Les graines du nationalisme turc se sèment à l’école

Les graines du nationalisme turc se sèment à l’école

« Heureux celui qui peut se dire turc », chantent en choeur des centaines d’enfants en uniforme, bien rangés dans la cour de leur école devant une statue dorée du père vénéré de la Turquie, Atatürk, en prononçant leur serment de travail et de sacrifice quotidien. Le chant enthousiaste prend fin et les files d’enfants entrent dans l’école, en passant devant une inscription disant que leur premier devoir est de défendre la Turquie, et une autre énonçant les paroles de l’hymne national – textes qui figurent également sur les murs de la classe et dans les préfaces des manuels scolaires. Lorsqu’ils iront au lycée, ces enfants recevront un enseignement hebdomadaire délivré par des officiers et portant sur les exploits de l’armée. Leurs livres leur diront que les puissances européennes ont l’oeil rivé sur l’Anatolie et que la géographie de la Turquie la rend vulnérable « à toutes sortes de menaces intérieures et extérieures. » Les manuels sont pleins de citations de Mustafa Kemal Atatürk, qui a fondé la Turquie moderne en 1923 après l’effondrement de l’Empire ottoman. « Patrie… nous sommes tous un sacrifice pour toi! » (?) est particulièrement recommandé par les auteurs d’un des manuels. Ce ne sont là que quelques caractéristiques du système éducatif turc que les professeurs et militants réformateurs veulent faire changer. lls disent que ce système encourage un nationalisme aveugle, chose que la Turquie considère plus sérieusement depuis l’assassinat du journaliste arméno-turc Hrant Dink par des ultranationalistes en janvier dernier.

LE MILITARISME Des dissensions politiques avec l’Union européenne, à laquelle Ankara espère adhérer, ont aussi attisé le nationalisme — surtout une année d’élection — mais de nombreux experts disent que les graines en sont semées d’abord à l’école.  » Dans les Etats-nations récemment fondés comme le nôtre, l’école est un instrument politique efficace pour former et transformer les gens… mais ces dernières décennies ce concept, qui a besoin d’être assoupli, a persisté, » a confié à Reuters Ziya Selcuk, professeur d’université et ancien président de la Commission du gouvernement pour la formation et l’éducation. Ce gouvernement a réformé les programmes d’une façon qui, selon les enseignants, rend les élèves plus actifs et qui réduit le traditionnel apprentissage par coeur. »Il y a toujours un accent mis sur le militarisme, l’importance de deveni run martyr, d’aller à la guerre, de mourir à la guerre etc », dit Batuhan Aydagul, coordinateur adjoint de l’Initiative pour une Réforme de l’Education. Les professeurs disent aussi qu’ils se sentent soumis à des pressions pour qu’ils ne s’écartent pas de la ligne ou du programme officiels en classe. « Si vous présentez des arguments à l’opposé des arguments établis… vous pouvez avoir des réactions, absolument, de la part des élèves, des autres enseignants, et des directeurs – des réactions négatives évidemment », dit un professeur qui a souhaité rester anonyme. Son collègue, qui parle aussi à condition de rester anonyme, rit à l’idée de critiquer Atatürk en cours d’histoire, disant que cela provoquerait une enquête du procureur.

« Ils pensent… que si vous faites ça, vous introduisez la confusion dans leurs esprits et la confusion n’est pas bonne pour les jeunes », dit le premier enseignant. Mais les manuels peuvent être source de confusion pour certains : alors que les historiens étrangers disent que les forces ottomanes ont massacré les Arméniens en 1915, les livres d’histoire des lycées disent ici que c’était l’inverse. « Il ne faut pas oublier qu’en Anatolie, les Arméniens ont commis un génocide », lit-on dans un livre datant de 2005. Dans son dernier rapport d’étape, l’UE a aussi critiqué le portrait de minorités comme les Arméniens, disant qu’il y avait encore du travail à faire pour retirer des livres les propos discriminatoires. DE FAIBLES RESULTATS Le nationalisme n’est pas le seul problème des écoles de la Turquie qui, limitée par les restrictions budgétaires d’un accord avec le FMI, ne dépense pas grand-chose pour l’éducation. Avec une population de 74 millions d’habitants, la Turquie lutte déjà pour trouver des emplois à son armée de jeunes toujours grandissante. Mais en terme de dépenses per capita en proportion de l’économie, la Turquie est le pays de l’OCDE qui dépense le moins. L’institutrice Ayse Panus dit que les parents de son école publique, qui compte 21 enseignants pour 680 élèves, paient une contribution d’environ 50 lires ($35) par an pour qu’elle fonctionne. La Turquie est aussi en queue de peloton des pays de l’OCDE en termes de nombres d’années passées à l’école, de proportion de la population ayant reçu une éducation post-scolaire, et de compétences en mathématiques des enfants âgés de 15 ans.

Les enseignants sont sous-payés et passent les premières années de leur carrière sur des postes qui leur sont assignés par l’Etat. Le gouvernement actuel a augmenté les dépenses, mais les spécialistes disent qu’il en faut plus pour réduire le fossé qui sépare les établissements élitistes et de haut niveau des écoles ordinaires au sein d’un système à deux vitesses. Le taux d’inscription s’est aussi amélioré, surtout pour les filles – avec l’aide d’un gouvernement qui tient à rester en vue et d’une campagne soutenue par l’UNICEF visant à persuader les parents traditionnalistes des campagnes d’envoyer leurs filles à l’école. Au vu de ces progrès, l’UE dit que la Turquie est bien préparée à l’adhésion s’agissant de l’éducation, mais beaucoup de gens ne sont pas de cet avis. « D’un côté ils veulent faire partie de l’Europe, et de l’autre… ils encouragent le sentiment qu’ils sont entourés d’ennemis », dit Panus.

 

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