Le Pacifique tropical

Présentation de l’état moyen

Températures moyennes

La température de surface (SST, Sea Surface Temperature) moyenne, présentée sur la Figure 5 diminue globalement de l’équateur vers les pôles et d’ouest en est dans la bande équatoriale. On observe des eaux chaudes (T> 28-29°C ; la Warm Pool) dans l’ouest du Pacifique équatorial et des eaux plus froides (T<24°C ; la Cold Tongue) dans la partie est, liée à la présence d’un upwelling équatorial. Le Pacifique équatorial est donc marqué par un gradient zonal de températures de surface qui contribue à maintenir les vents dominants d’est en ouest (cf. Figure 10). Au nord et au sud, dans la partie est du bassin, on observe également 2 bandes d’eaux froides (cf. Figure 5) qui s’expliquent par l’arrivée des courants de Humbolt au sud, et du courant de Californie au nord.

Salinité de surface

La distribution moyenne de la SSS (Sea Surface Salinity) est présentée Figure 7. Les eaux les moins salées coïncident globalement avec les zones de convergence intertropicale (l’ITCZ, Inter Tropical Convergence Zone et la SPCZ, South Pacific Convergence Zone, cf. 4.) qui sont des zones de fortes précipitations et de faibles vents. Les eaux les moins salées se trouvent également dans la Warm Pool, parfois appelée la Fresh pool (Delcroix et Picaut, 1998).
A l’inverse, on observe deux zones de maximum de salinité au sud (au sud-est de la Polynésie) et au nord (près d’Hawaii) qui correspondent à des zones de forte évaporation (et de faibles précipitations) en raison de forts vents (cf. Figure 10).
Le long de l’équateur, on observe une décroissance de la salinité de surface du centre vers l’ouest avec une zone de gradient zonal maximum située vers 165-170°E. Ce front de salinité, également marqué en subsurface dans la couche 0-50 m (Figure 8) est une zone de convergence entre les eaux froides et salées du Pacifique central et les eaux chaudes et peu salées de la warm pool. Cette convergence peut générer en subsurface une structure thermohaline particulière avec l’apparition d’une couche isotherme mais stratifiée en sel (cf. Figure 8 et Figure 6) appelée « couche barrière de sel » qui sépare la base de la couche isotherme de la base de la couche de mélange (Lukas et Lindstrom, 1991). Cette couche apparaît généralement à l’ouest du front de salinité. Par sa stratification, elle peut inhiber les échanges entre l’atmosphère et l’océan intérieur (Vialard et Delecluse, 1998ab). Nous l’analyserons en détail au chapitre V.

Les courants de surface

Les courants de surface sont fortement influencés par les vents (Figure 10). Dans le Pacifique tropical, le Courant Equatorial Sud (South Equatorial Current, SEC, Figure 9) et le Courant Equatorial Nord (North Equatorial Current, NEC) se dirigent d’est en ouest. A contrario, le Contre Courant Equatorial Nord (North Equatorial Counter Current, NECC) et le Contre Courant Sud Equatorial (South Equatorial Counter Current, SECC) se dirigent d’ouest en est en lien avec le rotationnel de la tension du vent (Meyers, 1979).
Le SEC se dirige vers l’ouest avec une vitesse de l’ordre de 0.5 à 1 m/s, il se situe entre 3°N et 8°S, s’étire sur une centaine de mètres de profondeur, et peut transporter jusqu’à 30Sv4 (A titre de comparaison, l’ensemble des rivières du monde forme un flux de 1 Sv, et 4 1 Sv=106 m3/s l’ensemble des précipitations au-dessus des océans sont de l’ordre de 10 Sv). Le NEC se dirige également vers l’ouest au nord de 5°N-10°N. Son intensité augmente d’est en ouest. Le NECC se situe entre 4°N et 9°N (entre le SEC et le NEC) suivant la position de l’ITCZ et se dirige vers l’est avec une intensité pouvant atteindre 0.5 m/s. Le SECC se dirige également vers l’est. Il se situe vers 9°S et il est surtout développé dans le Pacifique Ouest entre 50 et 200 m sous la surface. Une description quantitative de ces courants et de leurs transports est donnée par Picaut et Tournier (1991) à partir de mesures XBT le long de rails de navigation et par Reverdin et al. (1994) à partir de bouées dérivantes dans l’ensemble du bassin. On notera qu’il existe également des courants méridiens sur le bord ouest du Pacifique tropical relativement peu documentés dans la littérature.

Vents de surface et précipitations

La distribution moyenne des vents de surface et des précipitations est présentée Figure 10. En lien avec la distribution moyenne de la SST et du sens de rotation de la Terre, on observe des vents de nord-est dans l’hémisphère nord et de sud-est dans l’hémisphère sud. Ces vents appelés « alizés » convergent sur deux zones particulières appelées ITCZ et SPCZ, Figure 10. L’ITCZ s’étend d’est en ouest entre 10°N et 5°N environ. Elle se déplace suivant les saisons entre l’équateur en hiver boréal et 10°N en été. Elle est aussi appelée « équateur météorologique » ou encore « pot au noir » dans le langage des navigateurs. Les navigateurs à la voile redoutent le passage de cette zone car ils se trouvent souvent confrontés à des vents relativement faibles et parfois à de violents orages. La SPCZ se situe dans l’hémisphère sud, à l’ouest du bassin. Elle s’étend de la Nouvelle-Guinée aux îles de Polynésie. Sa position varie également en fonction des saisons : elle se trouve plus au sud en été austral, près de l’Australie, elle migre vers l’équateur en hiver austral. L’ITCZ et la SPCZ sont toutes deux associées à de fortes précipitations (> 8 mm/jour). On notera également les fortes précipitations situées sur la warm pool.

Rappel des théories oscillatoires d’ENSO

Dans cette partie, nous rappelons puis comparons, les principales théories permettant d’expliquer la nature quasi-oscillatoire du phénomène ENSO. Cette comparaison et synthèse, nous a permis de définir les questions scientifiques majeures auxquelles nous nous proposons de répondre dans cette thèse.

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Les principales théories oscillatoires

La théorie de l’oscillateur retardé

Cette théorie (Suarez et Schopf, 1988; Battisti et Hirst, 1989) explique pour la première fois, la nature « oscillatoire » d’ENSO. Le principe de la théorie est le suivant.
A l’ouest du Pacifique équatorial, des coups de vent d’ouest génèrent des ondes équatoriales de Kelvin de downwelling et de Rossby d’upwelling. Les ondes de Kelvin se propagent vers l’est (cf. Figure 11), approfondissent la thermocline, et provoquent un réchauffement dans la partie est du bassin. Les ondes de Rossby d’upwelling, se propagent vers l’ouest, se réfléchissent sur le bord ouest du Pacifique en ondes de Kelvin d’upwelling qui vont entraîner un refroidissement de la température de surface. En atteignant quelques mois plus tard le centre-est du bassin, ces dernières ondes vont s’opposer au réchauffement induit dans le Pacifique et contribuer au retour à la normale. Ce mécanisme permet d’introduire une rétroaction négative retardée, avec un délai lié au temps de propagation des ondes.

L’oscillateur advectif-réflectif

Selon cette théorie (Picaut et al., 1997), des anomalies d’eau chaude situées au centre du bassin induisent des anomalies de vent d’ouest (noter que compte tenu du couplage, la chronologie du scénario présenté ci-dessous, peut très bien débuter par des anomalies de vent d’ouest). Ces vents d’ouest sont à l’origine de la propagation vers l’est d’ondes de Kelvin de downwelling et vers l’ouest d’ondes de Rossby d’upwelling. Ces 2 types d’ondes ayant des vitesses zonales associées positives, elles advectent les eaux chaudes de la warm pool vers l’est du bassin (cf. Figure 12), ce qui renforce les anomalies positives de température au centre du bassin, témoin de la genèse d’un évènement El Niño.

L’oscillateur du Pacifique ouest

Selon cette théorie (Weisberg et Wang, 1997), un réchauffement des eaux de surface du centre du Pacifique équatorial génère l’apparition de 2 cellules cycloniques de part et d’autre de l’équateur (cf. « L » Figure 13) liées à la présence d’anomalies de vent d’ouest dans la région ouest. Ces anomalies de vent d’ouest génèrent des ondes de Kelvin de downwelling qui se propagent vers l’est, approfondissent la thermocline, ce qui entraîne l’apparition d’anomalies chaudes à l’est du Pacifique caractéristiques de l’arrivée d’un évènement El Niño. Par ailleurs, les régions cycloniques extra-équatoriales entraînent une remontée de la thermocline par pompage d’Ekman dans l’ouest du bassin. Ces anomalies de thermocline peu profonde se propagent vers l’ouest, entraînant un refroidissement de la température de surface ainsi qu’une augmentation de la pression en surface dans le Pacifique ouest. Ces anomalies de pression en surface entraînent l’apparition de 2 circulations anticycloniques de part et d’autre de l’équateur à l’ouest (cf. « h » Figure 13), qui génèrent des vents d’est à l’origine d’ondes de Kelvin d’upwelling qui se propagent vers l’est du bassin et permettent un retour à la normale.

Spécificités de la Recharge-Décharge

Cette théorie a fait l’objet de plusieurs publications qui ont fait progresser la compréhension du phénomène El Niño. Une revue bibliographique de ces études se trouve dans l’article de Bosc et Delcroix (2008) reproduit au chapitre IV. Cette théorie présente un intérêt particulier pour plusieurs raisons :
Potentiel prédictif d’El Niño. Son premier intérêt repose sur l’idée que la recharge de la bande équatoriale précède l’arrivée d’un évènement El Niño. En effet, Meinen et McPhaden (2000) ont montré à partir d’observations, que le volume d’eau chaude (défini comme le volume d’eaux de température supérieures à 20°C) dans toute la bande équatoriale du Pacifique (5°N-5°S-120°E-80°W), est fortement corrélé (R=0.7) avec les anomalies de SST qui apparaissent 7 mois plus tard dans la boîte Niño3 (5°N-5°S-150W-90W). La Figure 16 illustre sur la période 1980-2008, la recharge systématique de la bande équatoriale en eaux chaudes (augmentation du WWV) avant l’arrivée d’un évènement El Niño (cf. les évènements El Niño de 1982-1983, 1986-1987, 1991-1992, 1994-1995, 1997-1998, 2002-2003, 2004- 2005, 2006-2007) et sa décharge (diminution du WWV) lors de sa phase mature (maximum de SST Niño3.4). On remarque cependant, que l’augmentation du WWV est une condition nécessaire qui pourrait bien prévenir de l’arrivée d’un évènement El Niño mais ce n’est pas une condition suffisante (cf. 1988 ou 2000, McPhaden et al., 2006).

La warm pool : ses spécificités

Présentation

Comme nous l’avons rapidement vu (I.), le Pacifique équatorial se caractérise à l’est par des eaux relativement froides et salées (T<24°C, S>35) dans la Cold Tongue et à l’ouest par des eaux chaudes et peu salées (T>28°C, S<34,5) dans la warm (fresh) pool. Cette dernière région couvre, en surface, une superficie comparable à celle de l’Australie (cf. Figure 5) et s’étend en profondeur sur les 60 à 100 premiers mètres de l’océan. En raison de ses fortes températures de surface (T>28°C), elle est le siège de fortes interactions entre l’océan et l’atmosphère qui se traduisent par une convection atmosphérique intense (Webster et Lukas, 1992). On notera également que des petites variations de SST dans cette région (de l’ordre de 0.5°C seulement) ont des répercussions à l’échelle du globe (Palmer et Mansfield, 1984 ; Hoerling et Kumar, 2003).
La taille de ce réservoir d’eau chaude varie de manière importante au cours du temps, à l’échelle ENSO. Les déplacements zonaux du bord est (de 150°E à 150°W) induisent une extension de la warm pool lors d’un évènement El Niño ou une réduction lors d’un évènement La Niña. Le bord est peut se situer à plus de 8000 km à l’est ou 1500 km à l’ouest de sa position moyenne (Fu et al., 1986 ; Picaut et al., 1996 ; Maes et al., 2004). Ces déplacements zonaux du réservoir d’eau chaude entraînent un déplacement des zones de convection et dusystème de précipitations associées.

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