Anthropologie des pratiques en ligne

Anthropologie des pratiques en ligne

Dans le premier chapitre, il nous a semblé important de montrer que les technologies numériques n’ont pas engendré le phénomène de la réseautique sociale. Le réseau est un concept ancien qui s’est illustré sous différentes formes au cours des siècles dans l’histoire des civilisations. S’agissant de notre objet d’étude, nous avons recensé les différentes typologies de communautés qui se distinguent aujourd’hui dans l’environnement. Si leur objet communautaire est différent, elles sont toutes en revanche a-hiérarchiques et décentralisées : nous les qualifierons de communautés horizontales. Voyons à présent comment les collectifs se sont appropriés les dispositifs sociotechniques au fil des décennies avec l’avènement des technologies numériques.

Le média, la médiation et la médiatisation

La Communication Médiatisée par Ordinateur (CMO) – traduction française de l’expression étatsunienne Computer Mediated Communication – fait l’objet d’un courant de recherche particulièrement prolifique en Sciences de l’Information et de la Communication. La CMO a par ailleurs amené certains chercheurs à reconsidérer la place de la relation entre les acteurs en accordant un rôle central à la médiation au sein des dispositifs. A partir des années soixante- dix, ce courant de recherche s’intéresse à l’avènement et au développement des dispositifs sociotechniques dans les organisations et les institutions. En comparant la CMO à la communication en face-à-face, des chercheurs vont alors tenter de mettre en exergue de nouveaux modes communautaires qui soient en rupture avec nos anciens modèles. En intégrant plus largement la notion de médiation, c’est aussi l’époque où l’on considère l’ordinateur comme un véritable « medium » et non plus comme un simple « outil ». Belisle, Bianchi & Jourdan (1999) nous rappellent que sémiologues et autres psychologues ont toujours pointé du doigt le rôle des processus de médiation dans l’activité humaine (Meunier & Peraya, 2004, p. 412). Dès lors, le « dispositif » peut intégrer ses trois notions clés : média, médiation, médiatisation (Bonfils, 2007).

Les dispositifs sociotechniques qui agrémentent notre quotidien recourent à l’ensemble de ces caractéristiques communicationnelles ; qu’il s’agisse de messagerie électronique, SMS, forums, listes de diffusion, flux RSS, LMS, réseaux socionumériques, MMORPG, et autres métavers…, le dénominateur commun est sans nul doute l’interactivité qui se manifeste de manière fonctionnelle (sur le plan de l’interface) mais également sur le plan intentionnel (vis- à-vis de relation à autrui) (Jacquinot, 1993).

Le CSCW ou les prémices du travail collaboratif

(ergonomes, psychologues, linguistes, sociologues, ethnographes du travail), des ingénieurs spécialisés en informatique, télécommunications et des industriels investis dans la conception et la promotion des machines à coopérer. Le secteur fera l’objet d’une institutionnalisation rapide et les laboratoires de recherche, les départements universitaires en informatique, psychologie et sciences cognitives connaitront une période d’activité intense ; formations et recrutements de chercheurs, forums internationaux, programmes de recherches étatiques ou européens. « Ce processus de conscientisation collective de collectifs d’usagers connectés sont l’objet des travaux des concepteurs de logiciels sociaux et de dispositifs de « collaboratique » qui tentent notamment d’inventer des dispositifs orientés activement vers une facilitation de l’attention au groupe ou group awareness » (Gutwin et al., 2004).

Le concept porté par le courant du CSCW est la connexion des collectifs dans un objectif de coopération professionnelle. Avec l’informatisation des postes de travail en entreprise dix ans plus tôt, l’heure est aux tâches communicationnelles collectives à l’instar des premières messageries, transferts de fichiers, forum de discussions, serveurs de données. L’architecture des nouvelles organisations repose sur l’annihilation des distances et une connectivité généralisée. Plus tard, le « virtuel » s’invite dans le CSCW en permettant à des collaborateurs distants de participer par exemple à une réunion synchrone, ou presque, compte tenu de la latence vidéo caractéristique des premiers dispositifs dédiés. Mais pour circonscrire cette rétrospective du travail collaboratif, il convient de préciser aussi le rôle joué par la sociologie des usages. Dans les années quatre-vingt, de nouveaux courants s’intéressant à l’étude des systèmes d’information (SI) et l’interaction Homme-Machine (IHM) ne tardent pas à devenir des disciplines à part entière. Une approche ethnographique de la coopération au sein des mediaspaces entreprendra par exemple de montrer comment les coordonnées situationnelles qui président à la coprésence physique se trouvent modifiées ou altérées par la CMO (Cardon, 1997). Enfin, les chercheurs du CSCW se penchent sur la forme distribuée que revêt la coopération lorsqu’elle prend place dans des environnements dits « complexes ». Cabine de navigation, cockpit d’avion ou d’hélicoptère, salle de contrôle … sont autant de situations où l’activité cognitive est produite par une organisation commune, par le travail concerté d’un collectif et d’artefacts informationnels présents dans l’environnement de l’action. Les différentes approches de ce courant mettent en exergue que les usages de ces dispositifs collaboratifs ne se restreignent nullement à la seule interaction entre un agent et une interface ; il s’agit d’un ensemble composant « l’espace périphérique » de l’action où l’architecture des locaux, l’agencement des bureaux et les distances proxémiques entre agents jouent un rôle central (Hall, 1978).

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