Interactions non-linéaires d’ondes internes de gravité et mélange en milieu stratifié

Interactions non-linéaires d’ondes internes de gravité et mélange en milieu stratifié

 Circulation thermohaline et mélange

Un peu d’histoire La Terre, planète bleue. Si elle porte si joliment ce nom, c’est que l’eau des océans et des mers recouvre 71% de sa surface. Cette très mince pellicule d’eau salée – le rapport d’aspect est le même que celui d’une feuille de papier standard – a pendant longtemps été la seule frontière, le seul obstacle infranchissable, dans la découverte des terre émergées par Homo Sapiens, l’homme moderne. Nomade de son état, explorateur parmi les explorateurs, il avait déjà découvert une grande surface du globe avant de pouvoir s’aventurer sur la mer : la navigation demande un développement des techniques que seules les expériences répétées ainsi qu’une conception du monde élaborée ont permis d’acquérir. Avec le développement des techniques maritimes, l’océan n’est plus un espace infranchissable et l’homme, de bon marcheur, est devenu bon marin. Les mers sont alors parcourues de plus en plus souvent, tout à la fois comme un espace d’aventure, de commerce et de guerres : de la route de la Soie aux pétroliers dans le détroit d’Ormuz, en passant par le commerce d’esclaves et le tour du monde par Magellan, les mers ne s’ennuient jamais des hommes. Des scientifiques ont également fait leur petit bout de chemin : la mer et ses entrailles, c’est tout un monde à découvrir, à caractériser, à mettre en équations. Les marins-explorateurs sont 8 Chapitre 1 nombreux à la surface du globe, mais le premier que l’on puisse probablement qualifier de scientifique est Pythéas. Né à Massalia – aujourd’hui Marseille, mais c’est une colonie grecque fondée par les Phocéens à cette période – aux environs de 350 avant J.-C, il a en effet cherché à accumuler des données d’observation, à les analyser et à en déduire des lois générales. Il a par ailleurs laissé un compte-rendu manuscrit de ses pérégrinations, dans un ouvrage intitulé De l’Océan, aujourd’hui disparu mais dont on trouve trace dans les écrits de ses contemporains (Aujac, 1972). L’ouvrage de Pythéas restera le seul du genre pendant près de 2000 ans (Toulmond, 2006), les seules observations de la mer étant faites par des scientifiques uniquement sur la base des animaux ramenés par l’activité de pêche. Il faut attendre le 18ème siècle pour qu’un érudit soit embarqué lors d’une expédition sans pour autant être marin, à l’instar de Luigi de Ferdinando, comte de Marsigli, le premier à élaborer une étude des fonds marins, de la température de l’eau, des mouvements de la mer et des animaux habitant dans le golfe du Lion, observations qu’il publiera à Venise en 1711. La deuxième moitié du 18ème est marquée par une volonté concurrente de l’Angleterre et de la France d’élargir leurs emprises sur les océans et sur les terres encore non colonisées. Dans ce contexte, l’exploration marine est soutenue par les États. En France par exemple, le premier tour du monde est organisé par la Marine royale, sous le commandement de Louis Antoine de Bougainville (Kury, 1998). À bord du bateau, Véron, astronome, et Commerson, botaniste. Cependant, les traces de ces expéditions parlent essentiellement des observations réalisées à chaque escale : les terres où l’équipage a posé le pied, les ressources ou minéraux susceptibles d’exploitation. On n’y trouve que peu de choses à proprement parler sur les océans. Dans les années qui suivirent, il y eu également l’expédition dirigée par La Pérouse, embarquant à son bord pas moins de 16 scientifiques en août 1785, dont les limites en termes de connaissance des océans sont les mêmes que pour l’expédition de Bougainville. La première expédition française qui se distingue sur cet aspect est finalement celle conduite par Nicolas Baudin, qui a levé l’ancre fin 1800, embarqué 15 jeunes scientifiques et rapporté des informations sur les planctons et une classification des méduses. C’est néanmoins du côté anglais que les plus célèbres expéditions furent menées, en particulier sous l’égide de James Cook : au cours de 3 voyages, entre 1769 et 1780, il accumula une quantité impressionnante de données concernant les vents et les grands courants océaniques de surface. Plus tard, fin 1831, une autre expédition est connue, peut-être moins du nom de son capitaine, Robert FitzRoy, ou du nom du navire, le H.M.S Beagle, mais parce qu’à son bord se trouve un jeune « homme de compagnie » qui se trouve en réalité être Charles-Robert Darwin. S’il est connu pour son exposé le plus célèbre, publié en 1859 sous le titre On the Origin of Species, il a également fait de pertinentes observations sur les récifs coralliens publiées dès 1842. Il est à noter que des « terriens » s’intéressent également de plus en plus à la faune marine, au rang desquels Jeanne Villepreux-Power qui invente l’aquarium dans les années 1830 pour ses études sur l’argonaute (Debaz, 2012). On constate néanmoins qu’aucune expédition jusqu’alors n’est à proprement une expédition dédiée à l’étude des mers et de ses fonds. Seulement, les précédentes expéditions ont fini par rendre compte de manière assez précise du contour des côtes : l’intérêt qui était porté aux dessins des cartes va donc se reporter petit à petit sur les océans à proprement parler. Qui plus est, la connaissance des fonds marins devient un enjeu majeur pour l’installation du télégraphe électrique : les premiers essais entre Calais et Douvres, ont lieu autour de 1850, en particulier parce que les industries Siemens viennent d’inventer un moyen d’isoler les câbles avec une résine. Ils se soldent néanmoins par des échecs : la topographie et les courants marins étant méconnus, les câbles finissent généralement par se briser en différents endroits. C’est donc seulement vers 1850 que l’océan prend sa place comme objet d’étude. Une rupture 9 Chapitre 1 de câble est coûteuse, tant en temps qu’en finances, il devient alors essentiel de connaître les fonds marins. Ce contexte voit ainsi naître le premier navire océanographique, le H.M.S Challenger (fig. 1.1), qui a sillonné les mers du monde entier entre 1872 et 1876. La publication des résultats de cette expédition constitue un jalon dans les données scientifiques. Figure 1.1: À gauche, les H.M.S Challenger, premier navire d’exploration océanographique qui a parcouru les mers de 1972 à 1876 (extrait du rapport de l’expédition). À droite, le H.M.S Agamemnon, posant un câble télégraphique en 1858 (H.M.S. Agamemnon Laying the Atlantic Telegraph Cable in 1858 : a Whale Crosses the Line, Robert Charles Dudley, The MET, New York). Tous deux sont d’anciens navires de guerre. Dès lors, les expéditions océanographiques, à l’initiative de différents pays, vont se succéder et la discipline d’océanographe est peu à peu reconnue comme telle : le terme apparaît par exemple en France dans les années 1880. Le but n’est pas ici d’en faire un historique exhaustif, sinon de souligner que, depuis 1850 l’exploration scientifique des mers et océans a pris un tournant, et ne cesse d’intéresser tant les industriels que les académiciens – on peut citer les projets Tara Océan (Pesant et al., 2015), dans le cadre duquel plus d’une dizaine d’expéditions ont été réalisées sur tous les océans du globe depuis 2006, ou encore la conception en cours du Polar Pod, une plateforme imaginée pour se laisser dériver autour de l’Antarctique dans les cinquantièmes hurlants. Il y a ainsi mille et une manières de s’intéresser aux océans, que ce soit en analysant leurs faunes, leurs flores, la géologie de leurs fonds et leurs topographies ou la physique de leurs écoulements.

Un circuit fermé

Certains courants marins tiennent le haut du pavé en termes de notoriété, la première marche étant probablement décernée au Gulf Stream, ce courant chaud et intense se déplaçant à une vitesse moyenne de 2 m/s le long de la côte Est des États-Unis d’Amérique. Mais en réalité ce sont toutes les eaux des océans qui sont en perpétuel mouvement, aussi bien en surface (fig. 1.2) qu’en profondeur. Si les vitesses horizontales peuvent être très fortes sur le globe, les mouvements verticaux eux sont bien moindres du fait de la faible épaisseur de l’océan (de l’ordre de 5 km) comparée à son étendue (des milliers de kilomètres). Par ailleurs, l’océan n’est pas un milieu homogène. En particulier, la température et la salinité changent avec la profondeur et en différents points du globe. La densité varie donc en différents endroits puisqu’on peut la relier à la salinité et à la température via l’équation d’état approchée  Figure 1.2: Carte d’intensité des courants océaniques de surface mesurés par altimétrie satellitaire (extrait de Fieux et al. (2017)) : l’océan n’est jamais au repos. coefficient de contraction haline à T0 et βp ∼ 4.5 × 10−3 kg m/3/dbar1 le coefficient de compressibilité pour T0 = 10°, S0 = 35, p = p0 = 1 atm et ρ0 = 1026.97 kg/m3(toutes les valeurs sont extraites de Fieux (2010)). En plus du gradient de densité vertical, on observe des gradients de densité horizontaux. Longtemps, ce sont ces gradients de densité horizontaux qui étaient vus comme la source de la circulation marine : la densité étant fonction de la température et de la salinité, on parlait ainsi de circulation thermohaline pour nommer la circulation océanique. Dans les faits, il n’est pas si aisé de savoir si ce sont ces gradients de densité qui sont la source du mouvement océanique ou l’inverse. La littérature se demande ainsi What is the thermohaline circulation ?. Dans cet article, Wunsch (2002) relève les multiples significations qui peuvent se trouver derrière ce mot, en dénombre pas moins de 7 et fait le choix de définir le mouvement des océans comme celui des ses masses d’eau. Les flux de masse affectent les transports de toutes les autres quantités, comme la température, le sel, l’oxygène… Ainsi, l’appellation la plus appropriée pour la circulation des océans semble dorénavant être la circulation méridienne de retournement (MOC en anglais pour Meridional Overturning Circulation). La question est donc de comprendre ce qui met ces masses d’eau en mouvement. En surface, les eaux des océans sont soumises au forçage des vents, dont l’impact direct est visible sur plusieurs centaines de mètres de longueur. Cela concerne de très grands courants comme le Gulf Stream ou encore le Courant Circumpolaire. Dans le fond des océans, la stratification est d’une telle stabilité qu’il est difficile de déterminer précisément si ce sont les gradients de densité, et donc de pression, qui sont à la source de la circulation océanique ou l’inverse. Par contre, il est une interaction qui impacte directement les grandes masses d’eau, c’est l’attraction gravitationnelle entre la Terre et la Lune, ainsi qu’entre la Terre et le Soleil : elle est à l’origine des marées, le deuxième moteur de la circulation océanique. La littérature semble marquer un pas et l’océan, d’abord vu comme une machine thermique, est maintenant regardé comme ces masses d’eau en mouvement sous l’effet des vents et des marées. Grossièrement, une vue de la circulation méridienne de retournement est celle d’une boîte qui est en 11 Chapitre 1 interaction avec l’atmosphère (Stommel, 1958), comme le montre la vue schématique donnée figure  Figure 1.3: Représentation schématique de la circulation méridienne de retournement. Le champ en oxygène est ajouté à la circulation représentée par des flèches (de moins en moins denses du bleu au rouge). Dans le fond, les processus de mélange associés à la topographie induisent une remontée des eaux. Extrait de Marshall and Speer (2012). Lorsqu’une particule fluide commence son périple à travers le globe, elle prend une bonne respiration : le voyage est en effet millénaire d’après les estimations au carbone 14 (Fieux, 2010). Celui-ci commence toujours en surface car c’est là que les masses d’eau se forment sous l’effet des échanges soutenus avec l’atmosphère : une évaporation intense ou une formation de glace rapide, comme en mer de Weddell ou en mer du Groenland, sont les deux phénomènes qui augmentent, localement, la salinité en surface. Cela n’est réalisé qu’en certains points très localisés, à chacun des pôles du globe. Si les deux pôles contribuent à former les eaux des océans, il est à noter que chaque pôle présente sa spécificité : du pôle Nord (mers polaires et mer du Labrador) naissent les eaux profondes, tandis que du pôle Sud (mers de Weddell et de Rooss) naissent des eaux plus denses encore, dites eaux de fond. Les eaux de surface deviennent si denses qu’elles finissent par plonger, ce qui génère de grands mouvements de convection qui ventilent l’océan de subsurface. Après avoir plongé, ces eaux tapissent les fonds marins et constituent ce qu’on appelle les eaux profondes. Elles gardent très longtemps la trace de leur lieu de naissance, avec des valeurs en sel et température spécifiques, comme une carte d’identité. Mais au cours de leur trajet, ces caractéristiques changent à la faveur du mélange avec les eaux sous et sus-jacentes. Les masses d’eau remontent en certains endroits du globe, près de l’Antarctique, dans l’océan Indien ainsi que dans l’océan Pacifique. Elles sont transformées en surface puis acheminées à nouveau vers les zones de naissance, depuis lesquelles le cycle peut reprendre. La première représentation de ce cycle est due à Broecker et al. (1991). Dans cette étude, une place particulière était donnée au Pacifique Nord puisque l’on pensait que la remontée des eaux se faisait principalement en son sein. Les études plus récentes donnent pourtant une place toute particulière au pôle Sud, puisqu’il s’avère qu’une grande partie de la remontée des eaux se fait autour de l’Antarctique (Toggweiler and Samuels, 1995; Schmitz Jr, 1996; Toggweiler and Samuels, 1998), une hypothèse déjà formulée par Sverdrup (1933). Une nouvelle représentation de la circulation méridienne de retournement a ainsi été proposée par Marshall and Speer (2012) qui soulignent davantage l’asymétrie entre les océans Atlantique, Pacifique et Indien, ainsi qu’entre l’hémisphère nord et sud en mettant en évidence le rôle majeur de l’Océan Austral (fig. 1.4).

Table des matières

1 Introduction générale
1.1 Circulation thermohaline et mélange
1.1.1 Un peu d’histoire
1.1.2 Un circuit fermé
1.1.3 Le mélange océanique
1.2 Les ondes internes
1.2.1 Physique d’un fluide stratifié
1.2.2 Théorie linéaire des ondes internes
1.2.3 Propagation de modes
1.2.4 Les ondes internes dans la nature
1.2.5 Les ondes internes comme source de mélange
1.3 Les ondes internes en laboratoire
1.3.1 Obtention d’une stratification
1.3.2 Génération d’ondes internes
1.3.3 Observation des ondes internes
1.3.4 Outils d’analyse
2 Stratification soumise à un forçage long : formation d’escalier
2.1 Effet du nombre de Richardson Ri
2.2 Dispositif expérimental
2.2.1 Étude de l’efficacité du générateur
2.2.2 Description du dispositif expérimental
2.3 Mesure du nombre de Richardson
2.4 Double diffusion
2.4.1 Le phénomène physique
2.4.2 Le Schlieren Synthetique pour suivre le phénomène
2.4.3 Intrusion par chauffage latéral
2.4.4 Propagation d’ondes internes : confinement des couches mélangées
3 Rétro-action de la stratification sur les ondes internes
3.1 Modification des modes
3.1.1 D’un mode 1 à deux mode 1
3.1.2 En présence de double-diffusion : guide d’onde
3.2 Sélection des ondes filles
3.3 Zoologie des ondes filles
4 Génération d’onde super-harmonique par interaction résonante de mode
4.1 Introduction
4.2 Experiment and data processing
4.3 Theory
4.3.1 Constant-amplitude solutions
4.3.2 Amplitude evolution equations
4.4 Results
4.4.1 Superharmonic wave generation (case-1 resonant triad)
4.4.2 Forcing at resonant frequency (case-1 resonant triad) 72
4.4.3 Forcing at off-resonant frequencies (case-1 resonant triad)
4.4.4 Effect of forcing amplitude at resonance (case-1 resonant triad)
4.4.5 Case-2 resonant triad
4.5 Discussion
4.5.1 Slow temporal evolution
4.5.2 Viscous effects
4.6 Conclusions
Conclusion

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