Le ministre des affaires étrangères sous les premiers régimes parlementaires modernes

Le ministre des Affaires étrangères sous les premiers régimes parlementaires modernes : un serviteur de l’État (1814-1875)

« Si l’on dit que des ministres peuvent toujours demeurer en place malgré la majorité, parce que cette majorité ne peut pas physiquement les prendre par le manteau et les mettre dehors, cela est vrai. Mais si c’est garder sa place que de recevoir tous les jours des humiliations, que de s’entendre dire les choses les plus désagréables, que de n’être jamais sûr qu’une loi passera, tout ce que je sais alors, c’est que le ministre reste, et que le gouvernement s’en va ». [Vicomte François-René de CHATEAUBRIAND] 1348 chartes constitutives adoptées entre 1814 et 1875 aient éludé cette question. Elles y ont répondu en conférant aux Chambres un pouvoir d’investigation assorti de mécanismes de sanction pour en garantir l’effectivité. L’obscurité et les ambiguïtés s’apprécieraient, alors, au niveau des effets attachés à ces mécanismes par les parlementaires – voire par les chefs d’État désireux de se débarrasser de ministres récalcitrants1351. Concrètement, la question se pose de savoir si les représentants de la Nation ont le pouvoir de renvoyer les ministres. Cependant, sa résolution importe peu au regard de la problématique de l’autonomie d’action ministérielle car, que l’on adopte la perspective des chefs d’État ou celle des parlementaires pour y répondre, au final, le ministre des Affaires étrangères demeure irrémédiablement enfermé dans son rôle traditionnel d’exécutant du Pouvoir politique suprême. 561. La période qui couvre l’institutionnalisation des premiers régimes parlementaires modernes en France (1814-1877) est, donc, placée sous le signe de la continuité pour le responsable du Département. Néanmoins, on ne peut s’arrêter à ce constat négatif car, l’essor concomitant des relations interétatiques et, plus exactement, le développement de la  multilatéralisation des échanges internationaux à la fin du XIXème siècle vont parvenir à galvaniser suffisamment l’activité diplomatique du chef du Département pour lui conférer une visibilité institutionnelle plus grande auprès de l’étranger, à défaut d’un pouvoir de représentation encore exclusivement réservé au chef d’État. Dans le cas spécifique du ministre des Affaires étrangères, c’est donc dans la pratique diplomatique internationale plus que dans la pratique constitutionnelle française de l’époque que résident les matériaux les plus solides pour consolider la politisation de ses prérogatives extérieures.

L’incertitude suscitée au sein de la doctrine spécialisée par la genèse du régime parlementaire en France1352 impose, dans un premier temps, de délimiter le cadre conceptuel du présent Chapitre. Cette démarche préalable peut se révéler déterminante des axes d’étude à privilégier pour résoudre la problématique de la politisation du rôle diplomatique du ministre des Affaires étrangères entre 1814 et 1877. Dans cet intervalle particulièrement riche en bouleversements constitutionnels, l’assise administrative des ministres des Affaires étrangères demeure paradoxalement stable de sorte que, finalement, on peut douter de l’impact de la configuration du régime sur l’amplitude de leur action diplomatique. De fait, si la réflexion sur le caractère parlementaire peut se révéler utile à la compréhension des rapports du ministre des Affaires étrangères avec les instances dirigeantes, elle n’est pas exclusive de la politisation de son rôle diplomatique1353. Sans doute la normalisation du monopole juridique qu’il détient en matière de correspondance diplomatique peut expliquer le fait que les titulaires se soient toujours vus garantir une place de premier choix au sein du collaboration fonctionnelle entre les Pouvoirs exécutif et législatif, droit d’interpellation des Chambres, motion de censure, etc) semble avoir été transcendée par la théorisation de la collaboration des pouvoirs du Professeur Georges BURDEAU (Traité de Science politique, Tome V « Les régimes politiques », L.G.D.J., 1985, pp. 345- 348), il semble en aller autrement des historiens. Ainsi, pour le Professeur Benoît YVERT, « le grand demi- siècle allant de la Seconde Restauration à l’instauration définitive de la République, consécutive à la démission de MAC-MAHON » serait couvert par le principe d’une « responsabilité introuvable ». Il matérialiserait « la quête du régime idéal augurée par la fracture fondatrice de 1789 » [In Premiers ministres et présidents du Conseil depuis 1815 – Histoire et dictionnaire raisonné des chefs du gouvernement en France (1815-2007), Coll. Tempus, Éd. Perrin, 2002, p. 13]. distanciation par rapport à la réflexion doctrinale sur les critères d’identification du régime parlementaire permettrait de centrer nos propos sur l’apport de ce régime à l’autonomisation des prérogatives externes du ministre et éviterait, ainsi, des digressions théoriques sur la nature des régimes qui se sont succédés entre 1814 et 1875. Nous convenons, toutefois, avec le Professeur Georges BURDEAU du « défaut » que constitue un postulat basé sur la seule déclaration de l’existence du régime parlementaire. Il ne saurait « s’établi[r] par [cette] seule affirmation », (Traité de Science politique, Tome V, Op. cit., p. 349). Mais, ce serait perdre de vue le sujet à traiter que d’impulser une discussion théorique parallèle sur la réalité avérée ou non du parlementarisme. C’est, donc, avec toutes les réserves émises par le Professeur BURDEAU (Op. cit., pp. 348-350) que nous prenons pour postulat de départ de faire coïncider la période allant de la Restauration à la veille de la IIIème République avec l’émergence du parlementarisme en France, étant entendu que ce concept est envisagé comme un moyen et non une fin de notre analyse. Nous sommes, même, plutôt convaincus par l’esprit transigeant de cet homme politique de la IIIème République : « La France n’est ni légitimiste, ni républicaine, ni bonapartiste, elle est indifférente à la forme du gouvernement, et disposée par là même à préférer celle qui existe, toutes les fois qu’elle ne trouble point violemment ses intérêts » [SAVARY (Ch.), Le gouvernement constitutionnel – Étude sur les questions actuelles, Responsabilité ministérielle – Amendement Grévy – Régime présidentiel – Chambre haute – Droit de dissolution – Loi électorale – Organisation du pouvoir exécutif, Librairie du moniteur universel, 1873, p. VI].

 

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