La gestion des compétences des personnels d’exploitation des centrales nucléaires

La gestion des compétences des personnels d’exploitation des centrales nucléaires

La troisième expertise que nous restituons est consacrée à l’évaluation d’un ensemble de doctrines managériales mises en œuvre dans les centrales nucléaires exploitées par E.D.F. Ces doctrines, conçues par des ingénieurs des « services centraux » de la division de la production nucléaire (D.P.N.) d’E.D.F, sont destinées à assurer une « bonne gestion des compétences » du personnel d’exploitation dans chacune des dix-neuf centrales exploitées par le groupe. Pour plusieurs raisons, le dossier dont il va être question dans ce chapitre contraste avec les deux cas précédents. Tout d’abord, il concerne des centres de production d’électricité et non plus des installations de recherche et développement. Ensuite, c’est tout un parc d’installations qui est concerné par l’expertise, et non plus une unique installation. Troisième différence, les interlocuteurs des experts I.R.S.N. ne sont pas directement impliqués dans l’exploitation d’une installation ; ils sont eux-mêmes des experts positionnés au sein des services centraux d’E.D.F. Enfin, contrairement aux deux cas précédents, l’expertise est pilotée par les spécialistes « facteurs humains », qui devront remettre un rapport aux membres du groupe permanent, et non plus une contribution à des généralistes. Si c’est la première fois que le mot « compétences » est inscrit à l’ordre du jour d’une expertise de l’I.R.S.N., la formation des personnels d’exploitation des centrales nucléaires constitue une thématique relativement classique de l’expertise et du contrôle ; elle a fait l’objet de trois expertises et de plusieurs dizaines d’inspections depuis 1981. Les spécialistes du S.E.F.H. ont notamment participé à la dernière expertise dédiée à la formation, qui s’est déroulée en 1991. Quelques années plus tard, ils souhaitent à nouveau instruire ce thème. Toutefois, comme nous le dira un spécialiste « facteurs humains », les représentants de l’A.S.N. ont jugé préférable de différer l’expertise : « J’avais fait une analyse préalable pour lancer une expertise. Mais comme les processus d’E.D.F. étaient en cours de mise en place, l’A.S.N. ne voulait pas 144 On le verra, le rapport sera par ailleurs quasi intégralement rédigé par les spécialistes « facteurs humains » ; seule une contribution réalisée par des experts généralistes sera intégrée dans le rapport final. La gestion des compétences des personnels d’exploitation des centrales nucléaires 236 tout de suite lancer l’expertise. A la place, beaucoup d’inspections145 furent réalisées en 1997, 1998 et des réunions périodiques A.S.N.-I.R.S.N.-E.D.F. étaient consacrées à la formation. C’est à cette période qu’on a commencé à parler de gestion des compétences, car les processus d’E.D.F. abordaient des aspects plus vastes que la formation. » (entretien du 23/09/06) A la suite des inspections consacrées à la gestion des compétences, des bilans furent rédigés par l’A.S.N. « En 2000, l’A.S.N. avait envoyé un courrier à E.D.F. critiquant la gestion des compétences. E.D.F. a alors mis en place le projet S.D.C. : système de développement des compétences. » (un représentant d’E.D.F., entretien du 07/12/05) En 2004, les représentants de l’A.S.N., en concertation avec les spécialistes « facteurs humains » de l’I.R.S.N., jugent suffisants les délais de mise en place des processus de gestion des compétences accordés à E.D.F. Leur évaluation constituera l’expertise « facteurs humains » consacrée aux centrales, prévue tous les deux ans dans le plan d’actions de l’A.S.N. (cf. p. 89). Pour restituer l’expertise, nous conservons le plan chronologique adopté dans les deux précédents chapitres (phase de cadrage [1.] ; phase d’instruction [2.] ; phase de rédaction [3.] ; phase de transmission [4.] ; synthèse [5.]). Néanmoins, il n’apparaît plus nécessaire d’identifier une phase en amont de l’expertise « facteurs humains », durant laquelle des interactions entre des personnes extérieures au S.E.F.H. (généralistes pilotes de l’expertise, exploitants et représentants de l’autorité de sûreté) ont un impact sur le déroulement futur de l’instruction des spécialistes. En effet, cette fois-ci, les spécialistes « facteurs humains » sont les pilotes de l’expertise ; ils sont donc directement impliqués dans le projet, et ce dès sa genèse. Comme pour l’expertise Minotaure, nous n’avons pas suivi le début de l’expertise ; un entretien avec le spécialiste « facteurs humains » pilote de l’expertise et la consultation de comptes rendus ont été nécessaires pour rendre compte des premières étapes de l’expertise. C’est à partir du mois de mars 2005 que nous avons commencé à échanger « en direct » avec les spécialistes « facteurs humains » et à participer aux différentes réunions. La phase de cadrage (septembre 2004 – janvier 2005) En juillet 2004, dans le cadre des suites données à une expertise consacrée aux conséquences du vieillissement des centrales nucléaires, de premiers échanges ont lieu entre les spécialistes « facteurs humains », les représentants des services centraux de la D.P.N. en charge des dossiers relatifs à la gestion des compétences et un représentant de l’A.S.N. Une première réunion est programmée en septembre [1.1.] Le responsable du S.E.F.H. a décidé de confier le dossier à une jeune recrue, docteur en sociologie, qui a auparavant réalisé des expertises dédiées aux centrales E.D.F. A partir du mois d’octobre, celui-ci consacre tout son temps à l’analyse préalable à l’instruction [1.2.] Une fois achevée, elle est présentée dans les différentes réunions qui rythment le cadrage de l’expertise et discutée avec les représentants d’E.D.F. [1.3.] La saisine du groupe permanent par l’A.S.N. marque la fin du cadrage [1.4.] 

Première réunion, premières contraintes

 La réunion de septembre est l’occasion pour chacun des participants de se présenter   Les discussions portent ensuite sur le périmètre de l’expertise.

Les différents participants 

Le spécialiste « facteurs humains » (pilote I.R.S.N.) est présent avec son responsable hiérarchique, qui, on le verra, suivra de près l’ensemble de l’expertise. A E.D.F., trois personnes de la D.P.N. sont particulièrement impliquées. Il s’agit en premier lieu du pilote du budget de la formation, qui est le pilote opérationnel de l’expertise. Il sera souvent accompagné de celui qui a piloté le projet S.D.C. à la D.P.N. Nous le nommerons pilote S.D.C. Enfin, un pilote stratégique est nommé. Celui-ci a travaillé longtemps sur les problématiques de formation à la D.P.N. Il a été pilote opérationnel E.D.F. de l’expertise sur la formation qui s’était déroulée en 1991. « Il apporte une vision de direction », selon le pilote opérationnel. En 2004, il est responsable d’une équipe d’ingénieurs des services centraux qui joueront également un rôle dans l’expertise. Ces ingénieurs sont animateurs métier, notamment en charge du pilotage de la gestion des compétences pour un métier ou un ensemble de métiers (par exemple « technicien 238 essais » ou « métiers de la conduite ») sur l’ensemble des dix-neuf sites de production. Mentionnons que les pilotes opérationnel, S.D.C., stratégique et que l’ensemble des animateurs métier ne sont pas déchargés de leur fonction pour travailler sur l’expertise. Un spécialiste « facteurs humains » de l’I.R.S.N. qui travaille à l’Autorité de sûreté nucléaire représente cette institution sur ce dossier. Il est particulièrement qualifié pour cette tâche car durant son expérience de plusieurs années au S.E.F.H., il s’était investi sur cette thématique ; c’est lui qui avait réalisé une analyse préalable pour l’expertise à la fin des années 1990. Il sera accompagné par un ingénieur chargé des thématiques relatives à la conduite des réacteurs à eau sous pression et aux facteurs humains. 

Les négociations relatives au périmètre de l’expertise

 A la suite des présentations, les discussions portent sur le périmètre de l’expertise. Pour les spécialistes de l’I.R.S.N., il convient d’instruire la gestion prévisionnelle des emplois et des compétences (G.P.E.C.). Les représentants d’E.D.F. plaident, eux, pour une restriction de ce périmètre. « Pour E.D.F., la gestion prévisionnelle des emplois a déjà été évaluée dans l’expertise consacrée aux conséquences du vieillissement des installations, dans le cadre de la thématique « renouvellement des compétences ». L’expertise ne devait donc porter que sur la gestion des compétences. Et puis la gestion prévisionnelle des emplois est bien plus vaste que la gestion des compétences. Elle touche notamment aux politiques de recrutement, de sous-traitance… Bref, des domaines qu’E.D.F. estime hors sujet, et qui ne sont pas non plus pilotés par les mêmes acteurs. » (le pilote I.R.S.N., entretien du 29/06/05) Les spécialistes de l’I.R.S.N. estiment toutefois difficile de dissocier la gestion des compétences de la gestion prévisionnelle des emplois. « La négociation était difficile. On est quand même arrivé à converger, en convenant de ne regarder les aspects liés à la gestion prévisionnelle des emplois qu’au niveau des sites. Autrement dit, on ne s’intéressera pas aux doctrines conçues et au pilotage par les services centraux, mais on pourra s’intéresser à la question « comment gère-t-on, sur les sites, les difficultés liées aux évolutions d’effectifs sur certains domaines ? » On avait peur de leur réaction par rapport à notre insistance quant à la nécessité de faire du terrain, mais ils ne s’y sont pas opposés. » (le pilote I.R.S.N., entretien du 29/06/05) 239 Ainsi, il s’agit d’une première restriction apportée au périmètre de l’expertise. Comme on le verra, les représentants d’E.D.F. tenteront de le restreindre davantage par la suite, lorsque le spécialiste leur présentera son analyse préalable.

L’analyse préalable à l’instruction 

Pour réaliser cette analyse préalable, le spécialiste consulte les différents rapports d’expertise qui ont abordé, par le passé, la gestion des compétences ; les trois consacrés à la formation, mais également d’autres réalisés par des spécialistes « facteurs humains » qui ont partiellement abordé la thématique (notamment un rapport consacré à la sous-traitance des activités de maintenance et un autre consacré à l’organisation de l’équipe de conduite). Il étudie également certains éléments de doctrine que lui a transmis le pilote opérationnel d’E.D.F. Il collabore par ailleurs avec l’appui technique du S.E.F.H., un ancien chef de quart d’E.D.F. avec qui il sélectionne et analyse des comptes rendus d’incidents (les « CRES »147) qui mettent en cause un défaut de compétences. Enfin, il consulte des articles scientifiques et des ouvrages de sociologie, gestion et ergonomie qui traitent de compétences. Ceci lui permet d’établir une première grille d’analyse et une première liste de thématiques [1.2.1.] qu’il discutera avec ses pairs et qu’il présentera à ses interlocuteurs de l’A.S.N. et d’E.D.F. [1.2.2.] Des orientations concernant la méthodologie d’instruction sont ensuite discutées à l’I.R.S.N. [1.2.3.]

La constitution d’une première grille d’analyse et d’une première liste de thématiques

L’enquête préalable du spécialiste et les discussions qu’il a avec ses collègues lui permettent d’établir un modèle d’un système de gestion des compétences. Ce modèle prend la forme d’un processus constitué des cinq étapes représentées dans l’Encadré 22 ; il sera explicité dans un document qu’il écrira à la fin du mois d’octobre. L’instruction doit permettre de recueillir des données afin d’évaluer comment le processus de gestion des compétences d’E.D.F. tient compte de ces différentes étapes. Pour cela, les spécialistes prévoient de réaliser des études de cas constituées d’entretiens et d’observations d’opérateurs en activité. Pour chaque étude de cas, l’examen de la gestion des compétences doit être consacré à un métier ; on parlera dans la suite d’ « étude métier ».

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