Évolution de la mortalité évitable au sein d’un trauma system mature

Évolution de la mortalité évitable au sein d’un trauma system mature

Introduction

Les traumatismes graves restent un problème de santé publique puisqu’ils représentent la quatrième cause de décès dans la population générale et la première chez les moins de 40 ans. Le choc hémorragique traumatique est la première cause de mortalité en traumatologie, 39% des décès. La moitié de ces décès survenant dans les vingt-quatre premières heures sont potentiellement évitables (1). Au cours des dernières décennies, la mise en place des systèmes de traumatologie régionalisés visant à garantir que les patients traumatisés sévères soient transportés vers des centres de traumatologie dotés du personnel et de l’équipement approprié en temps utile, a permis de réduire la morbi-mortalité de ces patients (2–5). Cependant, malgré des progrès significatifs de la prise en charge des patients traumatisés, le taux de décès potentiellement évitables et évitables reste élevé, la majorité d’entre eux sont attribuables à l’hémorragie (6,7). Tout comme le taux de sous et de sur-triage, l’analyse de la mortalité au sein d’un réseau est un des indicateurs permettant d’évaluer l’efficacité d’un trauma system (8,9). L’étude des décès évitables par traumatisme, méthode utilisée pour la première fois dans les années 1970, est un mécanisme utilisé pour examiner la qualité des soins et les résultats d’un trauma system (10–12). L’analyse des décès par traumatisme permet d’examiner l’ensemble du système de soins fourni aux patients traumatisés sévères, et ainsi contribuer à l’optimisation du système de soins, notamment en améliorant la coordination pré hospitalière, les soins cliniques et le rôle des nouvelles technologies et des interventions cliniques (13). Les décès par traumatisme peuvent ainsi être classés en décès évitables, décès potentiellement évitables et décès non évitables (14,15). Cette classification peut être réalisée en se basant sur les recommandations internationales pour la prise en charge des traumatismes sévères (ATLS «Advanced Trauma Life Support») (16), ou en déterminant le risque de décès en fonction du traumatisme par des scores de gravité (score TRISS «Trauma Revised Injury Severity Score», score MGAP «Mechanism, Age, Glasgow coma scale, Arterial Pressure») (17,18). 3 Indépendamment de la méthodologie, le concept de décès évitable a été rapporté pendant des décennies pour les patients traumatisés sévères et la réduction de leur nombre est l’un des principaux objectifs d’un trauma system (19). Par conséquent, l’analyse des décès évitables ou potentiellement évitables, et surtout de leur cause, est nécessaire afin de mettre en place des actions correctives et ainsi améliorer la qualité de la prise en charge en traumatologie dans chaque trauma system. La comparaison des erreurs entre les trauma center pourrait permettre d’analyser leur efficacité afin de définir des standards de soins. L’utilisation de panels d’experts multidisciplinaires est considérée comme l’approche la plus solide pour examiner les décès par traumatisme potentiellement évitables (20,21). L’objectif de notre étude était donc de définir le taux de mortalité évitable et potentiellement évitable dans notre trauma center mature, d’évaluer l’évolution de ce taux en fonction des années et de déterminer les causes de décès évitables et potentiellement évitables. 

Discussion

Le taux de mortalité évitable est utilisé aux États-Unis et au Royaume-Uni depuis les années 1960 pour évaluer le résultat et le niveau des soins de traumatologie (24). En France, à notre connaissance, seule une étude sur la mortalité évitable a été menée (25) dans un trauma system régional de 2009 à 2014 et retrouvait un taux de mortalité évitable de 7% et potentiellement évitable de 14%. Notre étude retrouvait un résultat similaire avec un taux de mortalité évitable de 6,8% et potentiellement évitable de 22.5%. Ces chiffres sont bien supérieurs aux données nord-américaine avec des taux de mortalité évitable variant de 2,5% à 6% (1,26). Les estimations de la mortalité évitable peuvent toutefois varier en fonction de la méthode d’enquête et d’analyse. Le taux de mortalité évitable tend à être plus élevé lorsqu’on utilise le jugement par consensus des experts, dans lequel une décision est prise lorsqu’au moins un membre du panel juge que le décès était évitable (27). En revanche, le recours à l’autopsie dans un groupe de patients donné réduit le taux de mortalité évitable estimé par rapport à l’utilisation des seuls dossiers hospitaliers (28). Les autopsies étant rarement pratiquées en France, le taux de mortalité évitable est probablement surestimé par rapport à celui d’autres pays. En accord avec la littérature nous avons constaté que les hémorragies étaient la principale cause de mortalité évitable ou potentiellement évitable (1,26,29). Alors que les lésions du système nerveux central sont la cause la plus fréquente de mortalité non évitable. Il a été constaté qu’une hémostase rapide réduit le risque de décès par hémorragie, et par conséquent, diminue sensiblement le taux de mortalité des patients traumatisés (30). De même la réduction du temps pré-hospitalier semble avoir un effet favorable sur la mortalité des patients présentant un traumatisme crânien grave (31,32). Or, dans notre étude la majorité des erreurs concerne les délais de prise en charge avec un temps pré-hospitalier jugé excessif dans 33,3% des cas et un délai de prise en charge chirurgical également jugé excessif dans 15.9% des cas. 13 La réduction du temps pré-hospitalier est souvent jugée comme difficilement réductible, notamment dans un trauma system régional étendue et ne comportant qu’un seul trauma center de niveau 1 comme le nôtre. Pourtant une solution actuellement expérimentée depuis 2020 dans notre trauma system semble prometteuse pour la réduction du délai de prise en charge des patients les plus instables, à savoir la mise en place d’une équipe mobile comprenant un chirurgien et un anesthésiste réanimateur spécialisée en traumatologie. Ainsi lors de la prise en charge pré hospitalière,si le délai avant l’arrivée au trauma center de niveau 1 est supérieur à 60 minutes et que le patient est jugé instable, l’équipe pré-hospitalière amène le patient dans un hôpital de proximité (trauma center de niveau 2 ou 3) où l’équipe spécialisée se rendra. Cela permet d’une part de réduire le temps de prise en charge du patient (transfusion, bilan lésionnel) mais également de former les équipes médico chirurgicales de ces hôpitaux. Le délai de prise en charge chirurgicale après l’arrivée au trauma center de niveau 1 était de 87,5 [71,3 – 100] minutes en médiane. Ce délai long s’explique par le fait que la salle d’accueil des traumatisés sévères est éloignée du scanner et du bloc opératoire, nécessitant des temps de transfert parfois long. Une façon de réduire ce délai est l’installation, dans les trauma center de niveau 1, d’une salle de traumatologie multimodale permettant en un seul lieu et sans nécessité de transfert la réalisation de la prise en charge initiale du patient, la réalisation du bilan lésionnel par scanner corps entier et la prise en charge chirurgicale ou radio interventionnelle. L’utilisation de telles salles de traumatologie a déjà démontré son efficacité en terme de réduction de mortalité (33) et notamment pour les patients les plus graves (34). En effet, les patients traumatisés sévères sont des patients atteints de lésions multiples touchant le plus souvent plusieurs organes, ce qui nécessite un diagnostic lésionnel complet actuellement réalisé sur plusieurs sites (salle de déchoquage, scanner). La création d’une salle traumatologie multimodale permettra la réduction du diagnostic lésionnel à un seul site, pouvant ainsi diminuer le délai de prise en charge. La seconde erreur la plus fréquente était une prise en charge thérapeutique jugée non conforme aux recommandations. Ces erreurs ont été soulevées dans 28% des cas en pré hospitalier et 18% des cas lors de la prise en charge hospitalière. Pour réduire ces erreurs, il est nécessaire de mettre l’accent sur la formation des acteurs de soins, et de mettre en place 14 des systèmes de suivi de la prise en charge des patients traumatisés sévères avec par exemple des débriefings des prises en charge et des revues de morbi-mortalité. L’absence de diminution du taux de mortalité évitable et potentiellement évitable sur notre période d’étude, également retrouvé dans la première étude française sur le sujet (25), confirme que nos trauma system mature doivent encore progresser et innover pour atteindre l’objectif ambitieux de zéro mort évitable. En effet, nous pensons que la réduction de la mortalité évitable n’est plus liée aux procédures de gestion d’un trauma center mature, mais à son organisation. L’organisation que nous considérons actuellement comme optimale (prise en charge multidisciplinaire sous la direction d’un trauma leader aux urgences puis orientation selon l’état hémodynamique du patient vers le scanner ou le bloc opératoire) n’est probablement pas optimale car elle génère des temps de transfert plus ou moins longs entre les différents sites (urgences, scanner, bloc opératoire), temps qui peut être délétère pour le patient. La mise en place d’une salle de traumatologie multimodale est une solution, même si elle nécessite un investissement important pour un gain probablement faible en termes de mortalité. Nous y voyons un prolongement de la European Stop Bleeding Campaign (35), qui a profondément modifié nos pratiques transfusionnelles et la prise en charge initiale de ces patients, et qui doit maintenant modifier nos organisations.

Table des matières

I. INTRODUCTION
II. MATERIELS ET METHODES
o Caractéristique de l’étude
o Données recueillies
o Classification des décès évitables, potentiellement évitables ou non évitables
o Méthode de classification de la mortalité
o Objectif de l’étude
o Analyse statistique / cadre législatif
III. RESULTATS
IV. DISCUSSION
V. CONCLUSION
VI. REFERENCES
VII. ANNEXES
VIII. LEXIQUE

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