Analyse spatio-temporelle de la morphologie des rivières en tresses par LiDAR aéroporté

Analyse spatio-temporelle de la morphologie des rivières en tresses par LiDAR aéroporté

Les rivières en tresses 

Définition

Les rivières en tresses sont caractérisées par un réseau complexe de chenaux multiples très mobiles dans l’espace et dans le temps, séparés par des bancs sédimentaires pas ou peu végétalisés, qui sont émergés en période de basses et moyennes eaux. Les rivières en tresses sont présentes dans des contextes géographique et climatique très variés. On les trouve aussi bien en zone de montagne qu’en plaine et sous des climats arides, méditerranéens ou encore tropicaux. Cette forte variabilité se traduit par une large gamme d’altitudes, de pentes, de tailles de bassin versant, de régimes hydrologiques et de granulométries (charge sableuse ou graveleuse) (Fig. 1). Le style en tresses a été identifié dès les premiers travaux de classification des styles fluviaux (Leopold and Wolman, 1957), le différenciant des styles à lit unique, rectiligne et méandriforme. Schumm (1985) a suggéré une distinction entre le style en tresses et le style anastomosé, caractérisé par la présence d’îles souvent très densément végétalisées et plutôt par une faible dynamique. Plus récemment, Nanson et Knighton (1996) ont introduit le style en anabranches qui correspond à la diffluence de différents chenaux autonomes, ces chenaux pouvant être de type rectiligne, méandriforme ou en tresses (Fig. 2). Le style divaguant (« wandering ») est souvent défini comme un style de transition entre le style en tresses et le style à méandre (Ferguson and Werrity, 1983). Ce style se caractérise par un chenal principal très sinueux à travers une bande active rectiligne et largement occupée par des bancs de galets. Le nombre de chenaux est cependant faible et la bande active plus étroite que celle des tronçons en tresses. Etat de la question et problématique scientifique Fig. 1. Exemples de rivières en tresses dans le monde; rivières à granulométrie grossière (A, B, C) et à granulométrie fine (D) de largeur de bande active allant de plus de 15 km (C) à 200 m (B) ; A) Rakaia River, Nouvelle Zélande ; B) la Bléone, France ; C) Brahmaputra River, Asie ; (D) South Saskatchewan River, Canada ; Source : Google earth. Fig. 2. Classification des styles fluviaux, d’après Nanson et Knighton, 1996. Brice (1978) a réalisé une classification du style en tresses en fonction de la densité des îles végétalisées et par la suite, Schumm (1985) a différencié les styles « bar-braided » et « islandbraided », sur la base de la fréquence d’îles végétalisées stables. Cette typologie a été reprise dans les travaux sur le Tagliamento en Italie, le définissant comme « island-braided » (e.g.Gurnell and Petts, 2002, Fig.3). Le style « island-braided » est considéré par certains auteurs comme un autre style de rivière en tresses bien différencié du style « bar-braided ». Il serait lié à des conditions spécifiques de bassins versants et de conditions locales (Edwards et al., 1999; Gurnell et al., 2001; Gurnell et al., 2005). D’autres auteurs voient ces deux styles comme des stades d’évolution différents des rivières en tresses liés à l’histoire des crues et à l’abondance des apports sédimentaires (Belletti et al., 2013b). Etat de la question et problématique scientifique -17- Fig. 3. Vue oblique du Tagliamento (Copyright Diego Cruciat. Licensed under the Creative Commons 3.0 license). 1.2. Les conditions du tressage Différents facteurs d’occurrence des lits en tresses ont été mis en évidence : l’abondance de la charge de fond, des berges relativement peu cohésives et érodables, permettant la mobilité latérale, et une puissance fluviale relativement forte (pente et débit) (Leopold and Wolman, 1957; Ferguson, 1987; Knighton, 1998). La faible végétalisation du lit et des berges favoriserait l’occurrence des tresses en réduisant la cohésion des bancs et le dépôt de fines, et permettant au chenal de s’élargir et de migrer latéralement. Cette absence ou faible densité de végétation peut être liée aux conditions climatiques ou à la fréquence de remobilisation du lit par les crues par rapport au taux de croissance de la végétation (Paola, 2001; Hicks et al., 2008). Paola (2001) a défini cette temporalité par T*, un indice sans dimension défini par T*= TvegE/B, où Tveg est le temps nécessaire à la colonisation et à la croissance de la végétation vers un stade mature résistant à l’érosion, E est le taux annuel moyen d’érosion latérale du lit actif et B est la largeur du lit actif. T*<1 indique un taux de croissance élevé par rapport à la migration du chenal, T* >1 indique une migration rapide du chenal par rapport à la croissance de la végétation. Des travaux conduits en canal expérimental ont aussi clairement montré que l’extension de la végétation au sein d’un lit en tresses favorise une métamorphose fluviale, le style en tresses cédant place à un lit à chenal unique (Tal et al., 2004; Tal and Paola, 2010). 

Etat des rivières en tresses en France

Dans le bassin du Rhône, le style en tresses a connu une phase d’extension à partir du 14ème siècle jusqu’à la fin du 18ème siècle (Bravard, 1989, 2000). Durant cette période, le tressage est favorisé par la dégradation anthropique du couvert végétal amplifiant la production sédimentaire au cours des 17ème et 18ème siècles dans un contexte climatique favorable (Petit Âge Glaciaire). A partir du début du 20ème siècle, ce style fluvial enregistre un recul dans les Alpes françaises. Un recensement des rivières en tresses dans ce secteur a mis en évidence une disparition de 53 % du linéaire des tronçons tressés (i.e. 559 km) au cours du dernier siècle (Piégay et al., 2009). Les rivières les plus affectées sont les grandes rivières (Isère, Rhône, Durance, Arve, Verdon et Var) et celles localisées dans les Alpes du Nord (Fig. 4). L’endiguement, les aménagements hydroélectriques et les extractions de graviers sont considérés comme étant les principales causes de ces évolutions. L’étude de la dynamique latérale d’une cinquantaine de tronçons en tresses du bassin du Rhône (Belletti et al., 2013b) et de la trajectoire géomorphologique de trente d’entre eux (Liébault et al., 2013a) a mis en évidence un rétrécissement et une incision de la bande active pour respectivement 80 et 56% des tronçons au cours du 20ème siècle. L’incision est associée à la présence de sites d’extraction de graviers alors que les sections en exhaussement présentent une recharge sédimentaire plus importante en provenance des berges et de torrents actifs. Un gradient Alpes du Nord/Alpes du Sud a été observé avec une incision généralisée et un rétrécissement plus important pour les Alpes du Nord. Dans les Alpes du Sud, un gradient est/ouest est observé avec les tronçons les plus actifs et en exhaussement à l’est. Ces études régionales font suite à de nombreuses études de cas montrant cette incision et cette rétraction des rivières en tresses françaises depuis le 19ème siècle : sur l’Eygues (Kondolf et al., 2007), sur des rivières du bassin de la Drôme, du Roubion et de l’Eygues (Liébault and Piégay, 2002) ou encore sur les grandes rivières (Isère, Rhône, Durance, Arve, Drôme et Var) (Bravard and Peiry, 1993). Etat de la question et problématique scientifique -19- Fig. 4. A) Localisation du district Rhône-Méditerranée en France (excepté les parties basses et ouest du bassin de la Saône) ; Recensement des rivières en tresse en noir du district RhôneMéditerranée au 18ème et milieu du 19ème siècle (B) et au début du 21ème siècle (C) (modifié d’après Piégay et al., 2009). Cette tendance à la disparition du tressage a aussi été largement observée dans les Alpes italiennes (Surian and Rinaldi, 2003). Des études récentes ont cependant montré une tendance à l’élargissement de certaines rivières en tresses italiennes depuis la fin des années 1990 (Surian and Rinaldi, 2003; Surian, 2009; Surian et al., 2009b; Comiti et al., 2011; Ziliani and Surian, 2012, Fig. 5). Cette tendance récente est attribuée à l’interruption des extractions de graviers depuis la fin des années 1970. Cet élargissement a aussi été localement observé sur les rivières en tresses françaises (Piégay et al., 2009; Belletti et al., 2013b). Belleti et al. (2013b) ont montré que ce phénomène était lié à des crues récentes dans un contexte régional favorable en termes d’apport sédimentaire.

Evolution de la largeur de la bande active du Tagliamento (Italie)

durant les deux derniers siècles; la phase 1 correspond à 33% de rétrécissement de la bande active, la phase 2 à 56% avec un taux de 6-18 m/an et la phase 3 à un processus modéré d’élargissement (4 m/an) (modifié d’après Ziliani and Surian, 2012). 2. Morphologie des rivières en tresses 2.1. Morphologie générale des rivières en tresses Le paysage d’une rivière en tresses se compose de différentes unités morphologiques, remaniées à des échelles de temps différentes par des crues d’intensité variable. Ces unités se distinguent par le taux de recouvrement et le stade de développement du couvert végétal, la granulométrie, la fréquence d’inondation et la stabilité de la surface (Reinfelds and Nanson, 1993; Haschenburger and Cowie, 2009). La bande active correspond aux chenaux en eau et aux bancs de graviers non végétalisés (Fig. 6A). Ces surfaces sont généralement remaniées par des crues annuelles ou biannuelles. Récemment, des expériences en laboratoire ont montré que le transport solide ne s’effectuait pas dans tous les chenaux en eau, différenciant les chenaux actifs des chenaux inactifs (Bertoldi et al., 2009b; Ashmore et al., 2011). La bande fluviale inclut la bande active et les îles végétalisées, c’est-à-dire les patchs de végétation entourés par des bancs de graviers ou des chenaux en eau. Le corridor naturel intègre la bande fluviale et les peuplements spontanés riverains (Piégay et al., 2009). Le corridor naturel se compose de niveaux topographiques variés et de peuplements végétaux ayant atteint des stades de développement différents (végétation pionnière à mature).

Etat de la question et problématique scientifique 

Le profil en travers des rivières en tresses est caractérisé par un ratio largeur sur profondeur élevé, typiquement supérieur à 20 (Fig. 6B). Pour un tronçon donné, les chenaux en eau observés au sein de la bande active diffèrent en termes de pente, de profondeur d’eau et d’altitude relative. Fig. 6. Photographie illustrant les unités morphologiques caractéristiques d’une rivière en tresses (A) ; Ba : bande active ; Bf : bande fluviale ; AA’ situation de la section en travers correspondant au profil en travers de la figure 6B (exemple de la Bléone, Source : www.photographeAerien.com pour Agence de l’eau Rhône Méditerranée et Corse).

Les bancs alluviaux

Les premiers travaux sur la morphologie des rivières en tresses définissent les bancs comme les formes sédimentaires élémentaires des rivières en tresses (Krigström, 1962; Smith, 1974; Church and Jones, 1982). Plusieurs auteurs ont mis en évidence l’existence de nappes de charriage (« gravel sheet » ; Whiting et al., 1988; Ashmore, 1991b), qui correspondent à une zone de dépôt alluvionnaire résultant d’un événement hydrologique. Elles sont composées de graviers ou de sables, d’une épaisseur de quelques diamètres de grain, les limites peuvent être définies par une rupture de pente nette et des changements visibles de granulométrie ou par un front diffus superposé à la couche sous-jacente (« diffuse gravel sheet » ; Whiting et al., 1988). Les bancs unitaires (Fig. 7), qui sont composés d’une ou plusieurs nappes de charriage peuvent être médians, longitudinaux, transversaux, diagonaux ou latéraux (« point-bars ») en fonction principalement de Chapitre 1 -22- leur forme et de leur localisation dans le chenal (Church and Jones, 1982; Fig. 8). Ces formes de bancs simples peuvent coexister côte à côte dans des bancs complexes, pouvant avoir un noyau végétalisé. Ces bancs composites reflètent la complexité des processus sédimentaires (érosion et dépôt) qui sont à l’origine du motif de tressage. Cette classification hiérarchique des bancs a aussi récemment été mise en évidence dans des études in situ sur la formation et l’évolution des bancs de rivières au style divaguant (Rice et al., 2009; Ham and Church, 2012). Fig. 7. Exemple de bancs unitaires sur la rivière du Bès (Alpes de Haute-Provence, France). Fig. 8. Schéma illustrant la typologie des bancs d’une rivière en tresses et leurs principales évolutions, d’après Church et Jones (1982) modifié par Buffington et Montgomery (2013). Etat de la question et problématique scientifique

Unité confluence – bifurcation

L’unité confluence-banc/bifurcation est aussi définie comme un élément morphologique élémentaire des rivières en tresses. La zone de confluence contrôle la direction et l’abondance du flux sédimentaire dans le réseau de chenaux en aval et in fine le processus de sédimentation des bancs. Les confluences sont des zones de transfert entre les sites d’érosion amont et les sites de dépôt aval. Certaines études ont montré une analogie entre l’unité confluence-banc/bifurcation et l’unité seuil-mouille des rivières à chenal unique. Un lien statistique a été établi entre la longueur d’onde de l’unité seuil-mouille et la longueur d’onde de l’unité confluence/bifurcation (Ashmore, 2001; Bertoldi and Tubino, 2007; Hundey and Ashmore, 2009). La longueur de l’unité confluence-bifurcation est approximativement 4-5 fois la largeur du chenal actif (Ashworth, 1996; Hundey and Ashmore, 2009). 2.4. Le réseau de tressage Certains auteurs ont proposé des classifications hiérarchiques simples fondées sur l’ordination des chenaux et bancs (Williams and Rust, 1969; Jackson, 1975; Bristow, 1987; Bridge, 1993 ; Figure 9A à C).Williams and Rust (1969, Fig. 9A) différencient trois niveaux de chenaux et de bancs, avec un premier niveau qui correspond aux principaux chenaux qui s’écoulent autour des bancs d’ordre 1. Les deuxième et troisième niveaux correspondent à la dissection du banc d’ordre 1. Pour Bristow (1987, Fig. 9B), l’ordre des bancs se réfère à l’ordre des chenaux qui les entourent. Bridge (1993, Fig. 9C) simplifie cette hiérarchisation en définissant les bancs principaux et les chenaux adjacents par l’ordre 1 et les chenaux incisant ces bancs par l’ordre 2. Church et Jones (1982) proposent une hiérarchisation fondée sur le comptage des jonctions de chenaux et des bancs pour un nombre de chenaux fondamentaux définis par une longueur d’onde donnée (Fig. 9D). Ces classifications ont été critiquées car elles sont dépendantes du débit (Jackson, 1978; Smith, 1978; Bridge, 1993 in Ham and Church, 2012)

Table des matières

Remerciements
Sommaire
Résumé
Abstract
Chapitre 1 .Etat de la question et problématique scientifique.
A. Cadre scientifique.
1. Les rivières en tresses
1.1. Définition
1.2. Les conditions du tressage
1.3. Etat des rivières en tresses en France
2. Morphologie des rivières en tresses.
2.1. Morphologie générale des rivières en tresses
2.2. Les bancs alluviaux.21
2.3. Unité confluence – bifurcation
2.4. Le réseau de tressage
2.5. Indicateurs morphologiques
2.6. Facteurs externes influençant le tressage
3. Dynamique des rivières en tresses
3.1. Genèse
3.2. A l’échelle d’une crue
3.3. A long terme
4. Caractérisation de la morphologie des rivières en tresses
B. Problématique et démarche scientifique
C. Organisation du manuscrit
Chapitre 2 .Calcul du bilan sédimentaire d’une rivière en tresses avec des données multitemporelles acquises par LiDAR aéroporté : estimation des erreurs étape par étape
A. Résumé .
B. Step by step error assessment in braided river sediment budget using airborne LiDAR data
1. Introduction
2. Study site
2.1. The Bès River
2.2. The December 09 flood.
3. Methodology
3.1. LiDAR data acquisition and pre-processing
3.2. Multitemporal LiDAR point cloud alignment
3.3. Spatial distribution of errors based on channel surface conditions
3.4. Water depth subtraction
4. Results
4.1. Sediment budget following alignment operation
4.2. Sediment budget following uncertainty analysis

4.3. Sediment budget following water depth subtraction
4.4. Effect of the -year flood on channel forms
5. Discussion
6. Conclusion
Chapitre 3.Signatures longitudinales de la morphologie des rivières en tresses
A. Résumé
B. Longitudinal signatures of braided river morphology
1. Introduction
2. Study sites
3. Methodology
3.1. LiDAR specifications
3.2. Geomatic procedure to extract geomorphic indicators.
3.3. Longitudinal variation of indicators .
4. Results
4.1. The Bès River
4.2. Comparison with morphological signatures of other braided channels
5. Discussion
5.1. Longitudinal discontinuity in morphological signatures
5.2. Periodicity of morphological signatures
6. Conclusion
Chapitre 4. Caractérisation de l’histoire de la formation de la plaine d’inondation et de la réponse de la végétation de rivières en tresses par LiDAR aéroporté et photographies aériennes
A. Résumé
B. Use of airborne LiDAR and historical aerial photos for characterising the history of floodplain morphology and vegetation responses of braided rivers
1. Introductio
2. Study site
3. Methodology
3.1. Data acquisition and pre-processing
3.2. Long-term evolution and present-day floodplain morphology
3.3. Attributes of riparian vegetation patches
4. Results
4.1. Floodplain history at a pluri-decadal scale
4.2. Contemporary responses of riparian vegetation
5. Discussion
5.1. History of floodplain topographic levels
5.2. Impacts of floods on lateral morphological changes
5.3. Impacts of long-term changes on contemporary vegetation mosaic
5.4. Impacts of the difference in braided river activity on contemporary vegetation mosaics
5.5. Validation of vegetation succession model
6. Conclusion
Chapitre 5. Conclusion générale et perspectives
1.1. Détection des changements morphologiques suite à une crue
1.2. Extraction d’indicateurs de la morphologie en tresses
1.3. Reconstruire l’évolution contemporaine des plaines alluviales et caractériser les peuplements riverains
2. Apports thématiques des données LiDAR pour l’étude des rivières en tresses
2.1. Impact des crues
2.2. Longueur d’onde
2.3. Morphologie, changement à long terme et mosaïque de la végétation
2.4. Lien entre la morphologie en travers et le régime sédimentaire
3. Perspectives
3.1. Perspectives méthodologiques
3.2. Perspectives thématiques
Références bibliographiques
Liste des figures
Liste des tables
Annexes

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