La notion de compétence

La notion de compétence

Avant de tenter de définir la notion de compétence du point de vue de la psychologie du travail, il convient au préalable de souligner la difficulté pour le psychologue d’évaluer certaines capacités d’action réalisées par un individu dans le champ professionnel en les interprétant – par voie d’extrapolation – comme des « compétences ». Dans le cadre du BC, le conseiller-bilan considère les faits relatés par le bénéficiaire comme des éléments objectivables, des variables rendues en quelque sorte indépendantes de leur réalisation pratique au sein de l’entreprise. De plus cette mise en pratique des compétences s’effectue dans un environnement professionnel propre à chaque entité et susceptible d’évolutions décidées – non par le salarié ou par l’entité – mais par la nécessité de répondre aux exigences du marché (évolutions en termes de clientèle, de concurrence ou d’innovations technologiques). 1.1. La notion de compétence définie par une pratique Dans le domaine du travail, la compétence caractérise les capacités potentielles ou effectives des travailleurs pour agir efficacement en fonction des exigences liées à leur emploi en fonction du contexte des entreprises. A l’instar de Lemoine (2010, p. 23), qui souligne combien la notion de compétences est « ambigüe puisque spontanément des compétences renvoient à celui qui les possède alors que leur mise en ouvre, seule observable, dépend du milieu et des conditions extérieures », nous constatons que la notion de compétence est essentiellement issue de la pratique des entreprises post-tayloriennes et qu’elle n’est pas exempte d’enjeux idéologiques. Comme le souligne Gilbert (2006), il s’agit d’un « concept nomade » qui comprend une pluralité de significations en usage dans différents champs disciplinaires (psychologie, sciences de l’éducation et de l’orientation, sciences de gestion…) et faisant l’objet d’enjeux sociaux (politique, organisationnel, formation professionnelle, etc.). Ainsi, s’il peut sembler vain de chercher une définition universelle à la compétence, nous mettrons ici en avant les principales caractéristiques de cette notion telle qu’elle s’est développée en France.Récemment, Aubret (2011, p. 148) souligne un certain désarroi de la part des auteurs scientifiques quant à l’absence d’une définition scientifique fondée de la compétence, lorsqu’il constate que la notion de « compétence s’est progressivement imposée dans le vocabulaire de la gestion des ressources humaines sans toutefois que l’on puisse percevoir une unité de significations dans les usages de ce terme comme nous l’avons souligné à plusieurs reprises (Aubret, Gilbert& Pigeyre, 1993)». De surcroît, ce flou dans la définition de la compétence laisse une place à de nombreuses manipulations ou quiproquo possibles. Si la compétence est jugée comme un élément observable objectivement par certains acteurs importants tels que le MEDEF, la notion de compétence ne mériterait-elle pas d’être validée par la communauté scientifique ou du moins ne pourrait-on pas dégager une terminologie, prise sous la forme d’une acception commune qui s’établirait dans la pratique des professionnels de la formation ? Pour comprendre pourquoi il est difficile de donner une définition unique de la compétence, il convient selon nous de comprendre comment cette notion a été construite avant d’être institutionnalisée. Pour certains auteurs tels que Coulet (2011, p. 30), la notion de compétence appartient à l’origine au vocabulaire du « management » et mérite d’être « encore travaillée théoriquement afin de lui donner le statut d’un véritable concept scientifique ». Partant de là, l’auteur constate que la compétence, en tant qu’objet de recherche, est l’enjeu de débats entre différents champs épistémologiques d’une part (psychologie, sociologie, sciences de la gestion) et a été appropriée par le champ institutionnel d’autre part. Cette appropriation par le champ institutionnel s’est faite en tant que dispositif d’action publique, dans le cadre de la formation professionnelle à partir des années 1990. De notre point de vue, l’analyse de la littérature sur le sujet ne met qu’insuffisamment en lumière cette double affiliation de la notion de compétence, ce qui laisse naître certains équivoques. A cet égard, Danvers (2009, p. 72) retient la définition prudente de Joras (2007) selon laquelle la compétence est « l’ensemble des savoirs mobilisés et mobilisables dans une situation de travail ». Cette définition peut sembler vague mais elle a le mérite de pointer le caractère de processus que revêt la compétence. En effet, le concept de compétence est par nature «flexible » : cette dernière n’est identifiable que de manière relative car elle est le fruit du contexte professionnel où le salarié se trouve et déploie ses savoirs professionnels en fonction des missions qu’il doit réussir. L’entreprise, de son côté, fait appel à des personnes capables  de remplir les missions, mais qui possède aussi un socle de savoirs et d’expériences professionnelles lui permettant d’évoluer en cas de besoin. 

De la notion de qualification à l’émergence de la notion de compétence

Il semble que la meilleure méthode pour cerner une notion à la fois très utilisée dans la pratique et peu interrogée sur le plan théorique, soit d’emprunter le chemin de l’analyse historique. Ce chemin permet de mieux comprendre, comme le souligne Dolz (2002), comment cette notion s’est répandue depuis les années 1980 dans le monde du travail et de la formation professionnelle avec tant de succès. Sur un plan historique, dans le système français des relations professionnelles, la notion de qualification est apparue pour la première fois après la Seconde Guerre mondiale. Elle est étroitement associée aux grilles qui sont parties intégrantes des conventions collectives mises en place après 1945 (Tallard, 2002). Elles sont en partie le résultat d’une négociation par branche professionnelle qui a établi une hiérarchie des métiers et des salaires légitimes. Dans ce système, le salaire est conditionné essentiellement par la qualification du salarié et de son ancienneté correspondant à son expérience : la fameuse « grille des salaires » (Meurs et Skalli, 1997). Dans cette mesure, elles sont ancrées dans une histoire et une culture de branche et à ce titre les grilles de salaires constituent le pivot de l’identité professionnelle des branches. En effet, il existe en France un double niveau de négociations salariales : les négociations de branche, au cours desquelles sont négociés les grilles de classification et les minimas conventionnels, et les négociations annuelles d’entreprise avec les représentants syndicaux, qui ont pour objet les salaires effectifs. Cette négociation lie étroitement le salaire à la place qu’occupe un salarié dans la grille. Cette double légitimité est par ailleurs conférée par le fait qu’issues d’une négociation, les qualifications définies expriment un compromis accepté par l’ensemble des acteurs. Politiquement, ce compromis s’est articulé autour de deux modèles, celui du métier puis celui du poste de travail tenu par les Ouvriers spécialisés, ces références permettant de souligner le caractère collectif de ces grilles. Partant de là, nous constatons avec Danvers (2009, p.463), le caractère « officiel » qui donne une tournure institutionnelle à la notion de qualification. Premièrement, la qualification apparaît comme l’expression d’un besoin du système économique de classer les salariés dans des catégories professionnelles et statutaires. Secondement, cette notion correspond à une formalisation par le système éducatif d’un niveau de connaissances matérialisé par un diplôme. Comme le signale Alaluf (1986), la qualification est définie dans un cadre institutionnel, issue d’une négociation paritaire entre la direction et les syndicats d’une entreprise ou d’une branche : « La qualification se rapporte aux capacités nécessaires pour occuper un poste ou un emploi, alors que la classification implique leur classement en un ordre relatif. Les classifications professionnelles sont donc un système de classement et de hiérarchisation des différentes capacités de travail, appelées qualifications, qui peuvent déterminer la hiérarchie des salaires ». 

Approche sociologique de la compétence

Au vu des dimensions sociales et institutionnelles qui fondent le bilan de compétences, il nous semble ici pertinent d’élargir nos perspectives théoriques à une approche sociologique, même si elle peut se montrer radicale dans sa critique des enjeux sociaux. Dans cette perspective, Bourdieu, en parlant de « compétence spécifique », met la notion de compétence au centre de sa théorie du champ social. Il la définit entre autres en convoquant la compétence économique : « loin d’être une simple capacité technique acquise dans certaines conditions, la compétence économique, comme toute compétence (linguistique, politique, etc.), est un pouvoir tacitement reconnu à ceux qui ont un pouvoir sur l’économie ou, le mot le dit, une sorte d’attribut statutaire » (Bourdieu, 1980, p. 107). L’auteur se place donc dans une approche politique qui se superpose à la technique comme « filtre » sur les actions possibles que peut effectuer un individu au sein d’un champ social : il doit à la fois maîtriser des techniques particulières et se trouver dans une position sociale qui lui donne le statut pour agir. Dans son ouvrage sur La noblesse d’Etat, Bourdieu marque clairement sa préférence pour une approche multidimensionnelle de la compétence résultant du statut des individus dans l’échelle des postions sociale : « La part faite à la capacité et à la dignité, au faire et à l’être, au technique et au symbolique, varie fortement selon la position hiérarchique des titres et des postes auxquels ils donnent accès : ainsi, dans les taxinomies officielles, les agents sont de plus en plus définis par ce qu’ils font, par les capacités ou les tâches techniquement définies qui sont inscrites dans leur 30 titre ou leur poste, à mesure que l’on descend dans la hiérarchie ; et de plus en plus, au contraire, par ce qu’ils sont, à mesure qu’on s’élève, comme si l’on demandait de moins en moins (relativement) de garanties techniques lorsque croît la dignité » (Bourdieu, 1989, p. 168). Dans le domaine de la production des normes de compétences, Bourdieu a mis en exergue l’importance des rapports de domination : « les dominants tendent toujours à imposer comme nécessaires et légitimes les capacités dont ils ont la maîtrise et à inscrire dans la définition de l’excellence les pratiques dans lesquelles ils excellent ». (Ibid.) En ce qui concerne le bilan de compétences, les sociologues portent leur analyse sur cette démarche dans le cadre des rapports de travail avec le contexte économique et social post-taylorien dans lequel elle se place (Bekourian, 1991). L’entreprise recourt au bilan de compétences sollicitant une « forme d’individualité narcissique » dans un contexte de déficit organisationnel. De plus, le concept de compétence implique profondément et personnellement l’individu, alors qu’en retour, l’entreprise apparaît comme le seul théâtre légitime de sa réalisation. Si le bilan peut, malgré tout, garder une fonction intégratrice pour le salarié, c’est par la reconnaissance d’un professionnalisme individuel qui s’intègre dans le professionnalisme collectif que l’entreprise aura su préalablement concevoir et mettre en œuvre. Par ailleurs, la sociologie insiste sur l’intrication entre les éléments biographiques personnels et professionnels qui influencent dans un phénomène de réciprocité les trajectoires de vie dont la reconversion professionnelle peut-être une des forme « bifurcation » (Negroni, 2005). Cette approche n’est pas sans analogie avec la psychologie du travail puisqu’elle implique une analyse des facteurs personnels. Ainsi, lorsque l’auteur affirme : « la réorientation professionnelle ne se résume pas à la construction d’un projet professionnel qui consisterait en la simple adaptation d’un individu à un nouvel emploi ; pour que la translation soit réussie, le projet doit être entendu comme projection de soi dans le futur ». (Ibid., p.326). L’approche sociologique des « life-course transitions » et « turning points » (Hareven & Masaoka, 1988) définit certaines étapes comme des points charnières dans le cours d’une vie. Basée à partir d’une approche quantitative, les auteurs tentent de déterminer des marqueurs perceptibles du cours de la vie. Ce qui différencie essentiellement la sociologie de la psychologie est que l’analyse porte sure des catégories sociales alors que la psychologie tentera de définir des types psychologiques. 

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