La délimitation de l’étude
Le sujet de cette recherche de droit public et de science administrative sur la place et le rôle de l’inspection contrôle est le fruit d’une pratique de l’inspection, d’observations de terrain, d’échanges avec des inspecteurs et des inspectés, ainsi que de réflexions personnelles en particulier sur la posture de l’État qui se veut de plus en plus « stratège » et de moins en moins acteur direct de l’action publique.
Toutefois, le sujet du contrôle s’avère d’emblée très large et il nous a donc fallu procéder, pour mieux circonscrire la réflexion, à trois délimitations : temporelle (1), géographique (2), matérielle (3).
La délimitation temporelle
Pour bien comprendre la place et le rôle qu’occupe la fonction inspection-contrôle dans le champ étudié et son avenir possible, nous rappellerons brièvement son histoire en concentrant notre étude sur la période allant des années 1990 jusqu’à nos jours. Ce choix permet d’étudier l’inspection contrôle à l’aune, d’une part, du principe de sécurité sanitaire et ses transcriptions dans le champ étudié, d’autre part, de l’instauration du nouveau management public au sein de l’administration et de ses opérateurs publics et privés et de ses conséquences sur l’inspection-contrôle.
La délimitation géographique
L’étude porte sur la France au niveau national (agences nationales, IGAS) et infranational, à savoir les services territoriaux de l’État avec les ARS et les directions régionales et départementales de cohésion sociale, ainsi que les collectivités territoriales, (principalement le CD). Des éléments de comparaison internationale auraient été intéressants pour appréhender les approches que les pays étrangers ont sur l’inspection-contrôle des établissements et services sanitaire et sociaux. Mais il existe peu de littérature française sur le sujet et les difficultés de traduction des langues étrangères rendent la recherche compliquée. A cela vient s’ajouter la question du modèle juridique de l’État et de l’administration française souvent différents des autres pays.
La délimitation matérielle
Du côté des « contrôlés », nous avons décidé de circonscrire la recherche aux établissements et services sanitaires, sociaux et médico-sociaux. En effet, cette étude a connu une évolution de son périmètre. Elle était au départ consacrée aux seuls ESSMS régis par le CASF (en particulier les établissements et services sociaux sous compétence d’autorisation du préfet de département ou du PCD). Mais il nous est vite apparu intéressant, en termes comparatifs, d’élargir la recherche au domaine sanitaire qui a vite été saisi par les effets de l’agencification, de la normalisation et des démarches qualité.
Toutefois, la recherche que nous avons effectuée en 2017 par occurrences sur les termes inspection » et « contrôle » dans le CSP73 a montré que les champs de contrôle relevant de ce code sont si nombreux qu’il nous fallait restreindre notre étude du volet santé aux seuls établissements de santé relevant du Livre 1er de la 6eme partie du CSP.
Ont donc été exclus de notre étude :
Les contrôles réalisés par les agents santé-environnement des ARS « hors établissements » au titre de « la sécurité sanitaire des eaux et des aliments » tels les eaux potables, les eaux minérales naturelles et les eaux non potables (Titre II du Livre III de la Partie 1 CSP) ou les contrôles relatifs à la salubrité des immeubles ou les piscines et baignades (Titre III du Livre III de la Partie 1 CSP). Les contrôles relatifs aux médicaments et produits de santé (5eme partie CSP) qui donnent lieu à la législation la plus importante en termes d’occurrences « inspection et contrôle » dans le CSP et dont l’exécution revient principalement à l’ANSM et aux ARS par délégation pour certains contrôles.
Les contrôles relatifs à la biologie médicale (Livre 2 de la Partie 6 du CSP), ceux relatifs aux transports sanitaires et enfin ceux relatifs aux « autres services de santé » (Livre 3 de la Partie 6 du CSP) dont la plupart relèvent du contrôle des ARS mais ne font pas encore l’objet de programmes de contrôle dédiés, mise à part sur signalement (réseaux de santé74, chirurgie esthétique75, Centres de santé76, Maisons de santé77).
Ces exclusions ne signifient pas que nous n’ayons pas eu recours à la comparaison. En effet, il s’est avéré que plus le contrôle est technique, relevant d’une expertise, plus il a tendance à être externalisé par l’autorité administrative notamment à des organismes privés. Ce postulat doit interroger l’avenir des inspections contrôles réalisés en établissements de santé au regard de ce qui se pratique déjà dans le secteur « hors établissement » de la santé environnementale, des officines de pharmacie ou des laboratoires de biologie médicale.
Ainsi, l’intitulé de notre recherche porte sur « l’inspection et le contrôle dans le champ des établissements et services sanitaires, sociaux et médico-sociaux ». Nous avons particulièrement centré cette recherche sur les établissements et services qui hébergent ou accueillent des usagers en leur sein, ce qui met de côté des services, comme par exemple les services de soins infirmiers
domicile (SSIAD), les services polyvalents d’aide et de soins à domicile (SPASAD) ou les services tutélaires à la protection des majeurs (MJPM).
Seront donc couverts par cette étude les établissements et service de santé (3-1) et les établissements et services sociaux et médico-sociaux (3-2) tels que décrits ci-après.
Les établissements et services de santé
Dans cette catégorie, notre étude est consacrée principalement aux établissements de santé et leurs services internes au sens du Livre 1er de la sixième partie du CSP. Il s’agit en premier lieu des EPS en tant que « personnes morales de droit public dotées de l’autonomie administrative et financière » soumis au contrôle de l’État78. En second lieu, il s’agit des ESP79, qu’ils soient à but non lucratif, qualifiés ou non d’ESPIC en application de l’article L. 6161-5 CSP, et les établissements de santé privés à but lucratif (cliniques privées).
Selon une étude de la DREES publiée en 202080, le nombre des établissements de santé s’élevait en 2018 à 3 042, répartis en 1 360 établissements du secteur public81, 682 établissements du secteur privé non lucratif82, et 1 000 établissements du secteur privé à but lucratif83.
En matière de contrôle, c’est moins le statut juridique de l’établissement de santé qui compte que les missions qui lui sont dévolues en application de l’article L. 6111-1 CSP et les spécialités développées (MCO, psychiatrie, SSR…), même si le statut juridique de l’établissement peut avoir des conséquences sur les formes et les modalités du contrôle. Les établissements et services de santé sont soumis au régime de l’autorisation84 par le DGARS en ce qui concerne les activités de soins et des équipements matériels lourds. Cette autorisation constitue la première cause de contrôle par l’ARS, mais nous verrons que d’autres contrôles s’appliquent à eux.
Les établissements et services sociaux et médico-sociaux
Les établissements et services sociaux et médico-sociaux sont très nombreux en France. Petits ou grands, majoritairement privés associatifs mais aussi privés à but lucratif ou publics, ils ont vocation à être des lieux de vie (avec hébergement) ou d’accueil (sans hébergement) des personnes vulnérables, et mettre en œuvre l’action sociale et médico-sociale au sens de l’article L. 311-1 CASF. Il en existe une grande variété correspondant aux différents types de populations prises en charge.
Selon le panorama publié par la DREES en 2019 sur le secteur jeunesse, sports et cohésion sociale85, au 31 décembre 2018, il existait 17 845 établissements et services médico-sociaux en France métropolitaine et en outre-mer (hors services intervenant à domicile), dont 8 731 établissements et services pour personnes âgées, 6 752 pour adultes handicapés et 2 362 pour enfants et adolescents handicapés.
Dans le secteur de l’ASE relevant de la compétence du département, la DRESS, dans une étude publiée en 2020 sur l’année de base 201786, dénombrait 1 963 établissements pour enfants et adolescents, dont 1 233 maisons d’enfants à caractère social87.
Enfin, dans le secteur de la Cohésion sociale relevant du préfet de département (DDCS), la DREES dans une étude de 2019 comptabilisait au 31 décembre 2016 le nombre de 2 994 établissements sociaux88, dont 2 582 structures d’accueils et de réinsertion sociale pour personnes précaires89 et 412 établissements et services d’accueils pour demandeurs d’asile90. Ces ESSMS sont encadrés par un régime de police administrative individuelle préventive complexe et différencié selon le type d’établissement et service. La majorité des établissements et services qui mettent en œuvre l’action sociale et médico-sociale relèvent désormais du régime de l’autorisation91 et sont recensés à l’article L. 312-1 CASF. Cette autorisation préalable délivrée pour une durée de quinze ans vaut, sauf mention contraire, « habilitation à recevoir des bénéficiaires de l’aide sociale et, lorsque l’autorisation est accordée par le représentant de l’État, ou le DGARS, seul ou conjointement avec le PCD, autorisation de dispenser des prestations prise en charge par l’État ou les organismes de sécurité sociale »92.
Le périmètre de cette étude concernera spécifiquement les ESSMS sous autorisation. Nous n’aborderons pas la question des ESSMS placés sous le régime de la déclaration qui était, jusqu’à 2002, le régime de droit commun mais qui a été considérablement réduit depuis cette date et concerne les accueils familiaux de mineurs93 ou d’adultes94. Nous n’aborderons pas non plus les accueils de personnes vulnérables qui bénéficient du régime de l’agrément95.
Dossiers de la DREES, 61 000 enfants, adolescents et jeunes majeurs hébergés fin 2017 dans les établissements de l’aide sociale à l’enfance, n° 55, mai 2020.
Les autres établissements sont répartis en 243 Foyers de l’enfance, 33 Pouponnières, 28 Villages d’enfants et Lieux de vie.
La problématique de l’étude
L’inspection-contrôle a connu plusieurs évolutions qui interrogent sa place et son rôle en particulier dans le champ de notre étude. Celle-ci nous amènera à remonter rapidement dans le temps pour voir comment ont évolué l’inspection-contrôle et ses acteurs, au sortir de la seconde guerre mondiale avec la proclamation d’un droit à la protection de la santé par l’article 11 du préambule de la Constitution du 27 octobre 194696, jusqu’aux années 1980, avant de constater que les années 1990 ont constitué un tournant important autour du concept de sécurité sanitaire d’une part, et d’efficience des politiques de santé d’autre part, concepts qui n’ont fait que se renforcer dans les années 2000 avec le concept de « qualité » associé à celui de « droits des usagers ».
La problématique de cette étude se nourrit du constat que l’inspection contrôle est à la croisée des chemins (1), et qu’elle est soumise à des paradoxes (2), ce qui nous amène à poser une question de départ (3).
