Essais sur la rationalité, les effets et l’efficacité des aides publiques à la R&D privée

Essais sur la rationalité, les effets et l’efficacité des aides publiques à la R&D privée

 Les duplications d’activités de R&D

Si les deux défaillances de l’économie décentralisée présentées jusqu’ici conduisent les firmes à sous-investir en R&D, d’autres défaillances jouent en sens inverse. Les firmes d’une même industrie peuvent se lancer dans une course à l’innovation dans l’espoir d’être les premières à développer et breveter un nouveau produit ou procédé. Les programmes de R&D mis en place peuvent être fortement concomitants si bien qu’un risque important de duplication apparaît18 . 18La probabilité de duplication augmente avec le nombre de firmes engagées dans les activités de R&D dans les modèles de course à l’innovation. 34 Chapitre 1 Notons que si les problèmes de duplication des activités de R&D sont introduits dans certains modèles macroéconomiques, ils ont été mis en évidence par les modèles de course au brevet (Dasgupta et Stiglitz, 1980). Du point de vue du rendement social de la R&D, ces duplications constituent une inefficience puisque les firmes ne prennent pas en compte dans leurs décisions d’investissement le fait qu’une partie de la R&D qu’elles vont mener sera également menée par des concurrents. Ces externalités de duplication conduisent donc les firmes à sur-investir en R&D par rapport au niveau socialement optimal. L’existence de duplications est souvent utilisée pour justifier l’hypothèse de rendement décroissant des activités de R&D, i.e., le fait de doubler le nombre de chercheurs / les ressources en R&D ne va pas permettre de doubler le nombre d’idées nouvelles ou de découvertes19. Dans la spécification (1.8), le terme λ ∈ [0, 1[ représente le degré des externalités de duplications. Plus λ s’approche de 0 plus les activités de R&D sont dupliquées. Pour corriger cette défaillance, la littérature théorique propose les mêmes instruments que ceux utilisés pour corriger la défaillance liée à la présence d’externalités de connaissances. Comme le montre Steger (2005), une taxe (ou subvention négative) sur le coût des activités de R&D ou sur la production de connaissances est à même de corriger le problème de duplication. En effet, ces taxes vont augmenter le coût des activités de R&D et réduire l’incitation à s’y engager. Ainsi, que ces duplications soient le résultat de comportement intentionnel (course au brevet) ou de processus accidentel, l’augmentation du coût de la R&D va permettre de réduire l’investissement global en R&D. Notons par ailleurs que la littérature microéconomique montre que la coopération dans les activités de R&D (Dalhlia et al. 2004) est à même de réduire voir d’éliminer les problèmes de duplication. Les formes les plus poussées de coopération en R&D étant théoriquement plus efficaces pour éliminer les problèmes de duplication. Autrement dit, la création de Research Joint Venture (RJV) dans lesquelles les firmes coopèrent dans l’ensemble du cycle de l’innovation (des activités de R&D aux décisions de production de l’innovation) fournirait des incitations pertinentes pour corriger cette défaillance. 19Kortum (1993), en utilisant des données de brevet aux Etats-Unis, montre l’existence de rendements décroissants dans les activités de R&D attribuables selon lui au phénomène de duplication.

Défaillances de marché et instruments de soutien à la R&D

Le transfert de rentes

Le transfert de rentes entre anciens et nouveux innovateurs constitue une seconde défaillance qui amène les firmes à sur-investir en R&D. Le cas le plus radical est représenté dans les modèles de croissance par la qualité comme le modèle d’Aghion et Howitt (1992). En effet, dans cette conception de la dynamique de croissance, l’innovation rend obsolète les produits et technologies existantes si bien qu’à chaque nouvelle vague d’innovation, un transfert total de rentes s’opère des anciens innovateurs vers les nouveaux. Dans le cadre des modèles de croissance par la variété, le transfert de rentes est moins radical. Lorsqu’une entreprise lance une nouvelle variété, elle va réduire la demande adressée à l’ensemble des autres firmes produisant des biens différenciés et ainsi réduire leur profit (mais sans le réduire à néant). La défaillance de marché liée au transfert de rentes se traduit par un surinvestissement des firmes en R&D car ces dernières n’internalisent pas l’effet négatif de la mise sur le marché de leurs innovations sur le profit des firmes existantes. L’incitation à investir dans la R&D de l’équilibre décentralisé est trop forte et le rythme d’apparition des innovations trop rapide. Les premiers auteurs des nouvelles théories de la croissance (Grossman et Helpman 1991, Aghion et Howitt 1992) associent clairement ce transfert de rentes au processus de destruction créatrice évoqué par Schumpeter. Précisons comme Grossman et Helpman (1991, ch.3, p.82-83) que l’utilisation d’une fonction de production CES dans les modèles de croissance par la variété implique une stricte compensation entre l’effet marginal d’une innovation sur le surplus des consommateurs (aire A sur la figure 1) et son effet sur la réduction du profit des firmes déja en place. Le transfert de rentes va donc limiter l’incitation à sous-investir en R&D induit par le problème d’approbriabilité du surplus. Plus précisément, cela implique que dans les modèles de croissance par la variété, l’inefficience dynamique liée au problème d’appropriabilité du surplus n’est lié qu’à son inefficience statique (aire C) c’est-à-dire à son comportement de monopole. En revanche, comme le montrent Grossman et Helpman (1991), cette compensation n’est pas automatique dans les modèles de croissance par la qualité (1991, chp.4, p.110-111). En effet, le transfert de rentes étant total (donc plus important), il n’y a pas compensation automatique entre les gains de bien-être des consommateurs et les pertes de profit des firmes. Comme le note Steger (2005), les instruments à même de corriger cette défaillance sont les mêmes que ceux utilisés pour corriger le problème de duplication dans les activités de R&D, à savoir, une taxe proportionnelle sur le coût de la 36 Chapitre 1 R&D ou sur le prix de vente des connaissances. Ces taxes vont permettre de réduire le rendement de l’innovation et par conséquent l’investissement en R&D. L’économie croîtra à un rythme plus faible et les innovateurs bénéficieront d’une rente de monople plus importante dans le temps. 1.3.5 Les externalités liées au choix de localisation dans les modèles NEGG Les modèles NEGG (New Economic Geography and Growth) qui réalisent une synthèse entre les modèles d’économie géographique et les modèles de croissance endogène fondés sur la variété fournissent un cadre d’analyse permettant de rendre compte des interactions entre géographie économique et croissance. Dans ces modèles, une nouvelle défaillance de marché potentielle liée à la géographie économique apparaît. Afin de mettre en évidence les externalités liées au choix de localisation des firmes et leur impact sur l’incitation à mener des activités de R&D, nous présentons dans le tableau ci-dessous les expressions d’équilibre du modèle de Martin et Ottaviano (1999) avec externalités de connaissances (partiellement) localisées20 . Fonction de production A˙ t = LIt/FI , FI = A−1 [sn + γ(1 − sn)]−1 des connaissances Taux de croissance g ∗ = 2Lα[sn+γ(1−sn)] σ − ρ .

Table des matières

Introduction générale
1 Le niveau d’investissement des firmes en R&D est-il optimal ?
Une discussion à partir des défaillances de marché mises en
évidence par la littérature sur la croissance
1.1 Introduction
1.2 Innovation et croissance : de la « boîte noire » de Solow aux nouvelles théories de la croissance
1.2.1 Du modèle de Solow aux modèles de croissance endogène
1.2.2 Les modèles de croissance endogène fondés sur la R&D
1.2.3 Effet d’échelle et modèles de croissance de seconde génération
1.2.4 Géographie économique et croissance : les modèles de synthèse entre croissance endogène et nouvelle économie géographique
1.3 Défaillances de marché et instruments de soutien à la R&D
1.3.1 Les externalités de connaissances intertemporelles
1.3.2 Le problème d’appropriabilité du surplus
1.3.3 Les duplications d’activités de R&D
1.3.4 Le transfert de rentes
1.3.5 Les externalités liées au choix de localisation dans les modèles NEGG
1.4 Un système économique décentralisé conduit-il le secteur privé à sous-investir en R&D ?
1.4.1 Les mesures empiriques du rendement social de la R&D et leurs limites
1.4.2 Les mesures théoriques du rendement social de la R&D
1.4.3 Les mesures de l’importance relative des différentes défaillances
1.4.4 L’écart entre rendement privé et rendement social de la R&D est-il (si) important ?
1.5 Conclusion
Annexe 1 : Le rôle de l’incertitude sur l’investissement privé en R&D
Annexe 2 : Conditions de financement de la R&D et Investissement des firmes en R&D
2 Influences des politiques de subvention à la R&D sur les dynamiques de localisation, la croissance et le bien-être en présence de rendements constants de la R&D
2.1 Introduction
2.2 Cadre du modèle
2.2.1 Introduction
2.2.2 Consommation
2.2.3 Production et équilibre sur le marché des produits
2.2.4 R&D et Innovation
2.2.5 L’équilibre sur le marché du travail
2.2.6 Le secteur public et le soutien à la R&D
2.3 L’état d’équilibre du modèle
2.3.1 Le taux de croissance d’équilibre
2.3.2 Inégalités de revenu et revenu réel
2.3.3 L’état d’équilibre
2.4 Défaillances de marché et effets de la politique de soutien à la R&D
2.4.1 Les défaillances de l’équilibre décentralisé
2.4.2 Impact de la politique de soutien à la R&D sur l’état
d’équilibre
2.5 Analyse de bien-être
2.5.1 Mesure et critères de bien-être
2.5.2 Effets de la politique de soutien à la R&D sur le bien-être
2.5.3 Politiques optimales et diffusion spatiale des externalités de connaissances
2.6 Analyse de politiques différenciées géographiquement
2.6.1 Différenciation sur l’allocation des aides à la R&D
2.6.2 Différenciation sur le financement de la politique
2.7 Conclusion
Annexe 1 : Equivalence avec d’autres formes de soutien à la R&D
Annexe 2 : Localisation d’équilibre du secteur industriel
Annexe 3 : Effet de la politique sur la localisation du secteur industriel 7
Annexe 4 : Effet de la politique sur le taux de croissance
Annexe 5 : Intégration commerciale et effet de la politique sur la localisation
Graphiques
3 Influences des politiques de subvention à la R&D sur les dynamiques de localisation, la croissance et le bien-être en présence de rendements décroissants de la R&D
3.1 Introduction
3.2 Cadre du modèle
3.2.1 Introduction
3.2.2 Consommation
3.2.3 Production
3.2.4 Equilibre sur le marché des produits
3.2.5 R&D et Innovation
3.2.6 Marché du travail
3.2.7 Le secteur public et la politique de soutien à la R&D
3.3 L’Etat d’équilibre avec un secteur public
3.3.1 Taux de croissance et investissement d’équilibre en R&D
3.3.2 Revenus nominaux et inégalité de revenu
3.3.3 Localisation du secteur industriel et indices de prix
3.4 Politique optimale et bien-être
3.4.1 Quels sont les effets de la politique sur les défaillances de marché ?
3.4.2 Critères de bien-être et effets de la politique sur le bien-être
3.4.3 Critères de bien-être et politique optimale
3.5 Conclusion
Annexe 1 : Impact de la politique de soutien à la R&D sur l’état d’équilibre
Annexe 2 : Conditions sous lesquelles la politique augmente le nombre de variétés produites
4 Intensité de l’investissement privé au sein de l’OCDE : impacts
et complémentarité des aides financières à la R&D 7
4.1 Introduction
4.2 Les aides financières à la R&D privée : une présentation générale
4.2.1 Aides directes vs indirectes : une distinction nécessaire
4.2.2 Impact des aides financières directes sur la R&D privée : des résultats contrastés
4.2.3 Impact des mesures de soutien financier indirect sur la R&D privée : un impact significatif
4.2.4 Les études macroéconomiques mesurant simultanément les effets des aides directes et indirectes à la R&D
4.3 Modèles empiriques et présentation des données
4.3.1 Les modèles empiriques
4.3.2 Présentation des données
4.4 Statistiques descriptives et analyse graphique
4.4.1 Description statistique des données
4.4.2 L’analyse graphique des données
4.5 Methodologie et résultats
4.5.1 Stratégie d’estimation
4.5.2 Résultats
4.6 Conclusion
Annexe 1 : Cible d’investissement en R&D dans les pays de l’OCDE
Annexe 2 : Le B-index, un indicateur pertinent pour comparer la générosité des systèmes fiscaux
Graphiques
Tableaux
Conclusion générale
Référence

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