Droit de la fonction publique

Le monisme ou le dualisme français

► L’attachement de la France au système de la carrière traduit une préoccupation relativement ancienne : se doter d’un régime juridique dans lequel les agents publics sont formés et bénéficient d’un « état » qui les protège de l’arbitraire du pouvoir politique.
 Le rapport du 11 juillet 1907 sur le projet de loi relatif aux associations de fonctionnaires résume bien cette ambition :
« La situation des fonctionnaires […] n’a de valeur que si elle n’est point précaire, que si elle est à l’abri des fantaisies, des injustices, de l’arbitraire toujours possible du pouvoir, que si elle est gouvernée par des règles fixes dont le respect soit assuré, que si, pour tout dire en un mot, le fonctionnaire peut opposer au pouvoir son droit et si la fonction publique est, suivant le mot de Ihering, “juridiquement protégée”» .
 L’article 6 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen du 26 août 1789 aura particulièrement nourri la doctrine, la législation et la jurisprudence dans la conception et l’élaboration d’un système de fonction publique soustrait à l’arbitraire du pouvoir politique :
« Tous les Citoyens […] sont également admissibles à toutes dignités, places et em-plois publics, selon leur capacité, et sans autre distinction que celle de leurs vertus et de leurs talents. »
Cette disposition a été inspirée par la volonté d’abolir des privilèges au nombre desquels figuraient ceux des « magistrats » et « officiers publics ». En effet, les charges de ces derniers, qui correspondaient à des fonctions judiciaires ou administratives, étaient devenues vénales puis héréditaires.
 L’article 6 précité a d’abord conduit à un système électif tant pour les directoires des départements et districts que pour les fonctions judiciaires. Ce système, mis en place dès décembre 1789, a toutefois été rapidement abandonné au profit de la nomination par le chef de l’État, avec deux tempéraments :
1. L’exigence d’un diplôme universitaire, comme preuve de la « capacité » lors du recrutement, s’est vite imposée pour certains agents, comme le montrent, par exemple, le décret du 28 décembre 1809 concernant l’organisation et le service des auditeurs près le Conseil d’État ou la loi du 28 avril 1810 sur l’organisation de l’ordre judiciaire.
2. À cette première exigence ont été ajoutés, très largement sous la IIIe République, les principes selon lesquels l’autorité investie du pouvoir de nomination
o ne peut pas arbitrairement refuser à certaines catégories de personnes le droit de concourir ;
o ne peut nommer que les candidats déclarés admis à un concours par un jury indépendant
o et ne peut promouvoir un agent public que dans des conditions procédurales garantissant une égalité de chances entre tous les agents se trouvant dans la même situation.
► En fait, contrairement à certaines idées reçues, le système français peut, sans paradoxe aucun, être qualifié à la fois de moniste et dualiste.
 Il est moniste en ce sens que tous les fonctionnaires sont soumis à un seul système, celui de la carrière, dont les postulats et les implications ont été présentés plus haut.
 Mais on est également fondé à le juger dualiste si on le considère sous l’angle de la gestion de l’ensemble des emplois du secteur public. En effet, ces emplois sont occupés d’une part, par des personnes qui, ayant la qualité de fonctionnaires, relèvent du système de la carrière : 75%,et, d’autre part, par des personnes (essentiellement des contractuels) qui relèvent du système de l’emploi, faute d’avoir la qualité de fonctionnaires : 25%.
► Ce n’est pas ce dualisme en lui-même, mais l’arithmétique de la répartition des emplois du secteur public entre les fonctionnaires et les non-fonctionnaires qui distingue la France (75% et 25%) de certains autres pays développés.
Fonctionnaires et non-fonctionnaires représentent respectivement :
En Allemagne, 40% et 60%. L’exécution du service public administratif y est confiée à la fois à des fonctionnaires (Beamte), qui sont régis par un statut de droit public, et à des employés (Angestellte) et ouvriers (Arbeiter) qui sont soumis aux règles du droit privé et dont la situation est régie par des conventions collectives, les premiers représentant environ 1 700 000 agents, et les seconds, environ 3 000 000 d’agents.
Au Royaume-Uni, 9% et 91%. L’effectif des civil servants, que l’on peut comparer aux fonctionnaires français, est d’environ 550 000 agents sur un total d’à peu près 5 800 000 agents publics. Les civil servants occupent exclusivement les emplois des administrations centrales des ministères et des agences. On distingue, en leur sein, les fast streamers, recrutés par concours et qui ont vocation à occuper les emplois d’encadrement supérieur, des main streamers, qui exercent des fonctions subordonnées. Les civil servants ne relèvent pas d’un statut, mais de la common law, adaptée à leur situation particulière par des principes qui remontent pour certains d’entre eux au XIXe siècle. Ils n’ont en principe aucune garantie théorique de carrière ni d’emploi, puisqu’ils sont recrutés et licenciés at her Majesty’s pleasure. Dans les faits, cependant, les civil servants bénéficient d’une sécurité de l’emploi comparable à celle des fonctionnaires français et ont vocation à faire carrière au sein de l’État.
En Espagne, la répartition est à peu près la même qu’en France.

Fonction publique et valeurs émergentes

► Bâtie essentiellement (comme on l’a vu) sur le système de la carrière, l’organisation de la fonction publique française est souvent présentée comme indissociable du modèle français de service public – « fondement de la cohésion sociale », selon la formule de Renaud Denoix de Saint-Marc .
 Le Statut et la relative garantie de l’emploi – au sens large de ce dernier mot – qu’il implique permettraient aux fonctionnaires de traduire dans la réalité concrète non seulement les lois du service public (continuité, mutabilité et égalité),mais aussi les principes républicains dont certains ont inspiré ces lois.
Que l’argumentaire emporte ou non l’adhésion, le fait est que se trouve posée, depuis des décennies, la question de l’efficacité des modèles français de service public et de fonction publique.
La question tire sa pertinence moins des exigences de la construction européenne que de la fas-cination exercée par certaines expériences étrangères soigneusement choisies.
1 – L’influence du droit de l’Union européenne
En ce qui concerne la construction européenne, si, à l’origine, elle avait fait peu de cas des services publics, elle s’est largement rattrapée depuis quelques années. La clarification de la position des instances européennes a été initiée par le livre blanc de 2004 sur les services d’intérêt général , et parachevée par le protocole n° 9 sur les services d’intérêt général joint au traité sur le fonctionnement de l’Union européenne (TFUE) adopté à Lisbonne le 13 décembre 2007 et commenté, non sans anticipation, par une communication de la Commission du 20 novembre 2007
L’optimisme peut être tempéré par la double constatationque le droit et la pratique de l’Union européenne (UE) ne mettent pas vraiment exergue la notion de service public, et qu’ils visent les services d’intérêt général, qui peuvent, selon la communication sus-mentionnée de la Commission européenne, se définir comme étant
« les services, tant économiques que non économiques, que les autorités publiques classent comme étant d’intérêt général et soumettent à des obligations spécifiques de service public ».
Deux sous-ensembles composent les services d’intérêt général :
1. Les services d’intérêt économique général, autrement dit, selon la définition figurant dans le livre blanc de 2004, « les services de nature économique que les États membres ou la Communauté soumettent à des obligations spécifiques de service public en vertu d’un critère d’intérêt général. » Entrent, par exemple, dans cette catégorie les services postaux, l’énergie, les télécommunications ou les transports, la radiodiffusion audiovisuelle, l’approvisionnement en eau, ou encore la gestion des déchets.

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