La thermomigration de l’aluminium dans le silicium pour la réalisation industrielle de murs d’isolation

Notion d’interrupteur idéal et interrupteur réel à base de semiconducteurs

Pour décrire le comportement d’un interrupteur réel à base de semiconducteurs, il est d’abord nécessaire de donner les caractéristiques d’un interrupteur idéal. Celui-ci possède deux états : l’état bloqué (ouvert) et l’état passant (fermé). A l’état bloqué, l’interrupteur est parcouru par un courant nul et peut supporter à ses bornes une tension quelconque, positive (on parle alors d’état bloqué direct) ou négative (état bloqué inverse). A l’état passant, la chute de tension aux bornes de l’interrupteur est nulle, le courant est quelconque et peut passer dans les deux sens de conduction. La transition entre les deux états se fait de manière instantanée. Ces caractéristiques assurent qu’une au moins des deux grandeurs I ou V, et donc la dissipation de puissance, est nulle à tout instant, que ce soit en régime permanent (pertes statiques à l’état bloqué ou passant) ou en régime transitoire (pertes dynamiques à la commutation bloqué/passant ou passant/bloqué). D’autre part, cet interrupteur doit être commandable à l’ouverture (transition bloqué/passant dans les deux sens) et à la fermeture (transition passant/bloqué dans les deux sens) par une puissance nulle. Le signal de commande peut alors être soit une tension donnée avec un courant nul, soit un courant donné avec une tension nulle, de façon à ce que la puissance dissipée soit, elle aussi, toujours nulle. Les composants à base de semiconducteurs (silicium en général) diffèrent du concept d’interrupteur idéal pour plusieurs raisons. Tout d’abord, l’état bloqué de l’interrupteur est réalisé grâce à la polarisation en inverse d’une jonction P-N ou d’une jonction métal semiconducteur. Cette jonction ne peut supporter à ses bornes une tension infinie en inverse. La tension maximale acceptable est la tension d’avalanche au-delà de laquelle le courant augmente très fortement sans augmentation significative de la tension. Par ailleurs, avant l’avalanche, le courant passant dans le composant est relié au courant de fuite de la jonction polarisée en inverse, ce courant n’est donc pas strictement nul. Dans les composants moyenne ou forte puissance, les tensions de blocage sont de l’ordre de plusieurs centaines de volts. Nous verrons plus tard que la tension d’avalanche augmente si le dopage d’une des zones P ou N diminue. Généralement, c’est la zone N qui est faiblement dopée, elle constitue souvent le substrat silicium utilisé pour la fabrication des composants de puissance. L’exigence de tenue en tension impose donc que le substrat soit peu dopé. La présence de cette zone peu dopée et généralement d’extension importante (jusqu’à plusieurs centaines de microns) a des conséquences très importantes au niveau de la tenue en courant, qui peut être définie comme la faculté d’un composant à faire passer un courant avec le minimum de chute de tension à ses bornes.

Généralités sur la jonction plane et abrupte

Pour simplifier le raisonnement, nous allons traiter de la jonction P-N dite plane et abrupte, qui consiste en la juxtaposition de deux zones semiconductrices de dopages constants et de types différents. La zone de type P s’obtient en dopant le silicium par des atomes accepteurs contenant un électron de moins que le silicium (bore, gallium ou aluminium par exemple). Cette absence d’électron peut se traiter comme une pseudo-particule équivalente appelée trou qui a une charge et une quantité de mouvement opposée à celle de l’électron.
La zone de type N est obtenue grâce à l’introduction dans le silicium d’impuretés donneuses contenant un électron de plus que le silicium (arsenic, phosphore ou antimoine par exemple). Dans les deux cas, les porteurs (trous et électrons) sont très peu liés à l’atome dont ils font partie et sont tous mobiles à température ambiante dans le réseau du silicium.
A l’équilibre thermodynamique, i.e. sans perturbation extérieure de la jonction (une polarisation par exemple), il existe donc un gradient de concentration de porteurs entre les deux parties de la jonction. Des électrons diffusent alors du côté N vers le côté P et les trous en sens inverse. Ces porteurs, en diffusant, laissent derrière eux des charges fixes dans le réseau, ce sont les atomes dopants ionisés après le départ des porteurs libres. Cette zone chargée exempte de porteurs mobiles est appelée zone désertée ou Zone de Charge d’Espace (ZCE) et est constituée de deux parties, une dans la partie N de charge positive et une dans la partie P de charge négative.

Phénomène d’avalanche

Si nous nous référons uniquement à l’analyse ci-dessus, rien ne nous empêche a priori d’augmenter indéfiniment la tension inverse aux bornes de la jonction. Ceci signifierait que tous les composants de puissance pourraient tenir l’état bloqué pour des tensions infinies. Bien sûr, il n’en est rien car, au delà d’une certaine tension de polarisation inverse, le phénomène de claquage par avalanche intervient avec augmentation très forte du courant sans augmentation sensible de la tension.
Le régime de fonctionnement en avalanche est, en général, évité car la puissance dissipée pourrait vite devenir très importante et provoquer un échauffement local du composant, avec comme conséquence sa détérioration irréversible (fissures générés par contraintes thermiques, fusion localisée, etc.). Le phénomène de claquage par avalanche est donc responsable de la limitation de la tenue en tension dans les composants de puissance.
Nous pouvons citer ici l’effet Zener, qui est responsable du claquage des jonctions symétriques (Nd ≈ Na) très dopées. Dans ce cas, le champ électrique est très fort et permet la traversée par les porteurs liés de la barrière de potentiel que constitue la ZCE. La tension de claquage est alors de l’ordre de quelques volts. Cette manifestation de l’effet tunnel quantique ne se rencontre pas dans les composants de puissance car les jonctions qui tiennent la tension sont fortement dissymétriques avec un côté très peu dopé. De plus, les tensions que l’on peut tenir sont très faibles et donc ce régime de claquage est évité.
Décrivons maintenant le processus d’avalanche. Au fur et à mesure que la tension inverse augmente, le champ électrique augmente aussi suivant l’équation. Les porteurs participant à la conduction de fuite sont alors accélérés dans la zone de charge d’espace et leur énergie cinétique augmente fortement. Cette énergie peut être suffisante pour provoquer, par collision anélastique avec un atome du réseau, la création d’une paire électron-trou par le saut d’un électron de la bande de valence vers la bande de conduction. Ce phénomène est appelé ionisation par impact. Les porteurs libres sont, à leur tour, accélérés par le champ électrique et participent à la génération de nouveaux porteurs. Ce phénomène multiplicatif conduit alors à une augmentation du courant dans la ZCE. On dit que la jonction polarisée en inverse entre en régime de claquage par avalanche quand le taux de multiplication par impact M, défini dans l’équation, tend vers l’infini.

Technologies Mesa

La technologie Mesa a été la première technologie utilisée pour la fabrication des composants électroniques à base de silicium, que ce soit en électronique de signal ou en électronique de puissance. Alors qu’elle a été vite remplacée par des techniques plus évoluées en microélectronique classique (technologie Planar), elle est encore très largement utilisée pour la fabrication des composants de puissance. Cette technologie se caractérise principalement par des diffusions pleine plaque et par une passivation de surface effectuée grâce à des dépôts de verre. Technique du biseau : Cette technique consiste à réduire la valeur du champ électrique à la surface perturbée du bord de la puce par la réalisation d’un biseau . Le biseau représenté sur la figure est dit positif car la surface au bord décroît quand on va du côté le plus dopé (ici P+) vers le côté le moins dopé (ici N-). Dans cette configuration, il existe une surface S1 où la zone de charge d’espace ne peut s’étendre car la matière a été enlevée à cet endroit. La zone déplétée s’étend alors dans la surface S2, la longueur l’ de contact de la zone de charge d’espace avec le bord de la puce est alors supérieure à la longueur l sans biseau. Les équipotentielles sont donc moins serrées et le champ à la surface est inférieur à ce qu’il serait sans biseau.
Double sillon rempli de verre (technologie Mesa Glass) : Cette technologie est la plus ancienne utilisée sur le site de Tours pour la fabrication des thyristors et des triacs. Une fois la structure diffusée, la terminaison de jonction à la périphérie de la puce se fait par la gravure humide (chimique) d’un sillon dans le silicium sur les deux faces de la plaquette. Ce double sillon est ensuite rempli de verre pour passiver les jonctions. Les deux sillons sont défavorables pour la tenue en tension car on se rapproche d’une configuration avec deux biseaux négatifs à angles élevés ; il y a donc théoriquement augmentation du champ électrique à la surface latérale de la puce. La présence de charges négatives dans le verre permet alors de contrecarrer partiellement cet effet en repoussant la zone de charge d’espace .

Technologie Planar avec caisson bore

La technologie Planar exploite les propriétés uniques de l’oxyde de silicium, propriétés de masquage à la diffusion et de passivation en remplacement du verre. A terme, l’utilisation de cette technologie pour la fabrication des composants de puissance de type thyristor/triac doit permettre d’augmenter le diamètre des plaquettes utilisées de 125 mm vers 150 mm tout en conservant des épaisseurs de l’ordre de 200 / 250 µm. Cette technologie doit aussi amener une rationalisation de l’outil de production en se rapprochant de l’outil standard de la microélectronique des circuits intégrés.
Nous allons voir dans cette partie, les principaux avantages de la technologie Planar vis-à-vis de la technologie Mesa. Nous verrons aussi la conséquence de l’exigence de la tenue en tension inverse dans ce type de composants, à savoir la nécessité d’un caisson d’isolation.
Avantages de la technologie Planar et nécessité d’un caisson périphérique : On remarque immédiatement que la structure est beaucoup plus évoluée en comparaison avec les technologies Mesa. La suppression du verre permet de réduire les courants de fuite des jonctions en inverse et d’améliorer la fiabilité (découpe dans le silicium). La tenue en tension directe assurée par la jonction P (base) / N- (substrat) dépend alors de la terminaison de cette zone P et non plus de la terminaison d’une jonction pleine plaque sur un sillon rempli de verre. Il a été montré que, moyennant des périphéries adaptées, le claquage a lieu sous la zone P et non à la périphérie de la jonction. Le claquage de la jonction n’est plus localisé, il se fait donc dans le volume pour une tension proche de la jonction plane abrupte idéale. Toutefois, contrairement à la zone P de face avant, la zone P de face arrière est diffusée pleine plaque. Ceci est dû, comme pour la technologie Top Glass, aux contraintes d’assemblage ; le contact d’anode est présent sur toute la face arrière de la puce pour pouvoir être reporté sur l’embase métallique plane du boîtier (frame plan). Si on ne fait rien de plus, la jonction qui tient la tension inverse se termine alors sur le bord de la puce avec toutes les difficultés qui en découlent .

Table des matières

INTRODUCTION GENERALE
CHAPITRE I : ETAT DE L’ART DE LA TENUE EN TENSION INVERSE DANS LES COMPOSANTS DE PUISSANCE PLANAR
I Introduction
II Les composants de puissance à tenue en tension bidirectionnelle
II.1 Notion d’interrupteur idéal et interrupteur réel à base de semiconducteurs
II.2 La tenue en tension : rappels sur la jonction P-N polarisée en inverse
II.2.1 Généralités sur la jonction plane et abrupte
II.2.2 Polarisation en inverse : extension de zone de charge d’espace et champ électrique
II.2.3 Phénomène d’avalanche
II.2.4 Ecarts à la jonction plane et abrupte : la jonction diffusée
II.3 Revue des composants de puissance à tenue en tension bidirectionnelle
III Les terminaisons périphériques actuelles permettant la tenue en tension inverse
III.1 Technologies Mesa
III.1.1 Technique du biseau
III.1.2 Double sillon rempli de verre (technologie Mesa Glass)
III.1.3 Sillon simple face avec caisson traversant (technologie Top Glass)
III.2 Technologie Planar avec caisson bore
III.2.1 Avantages de la technologie Planar et nécessité d’un caisson périphérique.
III.2.2 Le caisson bore : réalisation pratique et caractéristiques
IV Alternatives à la diffusion bore pour la réalisation de caissons périphériques
IV.1 Diffusion à l’état solide de l’aluminium
IV.2 Diffusion dans le silicium poreux
IV.3 Réalisation de tranchées remplies par polysilicium dopé
IV.4 Thermomigration de l’aluminium dans le silicium
V Conclusion
Références Bibliographiques du Chapitre I
CHAPITRE II : LA THERMOMIGRATION DE L’ALUMINIUM EN PHASE LIQUIDE DANS LE SILICIUM
I Introduction
II Historique et applications de la thermomigration
II.1 Découverte du phénomène et premiers essais de construction d’une théorie de la thermomigration
II.2 La thermomigration chez General Electric : approfondissement du procédé et application aux composants de puissance
II.3 De 1980 à nos jours : autres applications
III Théorie de la thermomigration
III.1 Description phénoménologique du procédé
III.1.1 Variation de la concentration de solvant avec la température
III.1.2 Principe de la migration
III.1.3 Conditions de migration
III.2 Expression simplifiée de la vitesse de migration
III.3 Ecarts au modèle simple
III.3.1 Cinétiques d’interface
III.3.2 Gradient de température dans le liquide
IV Application au système aluminium / silicium
IV.1 Choix du système binaire
IV.2 Calcul de la vitesse de migration d’un alliage Al/Si
IV.3 Stabilité et forme de l’alliage en migration
IV.3.1 Contraintes dimensionnelles
IV.3.2 Contraintes cristallographiques
IV.4 Autres caractéristiques de la thermomigration d’aluminium dans le silicium
IV.4.1 Nature et dopage du chemin recristallisé
IV.4.2 Epaisseur minimale du dépôt d’aluminium
IV.4.3 Volume de l’alliage en migration
IV.4.4 Etalement de l’alliage à la fin de la thermomigration
IV.4.5 Défauts créés par la thermomigration
V Conclusion
Références Bibliographiques du Chapitre II
CHAPITRE III : LE FOUR DE RECUIT RAPIDE A GRADIENT DE TEMPERATURE VERTICAL
I Introduction
II Généralités sur les fours à recuits rapides (RTP)
II.1 Intérêt et principe de la technologie RTP
II.1.1 Evolution de la technologie des fours de recuits en microélectronique
II.1.2 Applications de la technologie RTP
II.1.3 Principe des fours RTP à lampes
II.1.4 Lois du transfert thermique par rayonnement
II.1.5 Mesure de la température
II.2 Uniformité du transfert thermique et contraintes induites
II.2.1 Evaluation qualitative du champ de température en régime transitoire de montée en température
II.2.2 Expression du champ de température en régime stationnaire
II.2.3 Défauts engendrés par la non-uniformité thermique
III Application à un four de thermomigration
III.1 Justification du choix d’un four RTP et réalisation de la fonction « gradient vertical »
III.2 Expression du gradient thermique vertical
IV Conclusion
Références Bibliographiques du Chapitre III
CHAPITRE IV : CONTRIBUTION A LA MISE AU POINT D’UN PROCEDE INDUSTRIEL DE THERMOMIGRATION D’ALUMINIUM
I Introduction
II Problématiques du procédé technologique
II.1 Introduction : paramètres de l’étude et méthodes expérimentales
II.1.1 Paramètres expérimentaux
II.1.2 Méthodes d’analyse
II.2 Caractéristiques générales de la thermomigration
II.2.1 Morphologie des caissons thermomigrés
II.2.2 Niveau de dopage – Comparaison SIMS / SRP
II.2.3 Défauts cristallins induits par la thermomigratio
II.3 Nécessité de la présence d’oxygène lors du recuit de thermomigration
II.3.1 Mise en évidence de la pollution de type SiOx
II.3.2 Explication du phénomène de gravure thermique et suppression de la pollution
II.4 Conformité du chemin dopé avec le dépôt initial d’aluminium
II.4.1 Etalement de l’alliage en début de migration
II.4.2 Discontinuités et écarts à la morphologie linéaire du chemin dopé
II.4.3 Formation de billes en face d’entrée
II.4.4 Stabilité de la goutte dans le volume
II.5 Intégrité de la surface après thermomigration
II.5.1 Formation de couches minces sur le caisson par réaction de l’alliage liquide
II.5.2 Rugosité de la surface de la zone dopée
II.5.3 Contamination de la plaquette par évaporation d’aluminium
II.6 Largeur du chemin dopé
II.7 Déviation de la goutte d’alliage en migration
II.8 Conclusion : utilisation d’une double grille continue
III Problématiques du four RTP dédié thermomigration
III.1 Influence de la structure absorbante et des hautes températures sur la conception du four
III.1.1 Conception d’un corps absorbant (partie basse du four)
III.1.2 Influence de la présence du corps absorbant sur le rendement thermique
III.1.3 Refroidissement des lampes et conception de la partie supérieure
III.1.4 Contamination métallique de la chambre de recuit
III.2 Uniformité thermique (déviation, déformation)
III.2.1 Conséquences de la non-uniformité thermique
III.2.2 Méthodes d’amélioration de l’uniformité thermique
III.2.3 Mesure de la déformation macroscopique
III.2.4 Recuit sous vide primaire
III.2.5 Uniformité d’émergence et déviation des caissons
III.2.6 Résultats préliminaires sur le prototype industriel
III.3 Reproductibilité et contrôle de la fin du procédé
III.3.1 Boucle ouverte
III.3.2 Boucle fermée
III.3.3 Détections de fin de procédé
IV Application à la réalisation d’un composant de puissance à tenue en tension bidirectionnelle
IV.1 Insertion de la thermomigration dans une filière de type thyristor
IV.1.1 Description du processus de fabrication
IV.1.2 Place de l’étape de thermomigration
IV.1.3 Conditions de la compatibilité de la thermomigration avec la filière étudiée
IV.2 Réalisation d’un thyristor sur substrat épitaxié avec caisson thermomigration
IV.2.1 Choix du « véhicule test »
IV.2.2 Structure du composant et simulation de la tenue en tension
IV.2.3 Faisabilité spécifique de la thermomigration sur plaquettes épitaxiées
IV.2.4 Caractérisation physique et électrique
V Conclusion
Références Bibliographiques du Chapitre IV
CONCLUSION GENERALE

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