Détection de la dégradation à l’aide de la télédétection

Méthodes de détection de la dégradation

Pour déterminer l’état de la surface de roulement d’un chemin, qu’il soit en milieu urbain ou forestier, une base de données mise à jour continuellement sur les conditions du réseau est nécessaire (Kiss et al., 2015). De nombreuses méthodes existent, tel l’observation in situ de l’état de la surface de roulement en utilisant l’indice de l’état de la chaussée (Pavement condition index [PCI]) (Karim et al., 2016 ; Loprencipe et Pantuso, 2017 ; Setyawan et al., 2015) qui se base sur le type, la sévérité et la quantité des défauts observés (Shahin et Walther, 1990). Une autre approche est l’utilisation d’un indice de rugosité pour caractériser la qualité de la surface de roulement (Abulizi et al., 2016 ; Forslöf et Jones, 2015 ; Múčka, 2016 ; Prasad et al., 2013 ; Sayers, 1995). Cette technique utilise un capteur monté sur un véhicule qui enregistre les variations ressenties lorsque ce dernier est en mouvement (Paterson, 1986). L’indice le plus fréquemment utilisé est l’indice de rugosité international (IRI), un algorithme mathématique développé par la Banque mondiale en 1986 (Múčka, 2017 ; Sayers, 1995). Paterson (1986) présente toutefois d’autres alternatives à l’IRI, dont des mesures de rugosité et des indices de confort au roulement.

De leur côté, les études récentes d’Akgul et al. (2017) et de Ferenčík et al. (2019) ont démontré le potentiel d’utiliser un véhicule muni d’un laser mobile (Mobile laser scanning) pour capturer et mesurer l’état de la surface de roulement. Ensuite, certaines études se sont plutôt attardées à la capacité portante de la surface de roulement, un paramètre qui nous informe de la rigidité du chemin (Kaakkurivaara et al., 2015), c’est-à-dire le nombre de passages de camions d’une charge donnée que peut supporter le chemin sans se dégrader (O’mahony et al., 2000). Ce paramètre se calcule à l’aide de différents outils, dont un pénétromètre (Akgul et al., 2019 ; Kaakkurivaara et al., 2015), un radar à pénétration de sol (GPR) (Bianchini Ciampoli et al., 2019 ; Salvi et al., 2019) ou encore un déflectomètre (Kaakkurivaara et al., 2015 ; McFarlane et al., 1975 ; Thompson, 1975). Mise à part l’étude de Kaakkurivaara et al. (2015) et Akgul et al. (2017), tous les exemples mentionnés ci-haut sont appliqués en milieu urbain, sur des chemins asphaltés. En fait, très peu d’études se sont attardées à l’utilisation de ces méthodes pour caractériser la dégradation des chemins forestiers gravelés. De plus, toutes ces approches nécessitent un inventaire répété sur le terrain, ce qui représente des coûts élevés en termes de temps, d’argent et de ressources requises (Zhang, 2008). Avec l’avènement grandissant des outils de télédétection, des études se sont questionnées sur la faisabilité de détecter la dégradation du réseau routier à distance pour réduire notamment les coûts rattachés.

De façon générale, la photogrammétrie est utilisée pour effectuer des mesures 3D des objets et des caractéristiques du terrain à partir d’images 2D (Aber et al., 2019) avec une précision à l’échelle centimétrique. Zhang (2008) et Pierzchała et al. (2016) ont d’ailleurs eu recours à cette technologie pour détecter efficacement les conditions de la surface des chemins forestiers, justifiant qu’une haute résolution spatiale des images obtenues est essentielle pour détecter et mesurer les caractéristiques des chemins. Cependant, les études de Kiss et al. (2015 et 2016) ont, pour leur part, utilisé le LiDAR aéroporté (Light detecting and ranging) pour détecter la dégradation, car ils jugent que cette méthode est plus avantageuse que la photogrammétrie. En autre, cette approche permet de cartographier le terrain, les vastes structures (p. ex. végétation) et les éléments longs et étroits comme les lignes électriques et les routes (Kiss et al., 2015). Outre que ces méthodes, l’utilisation d’images multispectrales peut aussi être prometteur, bien que celles-ci soient plutôt utilisées pour caractériser la dégradation des chemins en milieu urbain (Herold et al., 2004) ou pour cartographier le réseau routier urbain et forestier (Karila et al., 2017). Parmi les nombreux outils disponibles pour détecter la dégradation des chemins forestiers, le LiDAR aéroporté et les images multispectrales semblent les plus prometteurs, car ils offrent la possibilité de couvrir de vastes zones (Hyyppä et al., 2000) sans avoir à se déplacer sur l’entièreté du réseau des chemins forestiers.

Détection de la dégradation à l’aide de la télédétection

Selon Kiss et al. (2015), la variation de la topographie et les fluctuations de la surface de roulement sont des indicateurs prometteurs pour détecter la dégradation sur un chemin. Ces auteurs ont utilisé le LiDAR aéroporté pour calculer l’indice de position topographique (TPI) (développé par Weiss, 2001) et l’indice d’élévation standardisé (SEI) afin de classifier la qualité (c.-à-d. bonne, satisfaisante et pauvre) des chemins forestiers en Finlande. Leurs résultats démontrent que la classification de la qualité des chemins à l’aide de ces outils est juste dans 66 % des cas. De ce fait, en explorant davantage dans cette direction, nous avons noté d’autres indices qui pourraient obtenir des résultats aussi performants. Selon Ryan et al. (2004), un chemin saturé en eau est généralement deux fois moins solide qu’un chemin sec. Une instabilité du chemin peut engendrer des nids-de-poule, des roulières et ornières prononcées jusqu’à la destruction d’un tronçon complet (Latrémouille, 2012). Dobiaš (2005) a étudié l’érosion de la chaussée par l’accumulation des eaux dans les formes de dégradation déjà existantes. Cette étude a démontré que plus la pente et l’apport en eau augmentent, plus le stress que subit la chaussée augmente. Ainsi, ces processus pourraient potentiellement être détectés à l’aide d’un second indice de topographie, soit l’indice d’humidité topographique (TWI) (Beven et Kirkby, 1979), puisque cet indice a justement pour but de quantifier l’effet de la topographie sur les processus d’accumulation des eaux à un endroit donné (Sörensen et al., 2006).

Son utilisation permettrait de déterminer si la présence de zones humides sur la surface de roulement d’un chemin forestier serait corrélée avec leur dégradation. Autre que le SEI, la fluctuation de la surface de roulement peut aussi être détectée par des indices de rugosité, puisqu’ils indiquent si le chemin possède une surface homogène ou hétérogène. Les indices de rugosité (p. ex. IRI) sont depuis longtemps utilisés en milieu urbain pour compiler la qualité et le confort au roulement à l’aide de véhicule en mouvement muni d’un capteur enregistrant les variations de la chaussée (Paterson, 1986). Puisque ces outils sont difficilement applicables en milieu forestier (Herold et al., 2004 ; Zhang, 2008), il est possible d’extraire des indices de rugosité à l’aide des données LiDAR, comme l’indice de rugosité de terrain (TRI) développé par Riley, DeGloria et Elliot (1999) et l’indice de courbure de la surface (outils disponibles dans un système d’information géographique). Une forte fluctuation de la dégradation peut être synonyme de forte rugosité et de forte présence de courbures au sein de la surface de roulement. En milieu forestier, il est fréquent que la végétation commence à s’implanter sur un chemin lorsque son entretien est minime.

À ce jour, très peu d’ouvrages ont abordé le rôle de cette variable sur la possibilité d’affecter la dégradation de la surface de roulement d’un chemin forestier. Ryan et al. (2004) signalent qu’un dégagement insuffisant de la végétation en bordure de chemin forestier entraine un mauvais drainage et, par le fait même, nécessite plus d’entretien pour éviter qu’il se dégrade. Heidari et al. (2018) ont pour leur part démontré que le pourcentage de canopée recouvrant un chemin forestier figurait sur la liste des variables significatives (p-value < 0,05) qu’ils ont retenues pour prédire la dégradation des chemins forestiers en Iran. Autrement, cette thématique a aussi été abordée en milieu urbain. Uchida et al. (2014) mentionnent que la végétation s’installant dans les fissures ou en bordure de la route « provoque la détérioration de l’asphalte et des bordures, réduisant la longévité et la sécurité de la surface de la route ». Ainsi, l’intégration de la végétation dans l’étude de la dégradation d’un chemin forestier semble un élément pertinent. Pour ce faire, des indices de végétation générés à partir d’images multispectrales (p. ex. indice de végétation par différence normalisée [NDVI]) ou du LiDAR aéroporté (c.-à-d. modèle de hauteur de canopée) peuvent être utilisés pour indiquer les caractéristiques de la végétation à un endroit donné.

Dispositif expérimental

Dans le but de quantifier la dégradation des chemins forestiers, nous avons utilisé un dispositif expérimental temporaire de 207 placettes d’échantillonnage réparties sur l’ensemble des trois secteurs à l’été 2019. La sélection des chemins reposait sur leur largeur (4 à 14 m), leur pente (0 à 16 %) et le temps depuis le dernier entretien (0 à 46 ans), des variables qui sont jugées décisives pour expliquer la dégradation observée (Ciobanu et al., 2012 ; Desautels et al., 2009 ; Jetté et al., 1998 ; Ryan et al., 2004). À des fins de caractérisation représentative des chemins sur le territoire, nous avons échantillonné les chemins selon trois catégories de largeur (c.-à-d. étroite [4 à < 7 m], moyenne [≥7 à < 9,5 m] et large [≥ 9,5 à 14 m]), selon une pente ≤ 4 % et >4 % et selon deux catégories de temps depuis le dernier entretien (c.-à-d. récent [2015-2019], ancien [1970-2014]). Les largeurs utilisées correspondent aux standards de construction d’un chemin forestier gravelé lorsque sa vitesse de déplacement est de 30, 50 et 70 km/h respectivement, une autre variable qui influencerait la dégradation des chemins forestiers (Ryan et al., 2004). Les intervalles de pente retenus prennent en considération leur effet respectif sur la dégradation par l’accumulation des eaux (Fannin et Lorbach, 2007 ; Ryan et al., 2004) ou par le ruissellement des eaux et l’accélération des véhicules (Dittmer et Johnson, 1975 ; Dobiaš, 2005 ; Jetté et al., 1998).

Les données d’entretien proviennent des relevés historiques fournis par la compagnie forestière Produits forestiers Résolu © qui effectue des travaux d’aménagement forestiers dans les trois secteurs d’étude. En fonction des catégories de variables prédéfinies, cinq répétitions ont été effectuées. Nous avons utilisé des tronçons de 50 m de long munis d’un dispositif expérimental de cinq transects perpendiculaires disposés aux intervalles 0, 10, 25, 40 et 50 m, où nous avons mesuré au centimètre près la largeur et la profondeur de toutes les formes de dégradation présentes (nids-de-poule, ornières, roulières, érosion, émergence de la sous-fondation, planche à laver). La longueur de l’échantillon reposait sur la faisabilité de la collecte de données à offrir une vision continue de la dégradation à une échelle pouvant être facilement détectable avec les outils à distance. La largeur des transects correspondait à la largeur de la surface de roulement actuelle (emplacement où il est possible de circuler à l’aide du véhicule motorisé lors de l’échantillonnage). En cumulant la longueur totale des transects perpendiculaires et de la dégradation observée sur ceux-ci, nous avons obtenu un pourcentage de dégradation par tronçon.

Table des matières

AVANT-PROPOS
LISTE DES FIGURES
LISTE DES TABLEAUX
LISTE DES ABRÉVIATIONS
RÉSUMÉ
CHAPITRE I INTRODUCTION GÉNÉRALE
1.1 Mise en contexte
1.2 État des connaissances
1.2.1 Caractéristiques morphologiques des chemins forestiers
1.2.2 Dégradation des chemins forestiers
1.2.3 Systèmes de classification des chemins forestiers
1.2.4 Méthodes de détection de la dégradation
1.2.5 Détection de la dégradation à l’aide de la télédétection
1.3 Objectifs et hypothèses
1.3.1 Objectifs spécifiques
1.3.2 Hypothèses
CHAPITRE II MODÉLISATION SPATIALE DE LA DÉGRADATION DES CHEMINS FORESTIERS GRAVELÉS EN FORÊT BORÉALE
2.1 Résumé
2.2 Introduction
2.3 Matériel et méthode
2.3.1 Localisation et caractéristiques des sites d’étude
2.3.2 Dispositif expérimental
2.3.3 Observation de la dégradation in situ
2.3.4 Détection de la dégradation à distance
2.3.5 Analyses statistiques
2.4 Résultats
2.4.1 Modèles de régression de la dégradation
2.4.2 Sélection des modèles candidats
2.4.3 Prédictions et validation des modèles candidats
2.5 Discussion
2.5.1 Performance des modèles de prédiction de la dégradation
2.5.2 Variables retenues pour estimer la dégradation
2.5.3 Limites de l’étude
2.5.4 Implication future
2.6 Conclusion
CHAPITRE III CONCLUSION GÉNÉRALE
ANNEXE A
BIBLIOGRAPHIE GÉNÉRALE

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