la médecine du travail ne se résume pas aux expositions et aux maladies professionnelles (raison pour laquelle la proportion de publications de médecine du travail au sein de Medline était certainement un peu supérieure à 0,6%), le nombre déjà conséquent d’articles retrouvés à partir de ces deux expressions, en plus de témoigner d’une importante littérature dédiée à la santé au travail, laisse supposer que nous en avons étudié l’un des champs les plus consistants. La principale force de notre étude provient effectivement de la grande quantité de publications analysées minimisant certains biais, par exemple celui induit par les erreurs d’indexation dans PubMed (26,27). Sachant que la plupart des journaux couvrant le champ de la médecine du travail ne bénéficie pas de facteurs d’impact très élevés, et que l’indexation par mots-clés des articles de revues à faible facteur d’impact survient avec un certain retard (28), nous avons choisi de ne pas intégrer dans notre requête les articles de 2016 et 2017, ce qui aurait indiqué une chute artificielle du nombre de publications pour notre discipline. Le fait de nous en tenir aux publications allant jusqu’au 31 décembre 2015 nous a donc épargné un biais lié à la non indexation des articles les plus récents. 

Discussion au sujet de la croissance de la littérature

Même si le nombre annuel de publications sur les maladies professionnelles continuent de progresser, il convient de nuancer ce résultat encourageant en soulignant que ces sujets, dont le poids au sein de Medline n’a cessé de baisser depuis le milieu des années 80, n’ont pas partagé l’intensification de la croissance de la production scientifique observée à l’aube du nouveau millénaire pour l’ensemble de la littérature biomédicale indexée dans cette base de données. La pénurie de médecins du travail déplorée dans de nombreux pays, notamment européens (Annexe 3), peut expliquer que la croissance de la littérature dédiée aux maladies professionnelles n’ait pas suivi l’engouement général. Une autre interprétation pourrait être que la relative baisse des publications dans le domaine des maladies professionnelles témoigne d’une baisse de leur incidence, mais les statistiques internationales vont malheureusement à l’encontre de cette interprétation. En effet, un rapport du BIT (Bureau International du Travail) de 2005 indiquait que le nombre de maladies professionnelles était en augmentation dans le monde en précisant que celles-ci étaient quatre fois plus pourvoyeuses de décès que les accidents du travail.

Discussion au sujet de la répartition géographique

Cette partie de notre travail doit être envisagée avec précaution à cause de certains facteurs de confusion : d’une part, le parallèle effectué entre la nationalité du premier auteur et l’origine de l’article peut être inexact, et d’autre part, même en raccourcissant notre période d’analyse, la proportion de 21% de pays indéterminés reste non négligeable. 11 Source : OMS http://www.who.int/mediacentre/news/releases/2005/pr18/fr/ (consultée le 12/12/2017) 57 Dans notre domaine, comme pour d’autres spécialités médicales (29–33), les Etats-Unis ont sans surprise été les plus contributifs. L’écart entre ce géant de la production scientifique et les autres pays est tel qu’il ne peut pas être le fruit du simple favoritisme de Medline envers les publications américaines : l’organisation de la recherche scientifique publique est vraisemblablement plus incitative aux Etats-Unis qu’ailleurs (34). En comparant avec la littérature existante (29–33), le 3 ème place de l’Italie s’avère inhabituelle ; à l’inverse, il est courant de retrouver le Royaume-Uni dans le trio de tête et l’Allemagne dans le « top 5 » des pays fournissant le plus d’articles. Compte tenu de leur faible population, les pays scandinaves et les Pays-Bas (qu’Ogden, suite à la relecture bibliométrique d’un demi-siècle du journal ‘Annals of Occupationnal Hygiene’ percevait comme des contributeurs en puissance (35)), se révèlent avoir grandement participé à la recherche sur les maladies professionnelles ; leurs indices d’activité élevés attestent d’ailleurs d’un intérêt prononcé en la matière. L’Inde, la Chine et le Brésil ne sont pas en reste si l’on intègre la faible richesse économique de leurs habitants. La Chine, dont la proportion du PIB investi dans la recherche et le développement a le plus progressé entre 1996 et 2015 (+270%) (Annexe 4), revendique sa volonté de devenir un acteur majeur de la recherche (36), mais d’après son faible indice d’activité dans le domaine des maladies professionnelles, la médecine du travail n’apparaît cependant pas être sa priorité. Cela concourt peut-être à la délocalisation en masse de nos entreprises fuyant les charges élevées associées à l’emploi (dont la mise en œuvre obligatoire d’un suivi de l’état de santé des salariés fait partie) vers ce pays où l’on peut craindre que la production, à bas coût, se fasse au détriment des conditions de travail des ouvriers (37). Nous avons confronté les variations du nombre de publications traitant des maladies professionnelles à celles de l’IDH ; il semblait exister une corrélation entre ces deux paramètres, plus flagrante pour les pays où la marge de progression en termes de développement humain 58 était large. Aussi cela laisse-t-il penser qu’un pays ne saurait vraiment se préoccuper de la santé au travail qu’une fois franchi un certain degré de développement, ce qui, malgré une forte amélioration de l’IDH, ne serait pas encore le cas de l’Inde. Pour confirmer cette hypothèse, une étude plus approfondie englobant davantage de pays en voie de développement serait nécessaire. Lorsque l’on se penche sur l’évolution de la production scientifique internationale consacrée aux maladies professionnelles sur les vingt dernières années, celle-ci n’a pas été homogène entre les différents pays. Les Etats-Unis, le Royaume-Uni et l’Allemagne, ont connu une élévation plus précoce du nombre de ces publications. Néanmoins, en 2015, l’Italie et la France ont finalement rattrapé le retard accusé auprès de leurs voisins européens. Face à cette augmentation globale de la littérature dédiée aux maladies professionnelles, il reste à espérer que le nombre de publications de ces pays ne subissent pas dans le futur le même sort qu’aux Etats-Unis. Comme le soulignait l’auteur d’un article retraçant l’histoire de la médecine du travail outre-Atlantique, notre discipline a toujours été influencée par l’économie, la politique et l’évolution de l’emploi (38). Ainsi, le récent effondrement du nombre de publications concernant les maladies professionnelles observé pour les Etats-Unis puise peut-être sa source dans la situation inconfortable de l’emploi constatée à peu près au même moment dans ce pays (Annexe 5). De même, il y a fort à parier que les variations du nombre de publications sur les maladies professionnelles que nous avons exposées pour les différentes nations, trouvent une explication dans les mutations politico-économiques qu’elles ont pu expérimenter. En s’inspirant d’un article de 2016 sur la recherche en acupuncture (39), il aurait été intéressant d’utiliser le nombre d’essais contrôlés randomisés comme indicateur pour apprécier la qualité de la contribution des différents pays, mais ce type d’études n’était pas assez répandu dans notre domaine pour autoriser cette approche.

Discussion au sujet des journaux

Notons que malgré une large couverture des journaux médicaux, Medline n’a pas la prétention d’être exhaustive… Sans parler des périodiques n’y ayant jamais été référencés, l’indexation de certaines revues a, d’une part, pu survenir de façon différée par rapport à la parution de leur premier numéro et, d’autre part, pu cesser alors que leur édition se poursuivait. Afin de limiter ce biais, la pondération des journaux a été effectuée à partir de leur période d’indexation dans cette base de données et non en fonction de leur durée d’existence. Néanmoins, l’indexation des revues dans Medline est une vraie question : par exemple, une revue qui publiait mais qui n’était pas indexée, a pu, au moment où son indexation a eu lieu, entraîner une augmentation artificielle du nombre de publications. De plus, Medline indexe principalement des journaux en langue anglaise, ce qui peut entraîner une surreprésentation des journaux américains et anglais, dont nous avons vu qu’ils étaient majoritaires parmi les journaux du premier groupe. Toutefois, une étude ayant utilisé le SCI (Science Citation Index) pour évaluer la production scientifique en santé au travail entre 1992 et 2001, avait aussi montré la prédominance des journaux américains dans notre spécialité (40). Tout d’abord, nous pouvons être frappés par le grand nombre de journaux identifiés. Cela sous-entend une dispersion importante des publications en santé au travail qui peut s’expliquer par le caractère transversal de notre discipline. La loi de Bradford montre qu’un nombre restreint de journaux concentre en fait la majeure partie des publications sur les maladies professionnelles. Une étude qui s’était intéressée aux journaux dont provenaient les publications traitant des deux mêmes sujets de santé au travail (expositions et maladies professionnelles) pour l’année 1998, avait déjà pointé 60 que moins de 2% des journaux identifiés participaient à plus de 25 % du nombre total d’articles retrouvés (28). L’analyse approfondie des revues figurant dans le premier tiers indique que celles fournissant le plus d’articles sur les maladies professionnelles sont essentiellement des revues dédiées à la santé au travail (le fait que celle-ci soit volontiers traitée avec la santé environnementale et la santé publique étant justifié par des problématiques communes) mais des revues spécialisées dans d’autres domaines, tels que la dermatologie ou la pneumologie, figurent également dans ce premier tiers, et laissent entrevoir l’importance des pathologies professionnelles dans ces disciplines, et donc, réciproquement, l’importance de ces disciplines dans notre pratique. Par ailleurs, nous aurions pu saluer la présence de Lancet, JAMA et BMJ dans le classement des journaux les plus contributifs en termes d’articles sur les maladies professionnelles, mais, rapportés à l’ensemble de leurs papiers, les articles à ce sujet n’ont sûrement pas pesé lourd à l’intérieur de ces revues prestigieuses. Gehanno et. al. rapportaient en 2012 qu’au cours des trois années retenues pour leur analyse, seulement 0,48% des articles de Lancet, NEJM (New England Journal of Medicine), JAMA et BMJ avaient pour sujet principal la médecine du travail (41). Cela laisse redouter une représentation insuffisante de notre discipline dans les revues médicales générales, qui n’offrent pas aux différents médecins qui les suivent un véritable aperçu de l’évolution des connaissances en médecine du travail, alors même que ces professionnels, dont la formation en la matière a souvent été maigre au cours de leur cursus (42,43), sont de plus en plus amenés à devoir prendre le relai de leurs trop rares confrères impliqués dans cette branche (44,45). Si nous avions poussé notre analyse au reste des journaux, nous aurions sans doute trouvé qu’une quantité notoire d’articles paraissait dans des journaux non spécialisés en médecine du travail, plus prisés des auteurs en raison d’un meilleur facteur d’impact (46). Cela 61 renvoie à la grande diversité des sources d’informations qui peut devenir embarrassante quand il s’agit de discerner parmi elles les plus appropriées à suivre au quotidien. Une étude parue en 2000 soulevait déjà cette difficulté et postulait que le simple suivi des journaux dédiés à la santé au travail ne pouvait répondre pleinement aux exigences des professionnels concernés par cette spécialité (28). Le facteur d’impact, définit comme « le nombre de fois où les articles issus d’un journal donné ont été cités » divisé par « le nombre d’articles publiés dans ce journal » au cours des deux années précédentes, est largement utilisé pour évaluer la performance d’un journal (47) malgré ses nombreuses limites (48). Il aurait été intéressant d’observer l’évolution au fil des années du facteur d’impact moyen des journaux dans lesquels ont été publiés les articles sur les maladies professionnelles. Pour cela, nous aurions dû associer chaque article au facteur d’impact de son journal d’origine pour l’année de sa publication. Le grand nombre d’articles et la longue période de notre étude (au cours de laquelle le facteur d’impact des différents journaux a pu varier, d’où le caractère strictement indicatif du « facteur d’impact sur 5 ans de 2015 » des journaux rapportés dans le tableau 3) ne nous ont pas permis de mener cette analyse que Ma et. al. ont entreprise en 2016 pour l’acupuncture : ils ont ainsi conclu à une plus grande qualité de la recherche dans ce domaine à travers l’élévation du niveau des journaux dont étaient issues leurs publications (39). Cependant, le recours au facteur d’impact du journal pour évaluer la qualité d’un article donné est plus que contestable, puisque qu’il n’y a pas de rapport entre le facteur d’impact d’une revue et le nombre de citations de ses articles pris individuellement .

Table des matières

1. Introduction
2. Méthode
2.1. Recherche bibliographique
2.2. Analyse des données sélectionnées
2.2.1. Croissance de la littérature
2.2.2. Répartition géographique
2.2.3. Journaux
2.2.4. Langues de publication
2.2.5. Accessibilité
2.2.6. Types de publication
2.2.7. Thèmes de publication
3. Résultats
3.1. Résultats concernant la croissance de la littérature
3.2. Résultats concernant la répartition géographique
3.3. Résultats concernant les journaux
3.4. Résultats concernant les langues de publication
3.5. Résultats concernant l’accessibilité
3.6. Résultats concernant les types de publication
3.7. Résultats concernant les thèmes de publication
4. Discussion
4.1. Discussion au sujet de la recherche bibliographique
4.1.1. Choix de l’outil de recherche .
4.1.2. Choix de la requête
4.2. Discussion au sujet de la croissance de la littérature
4.3. Discussion au sujet de la répartition géographique
4.4. Discussion au sujet des journaux
4.5. Discussion au sujet des langues de publication
4.6. Discussion au sujet de l’accessibilité
4.7. Discussion au sujet des types de publication
4.8. Discussion au sujet des thèmes de publication
5. Conclusion
Références bibliographiques
Annexes

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