L’immeuble « Le cairn » un habitat participatif accessible à tous ?

 L’immeuble « Le cairn » un habitat participatif accessible à tous ? 

Nous allons dans cette partie essayer de mesurer l’accessibilité réelle des logements de l’habitat participatif Le cairn en analysant d’abord la procédure d’intégration de la SAS coopérative Groupe du 4 mars et le processus d’obtention d’un logement social d’Alliade Habitat. Nous nous intéresserons ensuite à l’accessibilité locale et financière de ces logements afin de vérifier si, comme le propose Defalvard, la mise en commun et la gestion en commun de l’habitat participatif permettent d’en assurer un accès local et démocratique à tous.

Rejoindre la coopérative d’habitants du Groupe du 4 mars 

Dès 2008, les fondateurs n’ont pas souhaité que le projet soit fermé à un groupe d’amis, mais ont souhaité l’ouvrir à l’extérieur. « Tout de suite il y avait des gens, des copains ou des relations de certains du groupe mais que d’autres ne connaissaient pas. L’idée a été de se dire que c’est ça qui fait la richesse et que l’on ne voulait pas faire un groupe de copains. Et donc il n’y a pas de cooptation. Il n’y a pas de « moi je connais quelqu’un dans le groupe donc je veux devenir habitant du Cairn » ». Jessica, coopératrice-locataire du Groupe du 4 mars.

Comme dans beaucoup d’habitat participatif, la procédure pour rejoindre le groupe a été travaillée et est clairement affichée, car c’est un enjeu fort pour la durabilité du projet. L’arrivée d’un nouveau membre est un évènement important, surtout pour un immeuble constitué, qui change les équilibres du groupe. Le nouveau foyer sera non seulement un nouveau sociétairecoopérateur, mais aussi un voisin et une personne qui participera à la vie de l’immeuble et de la coopérative.

« Au Village Vertical, il y a un gars qui dit que la coopérative à chaque nouveau coopérateur qui part ou qui arrive, c’est une nouvelle coopérative parce qu’évidemment le nouveau, il a besoin de cheminer et pourquoi vous avez pris cette décision mais pourquoi on fait ça comme ça et on est-ce qu’on ne pourrait pas faire ça comme ça ». Jeanne, coopératrice-locataire du Groupe du 4 mars.

Pour rejoindre la coopérative d’habitants, il faut contacter le groupe et assister à la réunion d’ouverture qui a lieu une fois par an. Ensuite, on doit faire acte de candidature pour intégrer le « Cercle 2 », ce qui permet d’être associé régulièrement à la vie de la coopérative et de pouvoir candidater si un appartement se libère.

« Le Cercle 2, c’est à la fois une liste d’attente dans le sens qu’il faut être dedans pour rentrer dans le Cercle 1 et être membre du Cairn. Mais c’est surtout le lieu où pendant que l’on est dans le Cercle 2 on est associé à des évènements du groupe. On est informé de l’actualité du groupe et on peut échanger avec les membres du groupe et poser plein de questions. Et l’idée quand même, car on a été alertés par des membres d’autres groupes que quand ils avaient un départ ils n’arrivaient pas à remplacer le membre du groupe qui partait. C’est vraiment problématique quand on a un immeuble car cela fait des mois de vacances qu’il faut payer si l’appartement n’est pas occupé. Donc l’idée est de ne pas se retrouver comme certains groupes avec des gens qui veulent visiter que l’appartement et qui ne sont pas du tout là pour le projet. L’idée c’est qu’au moment où on a un départ, et que l’on sait qu’il y a un appartement qui se libère, les gens qui veulent visiter, ils ont déjà une bonne notion de ce que c’est que d’intégrer le groupe en termes d’investissement, en termes de vie collective. Comme engagement en termes de je fais le ménage des parties communes, je m’occupe du potager, donc je paye aussi pour les parties communes». Jessica, coopératrice-locataire du Groupe du 4 mars.

L’enjeu est fort pour le groupe, le risque étant que le foyer remplaçant ne s’investisse pas dans le projet et vienne ainsi alourdir la charge de travail pour les autres membres. Un risque d’autant plus important que le groupe se refuse de choisir les futurs habitants. La procédure d’intégration et l’implication dans le « Cercle 2 » est un moyen pour les candidats de savoir où ils mettent les pieds et c’est eux pour finir qui choisissent ou pas de faire acte de candidature le cas échéant.

« Si un appartement se libère, on va contacter tout le Cercle 2 en disant « on a un T3 de cette surface-là, qui coûte tant par mois et qui demande tant d’apport. […] Puis ceux qui sont intéressés sont vus tous ensemble pour poser toutes leurs questions sur l’appartement, le projet, l’immeuble, etc. Et suite, à cette réunion ils disent s’ils ont un intérêt pour cet appartement. S’il n’y a qu’un foyer intéressé par cet appartement, cela marche directement. Sachant que s’ils ont dit oui, c’est qu’ils correspondent à tous les critères, PLS ou pas, montant de l’apport ou pas. Et s’ils sont plusieurs, c’est ça sur lequel on a beaucoup travaillé. Cela a été compliqué pour nous car on ne voulait pas faire un dossier sur chaque personne, et bien, on tire au sort. Avec beaucoup d’amertume pour les autres, mais c’est ce qui finalement nous paraissait le moins injuste pour les autres. Parce qu’on a fait l’expérience au fur et à mesure des années, qu’il y a de gens qui pouvaient apporter beaucoup de choses et qui savent faire plein de trucs et qui ne vont pas être tant que ça moteurs dans le groupe. Ou à l’inverse des gens qui arrivaient très discrètement en disant « moi je ne veux pas, je ne sais pas comment je vais aider », et qui en fait amènent plein de choses au groupe. Et puis, il faut que l’on amène des gens différents. Et on ne sait jamais de qui on a besoin ou de quoi on a besoin. On ne sait pas dire si ça va être quelqu’un d’intéressant ou pas. On ne regarde ni la profession, ni la capacité à travailler en groupe. Alors on ne regarde pas mais par contre on est très insistants sur ce que l’on dit en réunion. Donc la personne sait qu’elle va d’emblée se positionner dans un collectif où elle sera attendue et ce sera difficile pour elle ». Jessica, coopératrice-locataire du Groupe du 4 mars.

Le mode de sélection se fait donc par tirage au sort, s’il y a plusieurs candidats pour un appartement après avoir vérifié que la situation du foyer rentre bien dans les critères du logement libéré. La typologie du logement libéré est bien entendu un critère, mais aussi le mode de financement qui a permis de construire. Onze des treize appartements de la coopérative sont conditionnés aux critères du logement social et nécessitent pour les candidats d’avoir des revenus ne dépassant pas le plafond de ressources des logements financés par le Prêt Locatif Social (PLS). Pour être éligible à un logement social, il est nécessaire de respecter les conditions relatives à la personne (être majeur, être de nationalité française ou être titulaire d’un titre de séjour) et répondre aux conditions de ressources fixées par l’Etat. En fonction de la composition du foyer, il est nécessaire de ne pas dépasser un plafond de ressources calculé sur les revenus imposable de l’année N-2 et publié chaque année par le gouvernement. Pour les deux autres appartements, il n’y a pas de condition de revenus. Enfin, le dernier critère qu’il faut remplir réside dans la possibilité de compenser l’apport financier du précédent coopérateur-locataire en Compte courant d’associé. Celui-ci est variable et dépend de la personne précédente et peutêtre amené à évoluer en fonction de la santé financière de la coopérative.

Obtenir un logement social d’Alliade Habitat 

Pour intégrer un logement social d’Alliade Habitat, il faut effectuer une demande de logement social classique, démarche qui est centralisée dans le Rhône depuis 2010 avec l’utilisation d’un formulaire Cerfa unique et l’attribution d’un numéro unique d’enregistrement. Le dossier peut être déposé en ligne sur le site de l’Etat dédié , auprès d’un service habitat de la Mairie d’arrondissement, de la Ville de Lyon, de la Préfecture du Rhône ou de la Métropole de Lyon, ou auprès d’un bailleur social du territoire. Les critères d’éligibilité au logement social sont les mêmes que citésprécédemment (conditions relatives à la personne et aux ressources). Pour les locataires qui bénéficient déjà d’un logement social, il faut effectuer une demande de mutation auprès de son organisme HLM.

Le logement social étant en partie financé par l’argent public, la Préfecture et les collectivités locales disposent dans chaque ensemble de logements d’un contingent de réservation. D’autres réservataires existent en fonction des projets : Action logement, certaines entreprises privées ou publiques, ou les caisses d’allocations familiales. Chaque réservataire peut donc soumettre au bailleur social propriétaire des logements, des candidats en fonction des critères de priorisation qui lui sont propres (urgence de la situation, DALO , ancienneté de la demande, etc). La Mairie d’arrondissement a créé une instance locale de l’habitat et des attributions (ILHA) qui réunit les assistantes sociales de la Maison de la métropole et des solidarités (MDMS) et les réservataires du territoire. Une instance privilégiée d’échanges autourdes situations des personnes demandeurs et qui proposent des candidatures aux bailleurs sociaux du territoire. Pour l’immeuble Le cairn, Alliade Habitat étudie les dossiers qui lui sont présentés par les réservataires et ses propres services lors des commissions d’attribution qui sont organisées une à deux fois par semaine sur le Rhône.

Du fait de la particularité du projet, la coopérative d’habitants et Alliade Habitat ont souhaité que les réservataires et les candidats soient informés du fonctionnement de l’immeuble. Quelques mois avant l’entrée dans les lieux, une réunion a été organisée sur le chantier pour faire visiter l’immeuble aux réservataires. Une présentation du projet a été réalisée par la coopérative ce jour-là et un fascicule a été remis aux participants  . Le service logement de la Mairie d’arrondissement qui recevait les candidats a également pris soin d’informer chacun d’entre eux sur la particularité du projet. Action Logement a demandé une lettre de motivation aux candidats intéressés par le projet.

« Ils [Action logement] l’ont bien mis en avant tout de suite. En disant que c’était un habitat partagé donc particulier. Après ils ont été assez vague. Donc ça a été à nous de faire une recherche sur le sujet. Et on devait aussi faire une petite lettre, de motivation. Pour voir si on était bien pour le projet, qu’on allait pouvoir suivre le truc ou pas. Nous si tu veux ce qui nous intéressait c’était le T5 déjà parce qu’on ne nous en avait pas proposé avant. Donc là c’était un programme qui était neuf, donc on s’est dit que ça allait être très bien nickel tout de suite ». Fatima, locataire d’Alliade Habitat.

Table des matières

INTRODUCTION .
1ERE PARTIE : COMMUN ET HABITAT PARTICIPATIF : CADRAGE THEORIQUE ET CONTOUR
1. Des « biens communs » au « commun » pour transformer le modèle néolibéral
1.1 L’émergence stratégique du commun
1.2 « L’agir en commun » comme fondement d’une « société du commun »
1.3 Les communs sociaux et urbains pour une souveraineté sociale
2. L’habitat participatif : un commun pour habiter autrement la ville
2.1 Des initiatives récentes qui prennent leurs racines dans les luttes sociales, démocratiques, environnementales, locales et dans les expériences étrangères
2.2 De la nébuleuse au mouvement de l’habitat participatif
3. Les coopératives d’habitants : une propriété collective non spéculative
3.1 L’habitat coopératif : un commun contre la propriété individuelle
3.2 Etude de cas : L’habitat participatif Le cairn à La Croix-Rousse
2EME PARTIE : EN QUOI L’HABITAT PARTICIPATIF LE CAIRN PEUT-IL ETRE CONSIDERE COMME UN COMMUN ?
1. La participation des habitants à la conception et à la programmation de leur immeuble
1.1 « VEFA Participative »
1.2 Ateliers participatifs
1.3 Absence de participation des locataires d’Alliade Habitat
2. La copropriété « Le cairn » : un « bien commun vécu »
2.1 Une copropriété immobilière
2.2 Un immeuble investi par ses habitants
3. L’habitat coopératif : entre la propriété collective et le partage d’espaces communs
3.1 Propriété collectivité de l’immeuble et droit d’usage individuel des logements
3.2 Des espaces communs avec des droits différenciés
4. Le Groupe du 4 mars : une société coopérative
4.1 Gouvernance et gestion de la coopérative
4.2 Processus de décision
4.3 Gestion des conflits
3EME PARTIE : L’HABITAT PARTICIPATIF LE CAIRN EST-IL UN COMMUN SOCIAL INSCRIT DANS UNE DEMARCHE DE TRANSFORMATION SOCIALE ?
1. L’immeuble « Le cairn » un habitat participatif accessible à tous ?
1.1 Rejoindre la coopérative d’habitants du Groupe du 4 mars
1.2 Obtenir un logement social d’Alliade Habitat
1.3 Accessibilité locale et ouverture sur le territoire
1.4 Accessibilité financière et mixité des habitants
2. Une complexité de l’habitat participatif qui freine son accessibilité réelle
2.1 Une culture de la propriété individuelle
2.2 Un engagement sur le long terme qui demande une implication quotidienne
2.3 Une complexité du modèle juridique de l’habitat participatif
2.4 La nécessité d’avoir un réseau professionnel et politique
3. Un habitat participatif inscrit dans une démarche de transformation
3.1 Co-constructions des politiques publiques
3.2 Un investissement dans le mouvement de l’habitat participatif
3.3 Une ouverture sur le quartier
CONCLUSION 

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