L’approche de la lumière naturaliste au cinéma

Les débuts du cinéma, avant la lumière artificielle

Les premières images réalisées par les Frères Lumière en 1895 ont été tournées en extérieurs en plein soleil afin d’avoir une quantité de lumière suffisante pour impressionner la pellicule. Ces images, historiques, présentaient l’arrivée d’un train à La Ciotat. À ce moment-là, le cinéma de fiction n’existe pas encore. L’outil, le cinématographe, n’est utilisé que pour capter des instants du réel. Les Frères Lumière (imité rapidement par d’autres) enverront des émissaires partout dans le monde rapporter un maximum d’images pour créer des archives, une sorte de banque de données concernant les cultures étrangères. Ainsi naissent les prémices du cinéma documentaire, évidemment tourné exclusivement en lumière naturelle.
C’est avec Méliès que naît le cinéma de fiction à proprement parler avec l’invention des trucages, et d’artifices propres aux outils cinématographiques. Dans la tradition des spectacles populaires d’illusion, il invente des fables, ne filme pas le réel, mais le « tord ».
Le cinéma de fiction naît des premiers effets spéciaux, des premiers artifices, des premiers décors. Ainsi, le cinéma va toucher un large public, et s’organiser en studios afin de contrôler les décors, trucages, et autres outils de mise en scène. Les premiers studios apparaissent dès 1896, mais se développeront principalement dans les années 10. Grâce aux structures mises en place, le cinéma va commencer à prendre une importance à la fois économique et culturelle, et deviendra « le septième art » pour certains, une grande industrie pour d’autres.
Les premiers studios étaient à ciel ouvert ou vitrés, utilisant la lumière du soleil pour créer la lumière d’ambiance principale du studio, seule lumière alors assez puissante pour impressionner la pellicule, sensible uniquement au bleu à cette époque. Des toiles pouvaient être tendues au plafond pour diffuser plus ou moins la lumière naturelle.

Le choix de la lumière naturelle

Le choix de Nestor Almendros de n’utiliser que la lumière naturelle a été motivée premièrement afin de réduire le bleu du ciel dans les scènes d’extérieurs jours car « cela confère aux paysages un caractère de cartes postales, de vulgaires publicités touristiques».
Or la majeure partie du film se déroule en extérieur ! Sa solution pour perdre ce bleu azur du ciel trop criard à son goût et à celui de Terrence Malick qui « comme Truffaut, porte à son paroxysme cette tendance actuelle à estomper les couleurs » ; est de jouer uniquement sur l’exposition du diaphragme. Or d’après lui, le ciel Américain possède une lumière plus franche, plus crue que la lumière Française à cause de la transparence de l’air. Cela a pour conséquence d’avoir des contres jours plus marqués, avec un plus grand écart de diaphragme. En plaçant les personnages en contre-jour, et exposant la pellicule à une valeur entre celle indiquée par la cellule pour le visage et celle pour le ciel, il obtenait un ciel blanc à la limite de la surexposition, et un visage légèrement dans l’ombre, des personnage légèrement « silhouettés ». Son chef électricien durant ce film était selon ses dires dans son livre Un Homme à la Caméra, « typiquement de la vieille garde hollywoodienne » et donc « il était inconcevable pour eux que les visages restent dans l’ombre ou que le ciel ne soit pas bien bleu ». Il préparait donc (comme le veut la coutume aux États Unis) tout l’éclairage conventionnel en avance avec des lampes à arc, des réflecteurs, etc, afin que les visages et le ciel soit « correctement » exposé selon la norme hollywoodienne. Ensuite, Nestor Almendros coupait tout au début du tournage, retrouvant l’esthétique qu’il avait choisie et son parti pris de n’utiliser que la lumière naturelle (ce qui poussera un certain nombre de chef électricien à démissionner au cours du tournage). Il avoue parfois avoir souhaité atténuer quelques peu l’écart de diaphragme sur un visage avec une plaque de polystyrène blanc : c’est Terrence Malick qui l’en a dissuadé, le poussant à prendre des risques et l’encourageant dans l’audace de sa démarche.

Imiter la lumière réelle : recréer une lueur lunaire

D’après Céline Bozon, « le mieux est toujours de se référer à quelque chose qui existe ». En pleine campagne, la seule lumière présente de nuit est celle de la lune. La première chose que l’on remarque est l’aspect bleuté de la lumière lunaire. La lumière bleue est devenue rapidement un archétype de représentation de la nuit au cinéma, perdant très vite en réalisme dans les normes hollywoodiennes. Si on observe attentivement, on remarque que paradoxalement, la lune crée une lumière très douce et très diffuse mais qui engendre des ombres noires denses et très marquées. Conserver ce principe permet d’avoir une image plus réaliste. Or cet aspect est très compliqué techniquement à mettre en œuvre, et provoque des coûts de production conséquents. En effet, pour recréer ce type de lumière il faut imiter la lune : une source puissante mais qui soit fortement diffusée et placée très loin, et haut dans le ciel. Il n’est donc pas toujours permis par la production de réaliser ce type d’installation coûteuse…
D’après Céline Bozon, depuis peu, « il existe des outils, des caméras très sensibles, qui commencent à permettre de tourner avec de véritable clair de lune. J’ai pu le faire avec la Alpha , et l’effet est assez magique ! ». Le développement de ces progrès techniques pourront permettre peut être bientôt de régler ce problème épineux à moindres frais… Et sans projecteurs. En revanche, par le passé d’autres ont pu conserver le parti pris de la lumière naturelle et ne jamais utiliser de projecteur. Caroline Champetier propose des solutions clefs en lumière naturelle…

Adapter la lumière aux besoins du réalisateur : l’exemple de Maïwenn

Choisir le parti pris de la lumière naturaliste pour un film résulte toujours d’un dialogue entre le directeur de la photographie et le réalisateur. Il faut garder toujours à l’esprit qu’un directeur de la photographie est force de proposition mais qu’il vient aider un réalisateur à mettre en place son idée, son esthétique pour son film. Un chef opérateur ne peut en aucun cas faire des choix esthétiques sans tenir compte des volontés du réalisateur et du récit. Cependant après avoir convenu d’une esthétique, il est parfois compliqué de conserver ce parti pris selon les «goûts» additionnels des réalisateurs, parfois contradictoires avec ce qui est souhaité. Par exemple, Claire Mathon décrit le cas de Maïwenn : « Maïwenn est sûrement une réalisatrice très naturaliste dans le sens où elle aime être fidèle aux lumières des lieux dans lesquels on filme, mais pour cela il faut parfois intervenir (notamment pour la couleur de la lumière). Elle aime l’atmosphère des lieux qu’elle choisit aussi pour leur lumière et à la fois elle est sensible à d’autres types de lumières mais qui mettent en lumière ses comédiens : et cela va souvent à l’encontre des lumières existantes ! Par exemple, elle n’aime pas la lumière en douche, ce qui est très courant bien sûr et donc il faut souvent recréer les lumières plus basses. Ce n’est pas la réalité, mais c’est réaliste, naturel. Le cinéma de Maïwenn va avec un rapport au réel, être dans les situations, s’immerger, y croire… Comme s’il n’y avait pas d’interventions… »
ce type de situation amène donc régulièrement à l’utilisation d’une lumière mixte afin de pouvoir respecter les envies d’un réalisateur sans s’éloigner de la direction première : ici naturaliste.

Table des matières

INTRODUCTION
AXE I – Artifices et sensation de lumière « vraie » : repères historiques… 
Créer l’illusion, styliser, idéaliser… par des artifices de lumière 
La mimesis de Platon : les fondements esthétiques de l’opposition entre imitation et
illusion
L’idéal pensé et l’imperfection du réel
La légende de Zeuxis et Parrhasios
Le statut d’artiste
Les règles de l’académisme en peinture
Les débuts du cinéma, en lumière naturelle…
Premières lumières entièrement artificielles et premières règles
L’arrivée de la couleur : bouleversement des techniques
Montrer le réel par l’exposition des artifices de représentation 
Les courants réalistes et naturalistes en peinture
Représenter la sensation d’une « vraie » lumière…
Les Nouvelles Vagues, courants en rupture avec « la menace Hollywoodienne »
Une nouvelle grammaire du cinéma : exposer les artifices de la fabrication d’un film pour capter le réel
Refuser la lumière stylisée des studios…
Le Dogme : refuser toute esthétique pour capter « l’instant »
Définir la lumière naturaliste au cinéma 
Quelques termes à définir…
La voix des chefs opérateurs…
Quels moyens utiliser pour obtenir un rendu naturaliste ?
Lumière naturelle ou artifices de lumières ?
La lumière naturaliste, un éclairage invisible aux yeux du spectateur.
Brouiller les frontières entre réalité et fiction.
La lumière naturelle, une lumière pas forcément naturaliste…
Savoir adapter les moyens techniques aux projets
Le contre-exemple de Day of Heaven
Le choix de la lumière naturelle
Le choix des heures « magiques »…
L’utilisation d’une lumière exclusivement naturelle traduit-elle une sensation de « vrai » ?
AXE II – Situations paradoxales propres au cinéma 
Comment éclairer la nuit ?
À l’aide de projecteurs…
Justifier sa lumière par l’éclairage urbain
Imiter la lumière réelle : recréer une lueur lunaire
Jusqu’où peut aller le parti pris de la lumière naturelle ?
La Nuit Américaine
Son origine…
La nuit Américaine peut-elle être réaliste ?
Raccorder un plan en nuit américaine avec un plan de nuit : un pari risqué !
Le parti pris de la lumière naturelle poussé à l’extrême avec Nestor Almendros…
Surdéveloppement systématique de la pellicule
Changer la colorimétrie
Tourner en fin de jour en grande ouverture
Transgresser ses propres principes
Résister aux codes esthétiques établis
Le faux-raccord lumière 
Truquer l’espace réel pour obtenir une sensation de « vrai » dans l’espace filmique
La notion d’espace dans le faux-raccord
Reflets verts sur les peaux : une conséquence de la lumière naturelle…
AXE III – Principales approches contemporaines 
Refus de l’artifice : lumière naturelle 
Lumière naturelle dans les décors extérieurs : Into The Wild
Le respect de la mémoire de Christopher McCandless : un parti pris qui s’affirme par des effets de réalisme
Photos de témoignage
Intégration des vraies personnes rencontrées pour jouer leur propre rôle.
Utilisation de multicaméras pour plus de spontanéité
Une reconstitution à la frontière avec le documentaire ?
Le naturalisme stylisé pour servir la narration
Fin de l’hiver et printemps : douceur et harmonie
L’été, la puissance de la nature sauvage
L’automne, début de l’hostilité…
L’exception du plan de fin
Lumière naturelle dans les décors intérieurs : l’exemple de Day of Heaven – page 56
Adaptation de la lumière naturelle
Quels types de procédés techniques sont utilisés pour travailler en lumière naturelle ?
Adapter la lumière aux besoins du réalisateur : l’exemple de Maïwenn
Utilisation d’une lumière « mixte »
Les procédés de mise en scène de Polisse pour brouiller les frontières entre fiction et réalité
L’utilisation de faits réels
La mise en abyme
L’improvisation des acteurs
Le multicaméra, un outil contraignant
Les conséquences sur la mise en lumière
Contrôle par la lumière artificielle
Asphalte
Une continuité durable indispensable
S’adapter à un budget
Volonté d’une lumière naturaliste très douce
Le paradoxe de la séquence de nuit
La création/l’invention : l’exemple de Gravity
CONCLUSION 
Bibliographie, netographie et filmographie
Contacts professionnels

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