TRAVERSÉE DES APPARENCES ET CINÉMA ANALOGIQUE OU NUMÉRIQUE

TRAVERSÉE DES APPARENCES ET CINÉMA ANALOGIQUE OU NUMÉRIQUE 

CHAIR ARGENTIQUE

– Le Drame des constructeurs d’Anne-Sophie Brabant e projet d’Anne-Sophie Brabant naît d’un désir de collaboration avec le metteur en scène Alexis Forestier qui décide en 1997 de monter Le Drame des constructeurs avec la compagnie théâtrale Les Endimanchés. À l’origine, le film accompagnait la pièce en un acte de 1930 de Henri Michaux. Présent en exergue, un carton reproduit les propos de Michaux décrivant sa pièce de théâtre : ’action se passe à la promenade des constructeurs, dans les allées du jardin entourant l’asile. Ils parlent en partie pour eux-mêmes, en partie pour l’univers. Leur apparence extérieure : adultes, penseurs, persécutés. n voit les gardiens dans le lointain. Chaque fois qu’ils approchent, les constructeurs se dispersent.610 Les gardiens incarnent ainsi une persistance d’un réel conventionnel (et donc « cadenassé ») et les constructeurs quelque chose de l’ordre de l’imaginaire : l’élaboration Le fantasme n’est pas évolutif. Néanmoins, à l’image, seuls les constructeurs sont présents. La persistance d’un réel attendu, convenu, ne serait-elle plus d’actualité ? Le film fut composé de sept « modules » , selon le terme d’Anne-Sophie Brabant, pour s’intégrer de manière fragmentaire à la pièce de théâtre. Un module était projeté à chaque fois que les gardiens avaient dispersé les constructeurs sur scène. Les acteurs alors hors-champ, une séquence du film était projetée pour le public.Le choix du fragment614 soulignait la dimension irréalisable du projet collectif et l’impasse dans laquelle se trouvaient les constructeurs. e principe de faire alterner spectacle vivant et projection cinématographique permettait de souligner la dimension de rêve éveillé de leur entreprise. Dans chaque module les constructeurs repartent de zéro, dans une folie répétitive. Le film a connu plusieurs présentations. Il a en particulier été projeté en salle pour la première fois au 10ème Festival des Cinémas Différents de Paris, indépendamment de la pièce de théâtre. Les modules ont été mis « bout à bout et ponctués par des plans noirs. » Les gardiens absents à l’image, les constructeurs ne sont interrompus que par des noirs fonctionnant comme des black-outs qui viennent faire éclater de manière brutale toute figuration pérenne et donc toute construction narrative. La bande-son, composée de bruits de démolition, accentue cette sensation. Avec les plans noirs, ce « son témoin » a pour rôle principal, d’« endosser la fonction des gardiens »,  d’en ponctuer le rôle de destruction. Il provient, non pas de la première étape (« théâtrale ») du film, qui était muette, mais d’une installation réalisée à partir des images du film (la deuxième version). La projection festivalière conservant cet aspect sonore617 est le dernier « devenir » paradoxal du film. Celui-ci est littéralement l’héritier du théâtre (les comédiens étant également, pour cette occasion, acteurs du film) et d’un cinéma « itinérant » (l’exposition du film évoquait lointainement une dimension foraine.) Ce cinéma se présente comme art total et work in progress. Sans dialogue, Anne-Sophie Brabant a mis à distance la pièce de Michaux. Elle n’a pas voulu adapter ce texte de manière littérale, mais plutôt rechercher une transposition plastique à la pièce de théâtre. Comment a-t-elle procédé ?

– Schwarzer Garten (Black Garden) de Dietmar Brehm

Schwarzer Garten (Black Garden) est le titre d’une série de six films réalisés entre 1987 et 1999.649 Plans de found footage (films érotiques et pornographiques) de fictions plus classiques (fragments de films de guerre ou d’espionnage, romances holl woodiennes… ou de documentaires en particulier des plans d’opérations chirurgicales et de la vie animale s’entremêlent. À cela s’ajoutent des images appartenant à l’auteur. Le cinéaste filme à nouveau ces images sur une pellicule noir et blanc en variant la mise au point. ’éclairage des figures se modifie suite aux réglages qui les sur- ou sous-exposent sans concession, les corps perdent de leur substance tandis que les décors tendent à disparaître, les formes se confondent souvent entre elles. Les plans, parfois identiques d’un film à l’autre, sont déformés par un refus de netteté. Qui plus est, des bouleversements du défilement de la pellicule refilmée imposent à l’image un clignotement qui vient parasiter la figuration déjà instable à cause des variations de mise au point provoquant la présence d’un noir et blanc extrêmement granuleux. e plan et la figure qu’il recèle varient, comme l’explique l’artiste, « du pleinement identifiable au complètement désintégré. » 650 n passe d’une représentation mimétique aux figures et aux couleurs parfaitement identifiables à celle d’éléments informes qui finissent toujours par être menacés d’un devenir abstrait. Le scintillement maintenant perceptible fait vaciller la figure dans l’informe…651 Brehm manipule la représentation visuelle d’origine jusqu’aux limites du perceptible. Au couple forme-couleurs spectrales se substitue un noir et blanc qui voile la représentation mimétique habituelle et joue autant la carte du coloris que celle du dessin dans une oscillation permanente : le chromatisme tend ainsi vers une existence autonome qui n’est plus forcément contenue par une figure. Par delà les corps qui se confondent avec les décors, les noir et blanc se rencontrent et ne semblent plus délimiter aucune figure propre, mais paraissent plutôt s’en échapper à travers les jeux de dérèglement de la mise au point qui vont jusqu’à les no er par intermittence. D’un plan à l’autre et quelquefois dans un même plan, la couleur peut se libérer de tout encerclement formel, puis être à nouveau emprisonnée un instant pour s’en délivrer juste après.652 e visible semble modulé par la main du cinéaste qui l’emprisonne métaphoriquement et va, pourrait-on dire, jusqu’à l’étrangler. a figure s’évide alors de ce qu’elle contient puisque, nous l’avons dit, la couleur prend son autonomie par rapport au trait. a dimension manuelle prime sur la vue et transforme ces films en œuvres littéralement tactiles. Le travail artisanal s’affiche comme tel : le cinéaste va parfois jusqu’à mettre la main sur l’objectif. À d’autres moments, les plans sont recadrés de manière trop rapprochée : la figure est tronquée et devient indiscernable ou quasiment méconnaissable. Le noir et blanc peut d’ailleurs lui aussi devenir une bichromie bâtarde, ni noir et blanc littéral ni couleur spectrale. Ainsi, si Black Garden est entièrement filmé en noir et blanc, The Murder Mystery, premier film de la série, se distingue par d’autres bichromies. Les plans se teintent au début de vert foncé puis le sépia et les rouges sombres dominent après un fugace moment orangé qui englue alors les figures comme quelque volcan en fusion.

Cours gratuitTélécharger le cours complet

Télécharger aussi :

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *