La conjoncture socio-économique

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Ama et problèmes environnementaux

Problèmes environnementaux au Japon Le travail des ama est entaché par la détérioration des littoraux et la mise à mal de la faune maritime japonaise. A l’origine de ces difficultés, les problèmes environnementaux que le pays doit gérer en permanence. Situé sur trois plaques tectoniques, la plaque Pacifique, la plaque Eurasienne, et la plaque des Philippines, le Japon est soumis régulièrement à de nombreux séismes et tsunamis lorsque ces plaques s’entrechoquent (Huet, 2011). La violence de certaines vagues emporte tout sur son passage : les habitations proches des littoraux et les collectivités de pêche (Hays, 2012), mais également les infrastructures maritimes locales dont la disparition pénalise le travail des ama. A Aji-Shima, près de la baie d’Ishinomaki, un affaissement de la baie d’un mètre trente a provoqué une hausse du niveau de la mer telle que le quai s’en retrouve désormais bloqué. Incapables d’y accéder, les plongeuses d’Aji-Shima ne peuvent alors plus partir en mer récolter leurs précieux ormeaux (Deschamps, 2014 : 2 min 19). Le niveau des eaux a augmenté de 10 à 20 centimètres au cours du siècle dernier (CNRS, date inconnue). Le changement climatique et les tsunamis accroissent ce phénomène. Inadaptées aux eaux profondes, les techniques de plongée en apnée ne permettent plus la récolte des ormeaux ou autres mollusques marins à la seule force de la main (Bouthier, 2013). Bien qu’entraînées, les ama doivent limiter leur temps d’immersion sous l’eau afin d’éviter une fatigue inutile (Deschamps, 2014 : 2 min 18). La montée des eaux et la violence des courants représentent donc un danger réel pour les ama, même les plus expérimentées : en 2012, une plongeuse octogénaire est décédée sous les eaux de la préfecture de Mie, emportée par le courant (Bouthier, 2013). C’est pourquoi, de nombreuses collectives de pêche empêchent leurs plongeuses de partir en mer lorsque les conditions climatiques nuisent à un exercice de leur profession en toute sécurité (Carmen, 2009).

Restrictions de plongée et Rôle écologique des ama

Ces problèmes environnementaux affectent donc directement les prises potentielles des plongeuses artisanales, et notamment les ormeaux, dont la récolte s’amoindrit d’année en année (Bouthier, 2013 ; Brand, 2009). En 1983, 74 158 kilogrammes d’awabi étaient récoltés à Katada dans la préfecture d’Aichi par les plongeuses japonaises, tandis qu’en 2006 seulement 8 085 kilogrammes ont pu être pêchés (Linhart, 2007). Dans la préfecture de Mie, principale région où les ama exercent leur profession43, 752 tonnes d’ormeaux ont pu être récoltés en 1966 contre 49 tonnes en 2012, soit environ quinze fois moins qu’au milieu des années 1960 (Le Petit Journal.com, 2014c). Face à une extinction progressive de leur prise la plus lucrative44, les plongeuses artisanales voient leurs revenus diminuer fortement. Bien que de nos jours, le kilogramme d’awabi se vende toujours à prix d’or, un kilogramme d’ormeaux noirs avoisinant les 65 euros en moyenne (Bouthier, 2013), les plongeuses artisanales gagnent désormais un peu moins de 3 millions de yen par an, soit le salaire d’un ouvrier japonais moyen, estimé à 1 500 euros par mois (Carmen, 2009 : 31 min), contre plus de 10 millions de yens annuels (73 525 euros) dans les années 1950 (Kadri, 2003) L’environnement est devenu l’une des préoccupations majeure des coopératives de pêche, comme le souligne une plongeuse du village de Katada à la journaliste allemande Ruth Linhart : « « Since Mr. Ôta became chairman of the fisheries cooperative and when I was chairwomen of the women´s association on Katada the environmental problems were our main concern », Mrs. Takeuchi says » (Linhart, 2007). Afin de préserver leur environnement et de limiter l’impact de leur activité sur l’écosystème maritime, les plongeuses artisanales sont soumises à de nouvelles restrictions par les collectivités de pêche locales (Bouchy, 1999 : 385). Cette législation n’a fait lieu d’aucune mention dans les travaux ethnographiques effectués par les chercheurs anglo-saxons dans les années 1970 à 1990. C’est pourquoi, j’évalue les nouvelles règles auxquelles sont soumises les ama au milieu des années 1990, après la réalisation des monographies les plus récentes effectuées sur les plongeuses japonaises au début des années 1990 (Bouchy, 1999 ; Martinez, 2004). Dans le but de documenter ce travail, je m’appuierai donc sur les documentaires et les articles de presses réalisés sur les plongeuses artisanales au début du XXIe siècle. Afin de respecter les cycles de reproduction et de limiter ainsi l’extinction progressive de la faune maritime, le temps de travail des plongeuses artisanales a été limité à trois heures quotidienne dans le village de Wagu (Carmen, 2009 : 7 min 32). Cette restriction temporelle est également mentionnée dans le documentaire de la réalisatrice Kaori Brand sur les plongeuses de l’île d’Hekura près de la préfecture d’Ishikawa (Brand, 2009). Une limitation de capture plus particulière a été mise en place pour la récolte des crustacés en voie de disparition dans les eaux japonaises (Aquablog, 2011). C’est le cas notamment de l’oursin, dont la surpêche pousse désormais les Japonais a importé une grande partie de ces mollusques d’Amérique du Nord ou du Chili (Labro, 2014).

Plongée artisanale et plongée industrielle en Asie

La concurrence industrielle Je définis ici, et pour toute la continuité de ce mémoire, la plongée industrielle comme une plongée à forte production, dont la finalité est le commerce des prises à grande échelle, et qui se dote de moyens techniques avancés. Par son monde de fonctionnement, elle concurrence la plongée artisanale et participe à la disparition des plongeuses artisanales en Asie. Contrairement à la plongée artisanale dont la pratique est essentiellement féminine46 (Bouchy, 1999 ; Kalland, 1995 ; Martinez 2004 ; Rahn et Yokoyama, 1965 ; Williams, 2009), la plongée industrielle est réalisée par des hommes. En 2007, on recensait seulement 2,3 % de femmes dans le monde de la pêche industrielle au Japon (Hitomi, 2009 : 16). Si je n’ai pas trouvé de données en ce qui concerne le domaine de la plongée stricto sensu, je peux supposer que ses chiffres sont très faibles. Lorsque qu’une présence féminine est mentionnée dans les ressources documentaires sur le monde maritime, elle se rapporte à l’univers de l’aquaculture ou de la pêche et de la plongée artisanale (Thompson, 1985 : 7 ; Worldfish Center, 2002 : 24-25). Rien d’étonnant à cela, puisque le domaine de l’industrie nécessite l’utilisation d’armes et d’un outillage perfectionné. Comme le souligne l’anthropologue italienne Paola Tabet dans son article « Les mains, les outils, les armes » pour un numéro de la revue 46 Voir a.1.I. 60 L’homme en 1979, les activités qui demandent un équipement complexe sont réalisées par les hommes, puisque les armes et les outils permettent aux femmes d’augmenter leur contrôle sur la nature, pouvoir qu’elles possèdent par essence avec leur capacité à donner la vie47 (Tabet, 1979 : 31). L’absence de données sur la présence de la gent féminine dans le monde de la plongée industrielle marque donc certainement une absence significative des femmes dans ce domaine. Loin des burins et des paniers en cordes tressées qui constituent l’équipement principal des ama, les plongeurs industriels bénéficient d’outils perfectionnés qui leur permettent de plonger plus longtemps dans des eaux plus profondes (Brandt, (1964) 1984 ; Kalland, 1995 : 178). Vêtus de combinaisons étanches ou de scaphandres, et munis de bouteilles d’oxygène, ces hommes peuvent rester immergés dans l’eau froide jusqu’à cinquante mètres de profondeur pendant plus de trente minutes d’affilées. Passé ce temps, ils doivent effectuer cinq minutes de pause en dessous du palier des dix mètres afin de respirer plus librement avant de redescendre plus bas (Brandt, (1964) 1984 : 20). Comparées aux ama qui, dépendantes de leurs capacités respiratoires, sont obligées de remonter à la surface au bout de soixante secondes (Maraini, 1962 : 71 ; Rahn et Yokoyama, 1965 : 103), le respect des paliers de décompression semblent constituer une maigre contrainte pour les plongeurs industriels. Avec un mélange d’oxygène et d’hélium, certains hommes peuvent descendre jusqu’à cent mètres de profondeur sans aucune difficulté (Brandt, (1964) 1984 : 23). Ces avancées techniques permettent donc aux plongeurs industriels d’exercer une concurrence déloyale à l’encontre des plongeuses artisanales. Si les aller-retours, que l’équipement précaire des ama induit, limitent naturellement le nombre de prises dans le temps, les bouteilles de plongée permettent de récolter aisément beaucoup plus de mollusques dans une journée. On parle alors d’une « inégalité du rapport de force entre le secteur de la pêche artisanale et les flottes industrielles » où « la surexploitation des stocks de poissons locaux par ces mêmes flottes à des fins d’exportation entraînent logiquement une réduction considérable de capture pour les pêcheurs locaux. » (Landais-Barrau, 2014). 

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