Valorisation des coproduits de l’holothurie Cucumaria frondosa

La raréfaction des ressources et l’institution de règles de protection des stocks halieutiques conduisent à « valoriser mieux tout en pêchant moins ». Ainsi, la notion de « déchets » devrait tendre à disparaître au profit de celle de « coproduits ». Au niveau mondial, la production de produits marins a été estimée à 150 millions de tonnes par an (capture et aquaculture confondus; FAO 2012), et 86% de cette production est destinée à l’alimentation humaine. Selon les espèces, la transformation des produits marins à destination humaine génère de 20 à 60% de perte par rapport au poids frais (Ferraro et al., 2010). La majeure partie est utilisée pour une valorisation de masse (huile et farine) et ne génère que très peu de valeur. Les autres applications susceptibles d’apporter une meilleure valeur ajoutée (alimentation humaine, nutraceutique, cosmétique et pharmaceutique) ne représentent à l’heure actuelle que quelques pourcents de part de marché, mais offrent des perspectives de développement intéressantes compte tenu d’une demande croissante dans ces domaines.

Ce travail, soutenu par les Fonds d’Innovation Atlantique du Canada, a été réalisé en codirection entre le Laboratoire de Biotechnologie et Chimie Marines (LBCM) de l’Université de Bretagne Sud et l’Institut de Recherche sur les Zones Côtières (IRZC) de l’Université de Moncton ; campus de Shippagan. Cette étude s’inscrit dans le cadre d’un projet sur la valorisation des coproduits marins au Nouveau Brunswick (Canada). En effet, au Nouveau Brunswick, 85 000 tonnes de produits marins sont transformés annuellement et la moitié de cette biomasse est peu ou pas valorisée. Parmi les espèces marines transformées, l’holothurie Cucumaria frondosa pêchée dans la baie de Fundy n’échappe pas à la règle. Près de la moitié de cette matière première est peu ou pas exploitée. Or, ces animaux possèdent une importante richesse en substances chimiques, y compris dans les coproduits.

En effet, les invertébrés marins possèdent une vaste diversité chimique due tout d’abord à l’importante biodiversité des espèces marines. Plus de 300 000 espèces de végétaux et d’animaux peuplent les océans (Donia et Hamann, 2003). Parmi ces espèces, une grande partie est représentée par des organismes lents ou peu mobiles, fixés à leur substrat. De plus; face aux pressions écologiques, ces organismes dépourvus de défenses physiques ont développé des systèmes de défenses basées sur la production de métabolites de classe chimique et aux fonctions biologiques variées. De nombreux travaux réalisés sur ces invertébrés font de ces métabolites actifs, d’excellents candidats pour le développement de substances naturelles à intérêt biologiques variés (pharmaceutique, nutraceutique, cosmétique).

Tout d’abord, nous avons étudié des voies de valorisation des coproduits majeurs du concombre de mer Cucumaria frondosa. Une librairie d’extraits a été constituée par extractions classiques par solvants ainsi que par voie enzymatique. En effet, la valorisation des coproduits de la pêche, par utilisation de l’hydrolyse enzymatique contrôlée, constitue une approche alternative d’un intérêt stratégique majeur pour réhabiliter ces biomasses et notamment la fraction protéique. Ainsi, à l’issue de cette hydrolyse, cette fraction peut se caractériser par de nouvelles propriétés fonctionnelles, nutritionnelles, biologiques et/ou aromatiques. Après avoir réalisé une synthèse bibliographique sur les propriétés biologiques associées aux molécules présentes chez les holothuries, une évaluation de l’activité antivirale de la librairie d’extraits a été réalisée sur un modèle d’étude posant un problème de santé publique majeur.

Dans un second temps, nous nous sommes intéressés aux mécanismes de défense de l’holothurie. Nous avons étudié la production de ces métabolites secondaires toxiques relargués en situation de stress dans le milieu naturel. Ces situations de stress ont été reproduites au laboratoire dans le but de collecter ces composés afin de les évaluer sur différents modèles écotoxicologiques. Ces molécules actives ont ensuite été identifiées par fractionnement bioguidé par l’utilisation de modèles cellulaires, témoignant de la toxicité, en parallèle à différents procédés analytiques.

Le terme Echinoderme provient du grec « Echinodermata » et signifie littéralement «peau épineuse » (Echino = épineux ; Derme = peau ; Lambert, 1997). Ces échinodermes regroupent les étoiles de mer (Asteroidea), les oursins (Echinoidea), les concombres de mer (Holothuroidea), les crinoïdes (Crinoidea) et les ophiures (Ophiuroidea) (Baker et al., 1986). Dans le règne animal, les Echinodermes qui dénombrent environ 7000 espèces se distinguent par 3 caractéristiques principales : un système aquifère (système composé de canaux permettant la motricité, l’alimentation, la respiration et l’excrétion des déchets), une symétrie pentaradiée, et un squelette interne calcaire (Lambert, 1997).

Les holothuries, ou concombres de mer, représentent plus de 1100 espèces à travers le monde (Beirne et al., 2001) et forment un groupe très ancien. En effet, les concombres de mer actuels sont le résultat de 400 millions d’années d’évolution (Lambert, 1997). Ils sont caractérisés par un corps mou contenant des muscles circulaires et longitudinaux, et un squelette fait de spicules de calcite. Cette classe est subdivisée en 3 sous-classes : Apodacea, Aspidochirotacea, Dendrochirotacea .

C. frondosa appartient à l’ordre des Dendrochirotida , identifiable par la présence d’une région antérieure à paroi fine   pouvant se rétracter, avec les tentacules arborescents, à l’intérieur du corps (l’ensemble introvert et tentacules est aussi nommé bulbe aquapharyngé), des podia bien développés, les gonades de chaque côté du mésentère dorsal et la présence d’arbres respiratoires (Martin, 2011).

L’holothurie Cucumaria frondosa est parmi les espèces de concombre de mer l’une des plus intensivement étudiée (Coady, 1973; Hamel et Mercier, 1996a, b et c; So et al., 2010). L’espèce C. frondosa se retrouve dans l’Atlantique Nord, de l’Arctique au Cap Cod et de l’Arctique aux latitudes nord du Royaume Uni, de l’Islande, de la mer des Barents le long des côtes de Russie, en Scandinavie, dans la mer du Nord et le long des côtes du Groenland (Toral-Granda, 2008 ; Figure 2). C. frondosa est typiquement localisée entre 20 et 100 m, avec quelques variations selon les sites (Hamel et Mercier, 1996b). Par exemple, dans certaines régions, comme la baie Passamaquoddy au Nouveau Brunswick (N.B. Canada), C. frondosa est retrouvée souvent concentrée au niveau inférieur de la zone intertidale (estran). Elle est également connue pour être présente à 300 m de profondeur. De petits spécimens ont été récemment localisés à des profondeurs de 800 m le long du talus continental à Terre Neuve (FAO, 2008).

Table des matières

Introduction générale
Etude bibliographique
1 Présentation de Cucumaria frondosa
1.1 Généralités
1.2 Biologie et reproduction
1.3 Ecologie
1.4 Composition chimique
1.4.1 Composition générale
1.4.2 Caroténoïdes
1.4.3 Glycosphingolipides
1.4.4 Oligosaccharides et polysaccharides sulfatés
1.4.5 Stérols et triterpènes
1.4.6 Glycosides triterpéniques
1.4.7 Dérivés azotés originaux de Cucumaria frondosa
1.4.8 Lectines
1.4.9 Peptides
1.5 La ressource et la pêche d’holothuries
1.5.1 Situation de la pêche au niveau mondial
1.5.2 Situation de la pêche au Nouveau-Brunswick
1.6 Marchés et produits
1.6.1 Alimentation humaine
1.6.2 Médecine traditionnelle et produits nutraceutiques
2 Activités antimicrobiennes des métabolites et extraits d’holothuries
2.1 Généralités
2.1.1 Activité antifongique
2.1.2 Activité antibactérienne
2.1.3 Activité antivirale
3 Procédés d’extraction
3.1 Généralités
3.2 Extraction par solvants
3.3 Hydrolyse enzymatique
3.4 Enzymes : définition et classification
3.5 Principe de l’hydrolyse enzymatique
3.6 Paramètres d’hydrolyse
Conclusion générale

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