La prévention mise en pratique le dilemme des professionnels

La prévention mise en pratique le dilemme des professionnels

La prévention : entre médical et social

À partir du consensus autour de la fonction préventive du service, la question se pose de savoir ce qu’elle recouvre. Cette question est indissociable du rôle actuel de la PMI, celui de garantir une « vie en bonne santé » à la mère et à l’enfant, où la notion de santé tend vers la définition qu’en donne l’OMS (cf. chapitre 1). Les frontières de la santé étant sans cesse repoussées, celles de la vie en bonne santé le sont d’autant, entraînant avec elles celles de la prévention. « En PMI vous êtes censé en tant que médecin, faire bénéficier à l’enfant de toutes les prises en charge nécessaires pour son développement, pour son bien être. Ça c’est la vocation primaire de la PMI » (Dr Rahari). Rejoignant ici ce que nous soulignions dans la première partie de ce travail (l’élargissement du champ d’intervention de la PMI), observons maintenant les La prévention mise en pratique le dilemme des professionnels 212 problèmes et dilemmes que suscite ce mouvement et qui s’imposent quotidiennement aux intervenants des services. Comprenant l’ensemble des éléments qui constituent la vie de la mère et de l’enfant, la prévention telle que prévue dans les textes réglementaires de la PMI n’amène pas à la définition exacte et précise d’actes d’intervention en fonction des situations rencontrées. Chargés de veiller au bien-être des enfants et de prodiguer aux parents les conseils nécessaires au maintien en bonne santé, les intervenants de PMI sont avant tout en charge de la détection de toutes déficiences éducatives, nutritionnelles, psychologiques ou physiologiques. Les différents examens médicaux visent à s’assurer du bon développement de l’enfant et la veille des puéricultrices et EJE à s’assurer de la qualité de son environnement social et affectif. À l’affût de toute situation de maltraitance, les intervenants (comme les pouvoirs publics) rencontrent bien plus de difficultés à définir ce qu’est la bientraitance114 . Les moyens mis en œuvre et les éléments surveillés en priorité par les professionnels posent alors les cadres de la prévention. En dehors de ces cadres, sans qu’il y ait pour autant de maltraitance, la bientraitance se trouve remise en question. « Qu’est-ce que c’est la PMI ? Eh bien c’est la prévention. C’est pouvoir aider en amont, les familles, avant que les problèmes surgissent. Pour permettre à ces petits bouts de choux qui sont dans les familles de devenir des adultes bien construits. C’est donc faire de la prévention. Pour essayer que les choses évoluent favorablement pour eux. Mais il ne faut pas être utopique non plus. Casser parfois certains cercles. Concrètement, quand j’ai commencé en PMI, les familles maltraitantes devenaient maltraitantes elles aussi, des enfants maltraités, devenaient des parents maltraitants et tout ça. Et nous on essaie d’arrêter ça, de les aider à ne plus devenir des parents maltraitants. Voilà, ça c’est de la prévention, c’est ça la PMI » (Martha, puéricultrice). Illustrant parfaitement notre propos, cette puéricultrice présente la PMI comme étant la prévention, sous-entendue dans son sens le plus large, avant d’en donner une définition essentiellement en termes de prévention de la maltraitance. Le suivi purement médical du développement de l’enfant, le calendrier vaccinal, les conseils de puériculture et tous les autres éléments qui composent la pratique de la PMI sont-ils alors exclus du travail de cette puéricultrice ? Ce n’est bien évidemment pas le cas, mais cet extrait d’entretien permet de montrer qu’en fonction de leur métier, de leur lieu de travail et de leurs priorités personnelles, les intervenants présentent des conceptions très 114 Cf à ce propos le XXIII° colloque du Syndicat National des Médecins de PMI qui portait sur le thème La bientraitance existe-t-elle ? (SNMPMI, 1997) 213 diverses de la prévention ; conception qui sans être catégoriques, se retrouvent en partie dans les modes de pratiques différenciés que chaque professionnel met en place. Aux multiples composantes de « la santé » correspondent différentes approches de la prévention prodiguées à la mère et à l’enfant. Au premier plan du suivi qu’effectue la PMI se trouve la mission pour laquelle le service a été mis en place en 1945 : la vaccination. Mais comme nous l’avons vu, les domaines de surveillance se sont rapidement étendus au-delà du simple suivi vaccinal. « On fait du médical, mais c’est vrai que le médical pur, l’examen clinique pur bon ben on le fait, mais c’est vrai que les gosses maintenant les trois quarts du temps son bien suivis même s’il y a une précarité, ils ont quand même très souvent un médecin de famille ou… Et en dehors des vaccins et du suivi vaccinal, c’est essentiellement la prévention, par les vaccins aussi.(…) cliniquement ils sont en général en bonne santé (…) c’est vrai qu’on axe d’avantage sur le langage, la motricité, « les acquis », pour que justement ils puissent arriver sans prendre trop de retard en primaire et qu’on n’arrive pas dans des taux d’illettrisme et des trucs comme ça. On en arrive surtout au maximum, enfin moi, personnellement, si tu veux plus que l’examen technique et la clinique pure, c’est plus vers le développement psychologique et sensoriel que vers l’évolution physique » (Dr Simon, pédiatre). Dans la présentation qu’en fait ce médecin, un cantonnement de la prévention au seul niveau médical apparaît très clairement. L’élargissement des missions du service ressort alors dans les activités qui se distinguent du « médical pur », sans pour autant tendre vers une prévention effectuée par une approche sociale de la famille et de l’enfant. Cette approche de la prévention, valorisant essentiellement le point de vue médical, n’est pas seulement avancée par des médecins. Ainsi l’auxiliaire de puériculture dont nous faisions état au précédent chapitre et qui revendique sa pratique de dépistage visuelle en école maternelle et les résultats obtenus comme une preuve de « bon boulot ». Mais, cette mise en avant des actes technique et de la bio-médecine par certains intervenant n’est pas à entendre comme un rejet des autres domaines de prévention. La variation des positions indique davantage des préférences professionnelles que d’éventuelles exclusivités de pratiques. « Si tu veux, je pense qu’une consultation de PMI par rapport à une consultation médicale classique, il y a le technique qui laisse le pas à l’accueil et à l’écoute. Le technique, il est là, parce qu’il faut qu’il soit là, mais je pense qu’il est, pas secondaire mais ça ne doit pas être que ça » (Dr Simon, pédiatre). Les variations de position autour de la pratique de PMI, correspondent alors à différentes conceptions de ce que doit être la prévention, à différentes manières de faire « du bon boulot ». Ainsi à côté de ces représentations principalement orientés sur une 214 prévention d’ordre médical, exercent d’autres intervenants qui présentent une conception plus hétéroclite de la prévention, un juste équilibre entre ce que peut la biomédecine et ce que peut une approche plus sociale. « La prévention médicale, justement, ce qui est des vaccinations, ce qui est des soins dentaires, la prévention de l’obésité, la prévention des troubles de comportement, donc ça c’est ce qui est médical en fait. Et puis être là pour que les parents puissent se reposer sur nous, avoir des conseils et les aider dans leur cursus de parents en fait. Pour moi c’est ces deux choses-là en fait » (Dr. Lavois, pédiatre). Ce partage entre la prévention médicale et « le reste » est d’autant plus flagrant qu’il est davantage verbalisé par des médecins. La pratique de PMI est alors présentée sous l’angle d’une moindre importance de la médecine technique au bénéfice d’une autre pratique médicale. Autre médecine qui est valorisée, parfois même présentée comme la « plus value » de la PMI (Jourdain-Menninger et al., 2006). Elle diffère alors de la médecine pratiquée en hôpital ou en médecine de ville qui est chargée de régler un problème particulier de désordre biologique. La manifestation de la dimension sociale (et psychologique) de la PMI, inscrite dans son appellation médico-sociale et non uniquement médicale, se matérialise aussi bien dans la composition des équipes pluridisciplinaires des consultations que dans les interactions entre la PMI et les autres services de prise en charge de la mère et de l’enfant.

La PMI comme instance d’observation : une prévention sans obligation

Rappelons ici que depuis sa généralisation, la Protection Maternelle et Infantile, si elle est comme son nom l’indique une politique de protection, elle correspond avant tout à la mise en place d’un système de prévention. Prévention, entendue dans un sens très large tel qu’il vient d’être discuté. Dans sa mise en pratique, cette politique a rendu obligatoire un certain nombre d’examens médicaux et demande à ce que la population se soumette à un certain nombre de règles sous peine de sanction, mais la part la plus 217 importante de cette politique continue de reposer sur des mesures exclusivement incitatives. Revenons donc sommairement sur les obligations que comprend cette politique de santé publique et les sanctions que le refus de s’y soumettre peut entraîner. Jusque récemment, un certificat de santé prénuptial était demandé à tout futur marié. La non présentation de ce certificat pouvait entraîner l’impossibilité du mariage. En partie tombée en désuétude et le plus souvent réduit à une simple formalité, parfois sans réel examen médical et sans la présence physique des deux conjoints, cette obligation a été abolie le 20 décembre 2007115 . Pour la future maman, sept examens prénataux sont obligatoires : l’un au premier trimestre, puis chaque mois jusqu’à la fin de la grossesse. La déclaration de grossesse doit être faite avant la fin du 3ème mois. Elle ouvre les droits à un certain nombre d’allocations et prestations financées par la CAF et la CNAM116 . Ainsi, ne pas se soumettre aux examens prénataux et ne pas déclarer la grossesse, outre les risques médicaux que cela peut éventuellement faire courir à la futur mère et au futur enfant, trouve comme sanction la non reconnaissance d’un droit. L’incitation des mères pour participer à ces mesures de préventions réside dans le lien de dépendance établit entre souscritpion au suivi médical et accès aux allocations. Pour l’enfant, 20 examens médicaux sont obligatoires jusqu’à six ans dont : neuf la première année, trois la deuxième année, deux par an les quatre années suivantes. Selon le même principe que celui des examens prénataux, le versement des allocations familiales dépend de la présence de l’enfant à ces examens « obligatoires »… mais pas à tous. Seuls trois d’entre eux, effectués au huitième jour, neuvième mois et vingtquatrième mois donnent lieu à l’établissement de certificats médicaux transmis aux caisses d’allocations familiales. Ainsi, sur les vingt examens obligatoires prévus pas la loi, trois s’accompagnent de mesures incitatives (le versement des allocations), les dixsept autres restent « simplement » obligatoires, sans mesures particulières d’incitation ou de sanction en cas de non respect de l’obligation. Pour l’enfant, toujours, un 115 Dans un contexte de recherche de réduction du déficit de la sécurité sociale, le gouvernement Fillon a profité de l’application peu rigoureuse de cette mesure pour l’abolir (loi 2007-1787 du 20 décembre 2007 entrée en vigueur le 1er janvier 2008). 116 Les différentes allocations existantes, dont l’accès et le montant variaient en fonction de la situation déclarée, sont regroupées, depuis le 1er janvier 2004, dans le dispositif PAJE ( Prestation d’Accueil du Jeune Enfant). 218 programme vaccinal est prévu, dont une partie est obligatoire et l’autre facultative. De ces vaccins, en principe faits au cours des vingt examens de suivi de l’enfant, dépendent la possibilité et l’autorisation pour l’enfant d’accéder aux différentes institutions collectives de l’enfance, telles que les crèches, garderies, écoles, centres aérés, colonies de vacances et autres. Telle est la liste complète des obligations auxquelles doivent se soumettre la mère et l’enfant sous peine de se voir sanctionner des différentes manières que nous venons d’exposer. Comparée à l’ensemble des mesures comprises dans la PMI et aux multiples tâches qui occupent les journées des intervenants des consultations, cette liste paraît bien courte. Et mise en regard des composantes de la prévention telle que nous l’avons présentée au début de ce chapitre, celles directement attachées à ces obligations semblent, elles aussi extrêmement restreintes. La majeure partie de la prévention effectuée par la PMI nécessite donc de travailler en accord avec les familles. « on n’a pas le mandat de justice, donc on va téléphoner aux familles, quand elles sont pas venues au rendez-vous, on va leur téléphoner pour dire, vous savez, vous avez raté le rendez-vous, ça serait bien si vous veniez, on est obligé de travailler avec la famille, donc on est obligé de parler comme ça. On ne peut pas dire “vous êtes obligé de venir” ça ne peut être que des liens qu’on peut tisser. » (Dr Dalle, Pédiatre) C’est lorsque les familles se révèlent réticentes à certaines mesures que les difficultés les plus importantes se font jour. En l’absence d’obligations, nombre de familles refusent de recevoir à domicile les intervenants des services ou de suivre régulièrement les consultations comme cela leur est demandé. Les intervenants sont alors partiellement démunis pour suivre, malgré tout, le développement de l’enfant. Pour autant, dans de telles situations, ils disposent de quelques moyens pour obtenir l’assentiment des familles ou tout du moins pour maintenir un suivi de la situation de l’enfant.

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