Régulateurs transcriptionnels chez les archées
hyperthermophiles et leurs virus
Découverte des archées et émergence du domaine
Archaea Avec les Bacteria et les Eukarya, les Archaea forment un des trois domaines du vivant (Figure 1). La découverte de ce groupe d’organismes a été retardée de plusieurs décennies car les cellules d’archées ont l’apparence typique des cellules bactériennes et peuvent facilement être confondues avec ces dernières. Ce sont les travaux de G. Fox et C. Woese réalisés à la fin des années 70 (Woese et Fox, 1977) qui ont révélé l’existence insoupçonnée des archées. Les conclusions qui découlent de ces travaux ont marqué un tournant dans notre vision de l’évolution et de la phylogénie des organismes cellulaires. Ces chercheurs ont introduit des critères objectifs de classification du monde du vivant, fondés sur des approches moléculaires impliquant l’étude des séquences d’ADN ou d’ARN. Cela a bouleversé la classification dichotomique (eucaryote/procaryote) du vivant largement admise à cette époque. S’inspirant des idées de L. Pauling et d’E. Zuckerkandl, les pères de la phylogénie moléculaire (Zuckerkandl et Pauling, 1965), C. Woese a été le premier à développer des approches moléculaires fiables, applicables à tous les organismes cellulaires et permettant de ré‐analyser sur cette base, l’arbre du vivant. Il a comparé les séquences des ARN ribosomaux (16S chez les procaryotes et 18S chez les eucaryotes), molécule informationnelle présente chez tous les organismes cellulaires (Fox et al. 1977) pour établir le nouvel arbre universel du vivant. Son analyse a confirmé que les eucaryotes et les bactéries formaient deux domaines distincts et a mis en évidence un troisième groupe incluant des organismes procaryotiques précédemment classés d’après l’organisation morphologique de leurs cellules parmi les bactéries. Il s’agit de méthanogènes, et certains représentants des halophiles et des hyperthermophiles. Le métabolisme particulier des organismes de ce nouveau groupe, rappelant par certains paramètres les conditions de la Terre primitive, ont conduit au départ (et à tort) à la perception des archées comme des organismes anciens et à les nommer Archaebacteria, du grec « arkhaia » pour ancien (Woese et al. 1977). La découverte ultérieure d’autres groupes d’archées comme les archées halophiles (Magrum, Luehrsen et al. 1978) ou les archées hyperthermophiles (Stetter 1996) a permis de s’apercevoir que les archées ne constituent pas un groupe plus ancien comparé aux eucaryotes ou aux bactéries. Le domaine Archaeabacteria fut renommé plus tard, Archaea (Woese et al. 1990). Désormais, trois domaines du vivant sont reconnus : Archaea (archées), Bacteria (bactéries) et Eukarya (eucaryotes) (Figure 1). L’histoire fascinante de la découverte des archées a été décrite en détails dans plusieurs ouvrages, notamment récemment dans « Microbes de l’enfer » de Patrick Forterre et l’influence des travaux de C. Woese et W. Zillig sur la science et la biologie ont été discutés dans un papier récent (Albers et al., 2013).
Organisation générale de la cellule chez les archées
D’un point de vue morphologique, les cellules d’archées sont des cellules procaryotes typiques : elles ne possèdent ni noyau ni organites. En étant un groupe monophylétique, toutes les archées partagent des traits moléculaires principaux communs présentés dans le Tableau 1. L’analyse de ces données indique clairement le caractère mosaïque de l’organisation moléculaire des cellules d’archées qui « empruntent » certaines fonctions (et les gènes correspondants) au domaine des bactéries et d’autres à celui des eucaryotes. Il est admis que, globalement, les protéines impliquées dans les principaux processus informationnels chez les archées, comme la réplication (Barry and Bell, 2006; de Koning et al. 2010), la transcription (Werner and Grohmann, 2011), la traduction (Londei, 2005; Steitz, 2008) et la réparation de l’ADN (Kelman and White, 2005; Fujikane et al., 2010) sont codées par des gènes orthologues proches de ceux des eucaryotes. En outre, les archées compactent leur génome en utilisant des protéines assez similaires aux histones des eucaryotes (Reeve et al., 2004; Wilkinson et al., 2010) ou d’autres protéines impliquées dans la structuration des chromosomes (Sandman and Reeve, 2005). D’autre part, les protéines opérationnelles des archées, comme par exemple celles impliquées dans le métabolisme cellulaire de base, sont davantage liées, d’un point de vue évolutif, aux protéines bactériennes. Aussi, l’organisation générale de la cellule archée rappelle fortement celle de la cellule bactérienne. La taille de la cellule, l’absence de noyau, les chromosomes circulaires de taille d’environ 2‐3 Mb, l’organisation des gènes en opérons se rapportent clairement aux bactéries. D’autres détails du fonctionnement cellulaire chez les archées rappellent ceux décrits chez les bactéries. Par exemple, comme chez les bactéries, il y a le couplage entre la transcription et la traduction chez les archées (French et al. 2007). Egalement en amont du premier codon, une séquence est détectée chez les archées ayant le même rôle que la séquence Shine‐Dalgarno chez les bactéries. Comme il sera discuté plus loin (Chapitre I.4), la régulation de la transcription chez les archées est réalisée par des protéines régulatrices très proches de celles connues chez les bactéries. Pour terminer, les archées et les bactéries partagent un système d’immunité acquise assurée par les séquences CRISPRs et les gènes cas. Les CRISPRs inactivent les virus et d’autres éléments extra chromosomiques procurant aux archées et aux bactéries une immunité contre l’infection par ces ADNs mobiles et infectieux. Les archées possèdent également des propriétés uniques qu’elles ne partagent avec aucun autre domaine (Tableau 1). Ainsi, la composition chimique de leur membrane cellulaire est unique. Les phospholipides constituant la membrane des archées sont composés de longues chaînes d’alcool isopréniques, liées au glycérol‐3‐phosphate par des liaisons éther tandis que chez les bactéries et les eucaryotes, il s’agit d’acides gras liées au glycérol‐1‐phosphate par une liaison ester (Figure 2). De plus, chez certaines archées, la membrane lipidique bicouche est remplacée partiellement par une membrane monocouche formée de tétra‐éthers atypiques présentant deux têtes hydrophiles reliées par leurs chaines alkyles. La composition chimique particulière et la structure en monocouche de la membrane des archées lui donnent une très forte résistance aux facteurs de stress, surtout à haute température (Valentine 2007). Enfin, le peptidoglycane présent dans la majorité des parois cellulaires bactériennes est absent chez les archées, à l’exception de certaines espèces méthanogènes porteuses du pseudo peptidoglycane, une molécule structuralement proche du peptidoglycane (Kandler et al. 1978). Chez la majorité des archées, une structure spécifique appelée S‐layer remplace le peptidoglycane de l’enveloppe cellulaire. Le S‐layer n’est pas une caractéristique exclusive aux archées, puisque certaines bactéries et cyanobactéries en sont aussi pourvues. Composé de protéines spécifiques formant une structure rigide semi‐cristalline, le S‐layer procure aux cellules archées leur forme et leur intégrité dans des milieux extrêmes (Kandler et al. 1998; Ellen et al. 2010; Albers and Meyer. 2011).
Diversité des archées
D’extrêmophiles spécialisées à mésophiles ubiquitaires Les archées présentent une grande diversité, en matière d’habitats, de morphologies et de voies métaboliques codées par leurs génomes. Initialement, à l’exception peut‐être de certaines méthanogènes, la plupart des espèces d’archées cultivables ont été isolées dans des habitats extrêmes, d’où l’association courante des archées aux organismes extrêmophiles. Par exemple, la première archée jamais décrite a été isolée en 1878 par W.G. Farlow dans un environnement hautement salé, présumé stérile, (Farlow, 1878). Depuis, des archées halophiles ont été trouvées dans la mer Morte et dans des lacs et sols hypersalins (Lawson et al., 1996). Les archées dites hyperthermophiles sont capables de vivre dans des conditions de pH et de température extrêmes, comme le présente la Figure 3. Cette résistance s’explique le plus probablement par la composition unique et la structure inhabituelle de leurs membranes (voir la section I.1.2). Actuellement, le record de thermophilie, est établi par la souche 116 de Methanopyrus kandleri, d’une source hydrothermale profonde qui est capable de croître à 122°C, sous une forte pression atmosphérique (Takai et al., 2008). De plus, les archées codent pour des voies métaboliques uniques leur permettant d’utiliser des sources d’énergies inorganiques et de produire des métabolites inhabituels. Ainsi les archées méthanogènes sont les seuls organismes sur Terre capable de transformer le CO2 en méthane (méthanogénèse) (Liu et al., 2008). Les écosystèmes abritant des méthanogènes incluent des biotopes très divers allant des sources chaudes géothermales, sédiments marins et mangroves aux systèmes digestifs de la plupart des animaux La surreprésentation des archées dans des endroits extrêmes a contribué à donner à ces organismes une image quelque peu exotique, même si leurs habitats sont loin d’être réduits aux abysses marins et volcans en éruption. Il ne faut pas oublier que des bactéries extrêmophiles existent également (Antranikian et al., 2005) même si elles n’égalent jamais les archées par leur résistance aux conditions extrêmes (Figure 3)
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