Un spectacle d’exception comprendre ce qui se passe à l’intérieur des Opéras en France

Un spectacle d’exception

Chercher à comprendre ce qui se passe à l’intérieur des Opéras en France, c’est se heurter à un faisceau constant d’éléments en interaction : la réalité structurelle (statut, emplois, jauge, mode de production, patrimoine immobilier), les pratiques intégrées, les publics, les contrats, les conventions, les star-systèmes, l’industrie du disque, les organigrammes formels et informels, etc., soit un ensemble de dispositifs tissés à même des dispositifs et interdépendants d’autres encore. Ce tissu est d’autant plus complexe qu’il est lié aux pouvoirs publics à plus d’une échelle à travers le temps. Tenter la construction permettant de comprendre et de faire voir la dynamique de ces éléments en jeu demande de faire appel à un design de recherche inédit et adapté. Aucune explication simple ne peut être apportée. Le document que nous soumettons ici s’ouvre sur une présentation de ces opéra, habitués à s’organiser en huis clos dans une logique abstraite des conditions de l’industrie culturelle, forte de l’image de l’antre du théâtre à l’italienne, où le rituel commençait au bas de leur escalier. Sans en séparer de manière étanche les échelles temporelles, nous nous demanderons quelles sont les pratiques et les stratégies mises en œuvre, depuis la fin des années 1990, pour faire passer ces maisons dont le rayonnement dépasse le territoire régional, au stade d’outils culturels, d’acteurs phare d’un projet de territoire, alors qu’aucune politique du lyrique n’existe en France. L’opéra peut aisément se targuer d’être un des lieux par excellence où se rencontrent les valeurs économiques et les valeurs symboliques. Comme forme artistique, le spectacle d’opéra arrive en France dans l’ordre social de l’Ancien régime où moins de 20 % (le clergé, les nobles et les militaires) de la population le fréquente, du moins potentiellement. Plus de 80 % de la population, le Tiers-État, n’est pas ou peu concerné par le spectacle ailleurs que depuis la rue, d’où il lui est possible de voir, de près, ceux qui s’y rendent, soit les souverains, les ordres et quelques invités. Au XXIe siècle, cet ordre n’a plus la même étanchéité. Pourtant, vu les enjeux qu’il mobilise, l’opéra reste un élément d’exception.

Si la taille du soutien financier en provenance des pouvoirs publics constitue une preuve de l’importance d’un art, alors, l’opéra est certainement le plus important de tous les arts (Bereson 2003), peu importe les changements dans le titre ou dans la manière de le subventionner, peu importe son positionnement dans l’ordre culturel (Bereson 2003 : 35). Les financements publics sont la seule solution de sa survie dans la mesure où les pouvoirs qui les octroient en sont devenus, en France, les acheteurs quasi uniques (Chabert 2001:64). Cet état de fait perdure, qu’il fasse l’objet ou non d’une rationalisation, et que soient adoptés ou non les modes de valorisation calqués sur l’entreprise privée. D’ailleurs, ces modes se confinent, du moins en apparence, à sa périphérie. Pour combien de temps encore ? liés au spectacle d’opéra2. La forme artistique elle-même subit la concurrence en son sein, entre le répertoire et la création, que l’on dit atrophiée depuis longtemps (Saint-Pulgent 1991). On constate par ailleurs l’immobilité du répertoire lyrique à l’échelle mondiale, une immobilité qui montre la domination des mêmes œuvres dans tous les grands Opéras partout dans le monde (Agid & Tarondeau 2010). Les conflits engendrés par une série de paradoxes démontrent, selon Chabert, la particularité de l’opéra dans le domaine du spectacle vivant. On sent en réalité une dislocation pour un secteur dont la problématique ne semble pas connaître d’issue. Le soutien répond avant tout au besoin de maintenir en vie ces institutions héritées de l’histoire. Malgré le soutien de l’État, qui par ailleurs ne concerne qu’un nombre réduit de structures, le coût reste très important pour les municipalités.

Soutenir l’opéra et ses maisons constitue un choix qui doit sans cesse être légitimé selon les critères et cadres du moment. Les critères d’accès et de succès ont leurs règles, et il semblerait que le commanditaire ait le dernier mot, que la salle soit pleine ou non. C’est pourquoi, nous rappelle Ruth Bereson, parler de subventions sans tenir compte de la tradition, de l’esthétique, des normes et des conventions serait au mieux limité ou naïf, au pire tout simplement frauduleux (2003 : 11). L’opéra a servi à divertir et à légitimer le pouvoir de l’État au travers de l’utilisation de rituels cérémoniels depuis ses débuts dans les palais ducaux de l’Italie du XVIIe (Bereson 2002). On n’imagine guère un genre artistique plus utile que l’opéra, capable de représenter la société et sa hiérarchie et la renforcer avec le ballet, la musique et les voix les plus raffinés dans des dispositifs scéniques spectaculaires pour éblouir le public habitué à ce genre de « grandiose display » (Bereson 2002:35).

 

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