Le comportement alimentaire des ruminants

Le comportement alimentaire des ruminants

En éthologie, le comportement alimentaire est décrit comme étant «l’ensemble des actions de l’animal ayant pour finalité la recherche, le choix des aliments, et leur ingestion en quantité adaptée à la satisfaction des besoins en énergie et en nutriments de l’organisme» (Jean-Blain, 2002). Les ruminants, comme les autres espèces d’élevage, tentent ainsi d’ajuster leur ingestion d’aliment à leurs besoins nutritionnels (Toates, 1986). Bien que de nombreuses espèces se nourrissent de fourrage, peu sont aussi bien adaptées que les ruminants avec leur comportement alimentaire particulier qui combine ingestion et rumination (qui est nécessaire pour casser les particules alimentaires et pour réguler le pH du rumen). Ces deux activités occupent un rôle central dans la vie du ruminant.  Il est important d’étudier le comportement alimentaire d’un côté pour élargir les connaissances, mieux comprendre et clarifier les relations fonctionnelles entre les performances et le comportement. D’un autre côté, nous avons aussi besoin de mieux appréhender la variabilité individuelle du comportement alimentaire qui peut impacter de façon remarquable la production animale. Dans ce manuscrit, j’ai fait le choix de me focaliser sur la composante « ingestion » du comportement alimentaire. Les bases de la rumination seront tout de même abordées. 

Développement du comportement alimentaire

Dans la plupart des systèmes de production laitière caprine, les jeunes sont séparés de leur mère dès la naissance. Ainsi, depuis de nombreuses années, l’aliment d’allaitement est préféré au lait de chèvre. En effet, pour faire face à des problèmes sanitaires de transmission de pathogènes par le lait maternel, et pour permettre à l’éleveur de vendre la totalité du lait produit, l’utilisation d’un aliment d’allaitement a été introduite dans les élevages (Lu et Potchoiba, 1988). L’utilisation de distributeurs automatiques de lait (DAL, aussi appelés louves) permet aux jeunes de se nourrir ad libitum (c’est-à-dire à volonté), à toute heure du jour et de la nuit. Néanmoins, la quantité et la fréquence de distribution du lait ou de l’aliment d’allaitement diffèrent suivant les exploitations agricoles, de même que la présence ou l’absence de congénères qui va influencer les possibilités d’apprentissage social (Vasseur et al., 2010 ; Hötzel et al., 2014). Ces facteurs peuvent ensuite agir sur le développement du comportement alimentaire (Miller-Cushon et DeVries, 2015). Plus de détails sur le fonctionnement des distributeurs automatiques de lait sont donnés dans la partie 1.2.1 de ce chapitre. La phase lactée chez le ruminant est particulière car elle correspond à une étape intermédiaire entre les stades de pré-ruminant et de ruminant. En effet, les ruminants sont des animaux polygastriques, c’est-à-dire que leur estomac est composé de plusieurs compartiments : le rumen (ou panse), le réseau (ou réticulum), le feuillet (ou omasum) et enfin la caillette (ou abomasum, aussi appelé estomac vrai). Leur fonctionnement à l’âge adulte est expliqué plus loin. Chapitre 1. Introduction générale 13 Lors de la phase lactée, certains de ces compartiments ne sont pas encore fonctionnels. En effet, chez le jeune pré-ruminant, le rumen est anatomiquement et physiologiquement non mature (Tamate et al., 1962). Le lait ingéré court-circuite le réticulo-rumen et passe ainsi directement de l’œsophage à l’abomasum via la gouttière œsophagienne. Si le lait passait directement dans le rumen, des troubles intestinaux apparaîtraient (Morand-Fehr et Sauvant, 1991). Le système digestif se développe avec l’âge : à 2 mois le rumen du veau par exemple représente 50% du volume digestif contre 10% pour la caillette, tandis qu’au-delà de 4 mois, le rumen représente 80% du volume digestif, comme chez l’adulte, contre 8 % pour la caillette (Stobo et al., 1966). Le jeune ruminant se nourrit donc d’abord de lait, puis commence rapidement à ingérer des aliments solides, à partir de l’âge de deux semaines chez les veaux et les agneaux (Forbes, 1971). Afin de favoriser le développement de la flore ruminale, de l’aliment concentré est rapidement introduit dans le régime des chevreaux élevés en bâtiments (Goetsch et al., 2001). Le sevrage, c’est-à-dire le passage d’une alimentation exclusivement liquide à une alimentation majoritairement solide, est une étape critique dans la période de l’élevage du jeune, car de nombreux bouleversements physiologiques, métaboliques et comportementaux entrent en jeu. À noter qu’il existe deux définitions du sevrage : le sevrage mère-jeune, où comme dans les élevages caprins les chevreaux sont séparés de leur mère très tôt après la naissance, et le sevrage alimentaire. Dans ce manuscrit, nous ne parlerons que de ce dernier. Dans des conditions naturelles, le sevrage est lent et la transition à une alimentation solide est longue (Forbes, 1971). Dans des conditions d’élevage, le moment du sevrage peut être choisi soit en fonction du poids, soit en fonction de l’âge (Lu et Potchoiba, 1988). Les chevrettes par exemple sont traditionnellement sevrées entre 15 et 20 kg et à un âge compris entre 60 et 75 jours (IDELE, 2014). Les modalités du sevrage restent très variables selon les espèces.

Expression du comportement alimentaire

Le comportement alimentaire s’exprime habituellement lors de trois étapes chez l’animal : la recherche, le choix, et l’ingestion des aliments. La rumination est une quatrième étape présente chez les animaux polygastriques. Les individus ont donc à prendre de nombreuses décisions durant le processus d’alimentation concernant : où manger, quoi manger, pendant combien de temps, comment explorer les potentielles sources alimentaires, trouver les bons aliments à ingérer etc. (Toates, 1986 ; Broom et Fraser, 2015). Dans cette partie, nous allons nous intéresser à quelques composantes de chacune des quatre étapes caractérisant le comportement alimentaire des ruminants, d’abord dans le jeune âge puis à l’âge adulte, avec des exemples non exhaustifs pour des animaux au pâturage ou en bâtiments. La comparaison du comportement alimentaire entre le pâturage et à l’auge peut s’avérer délicate. En effet, dans la majorité des études sur le comportement à l’auge, les auteurs utilisent des systèmes d’alimentation intensifs, souvent avec de forts À la naissance, dans la plupart des systèmes de production laitière caprine, les jeunes sont séparés de leur mère et allaités artificiellement. La phase lactée chez le ruminant est particulière car elle correspond à une étape intermédiaire entre les stades de pré-ruminant et de ruminant. Cette transition, qui s’accompagne de l’activation fonctionnelle de tous les compartiments de l’estomac (on dit que les ruminants sont polygastriques), a lieu à mesure que l’ingestion d’aliments solides se met en place. En même temps que cette ingestion se développe, une distension du rumen apparaît. Le sevrage, qui correspond au passage à une alimentation exclusivement solide, est une étape critique de la vie du ruminant. En plus de l’ingestion, le comportement alimentaire des ruminants est caractérisé par un phénomène de rumination, c’est-àdire de régurgitation et de remastication du bol alimentaire afin d’appliquer une nouvelle dégradation mécanique sur les aliments qui, une fois digérés, fourniront l’énergie nécessaire pour les besoins de production, de croissance et d’entretien des animaux.  pourcentages de concentré dans la ration, tandis qu’au pâturage il y a souvent une absence d’apport de concentré. De plus, le fourrage utilisé dans les études est bien souvent différent en termes de composition ou de qualité. Les études et leurs résultats sont donc dépendants de situations et de protocoles expérimentaux bien précis et ne peuvent pas toujours être généralisés.

Dans le jeune âge 

En présence de la mère (allaitement maternel)

Lorsqu’ils sont allaités par la mère, les jeunes ruminants présentent une augmentation de leur activité alimentaire à l’aube et au crépuscule (Odde et al., 1985). Les veaux réalisent généralement 4 à 10 périodes de tétée par jour avec une moyenne de 7 à 10 min par période (De Passillé, 2001). La fréquence de tétée et le temps total passé à téter va diminuer au fur et à mesure que la lactation progresse, en lien avec le déclin de la production de lait (Hinch, 1989). En présence de leur mère, les jeunes ruminants vont commencer à ingérer du fourrage tôt dans le jeune âge, vers 2 à 3 semaines. Leur ingestion, leur vitesse d’ingestion ainsi que le temps passé à brouter vont ensuite augmenter à peu près linéairement avec l’âge et le poids. Chez des veaux, Nicol et Sharefeldin (1975) ont montré que lors des premières semaines de vie les jeunes broutaient lentement sur de courtes périodes de temps (de 10 à 15 min), puis le temps passé à brouter augmentait d’environ 20 min à 10 jours jusqu’à 360 min à 100 jours, ce qui correspond à environ 70 % du temps passé à brouter à l’âge adulte. La quantité de fourrage ingérée par kg de poids vif va doubler chez le veau entre 3 et 8 mois et va tripler chez l’agneau entre 5 et 12 semaines. Les profils alimentaires des jeunes ruminants deviennent rapidement le miroir de ceux des adultes avec des pics d’activité similaires (Nicol et Sharefeldin, 1975).

En l’absence de la mère (allaitement artificiel)

Les systèmes d’élevage qui séparent les jeunes de leur mère peuvent être contraignants pour le comportement alimentaire des jeunes car ils sont alimentés artificiellement. Les pratiques varient considérablement entre les élevages en termes Chapitre 1. Introduction générale 17 d’approche pour délivrer le lait ou l’aliment d’allaitement (par exemple seau vs tétines, Hammell et al., 1988 ; Jasper et Weary, 2002), avec la présence ou non d’un groupe social (en groupe ou par paires vs individuel, Chua et al., 2002) ou encore pour le type d’aliment solide offert (par exemple du fourrage vs du concentré, Castells et al., 2012). Si l’on prend à titre d’exemple les systèmes où l’accès à l’aliment d’allaitement est ad libitum, le profil alimentaire des veaux sera proche de celui de ceux en allaitement sous la mère : avec une augmentation de l’activité alimentaire à l’aube et au crépuscule (Appleby, 2001 ; MillerCushon et al., 2013). Cependant, un pic lorsque l’aliment est distribué est également présent, plus précisément avec 74 % de l’ingestion totale journalière réalisée pendant les deux repas suivant les deux distributions (Appleby et al., 2001). La fréquence des tétées chez les veaux allaités artificiellement est aussi similaire à celle rencontrée en conditions naturelles avec 4 à 10 périodes de tétées par jour, pour une ingestion moyenne de 10 kg de lait par jour à l’âge de quatre semaines (Appleby, 2001 ; Miller-Cushon et al., 2013). Chez des agneaux âgés de 5 à 28 jours, David et al. (2014) ont montré que la fréquence des repas était d’environ 10 repas par jour, d’une durée moyenne de 4 min par repas et d’un temps moyen passé à téter par jour de 38 min. Il est à noter qu’une grande variabilité entre les individus est présente. De Passillé et al. (2016) ont rapporté une large échelle de variation pour l’ingestion journalière chez des veaux de race Holstein durant leurs deux à quatre premiers jours de vie lorsqu’ils sont nourris ad libitum allant de 2,4 à 12 litres ingérés par jour, avec une moyenne de 6,7 litres journaliers. David et al. (2014) ont également rapporté une forte variabilité pour les agneaux avec des ingestions journalières allant de 0,3 à 2,9 litres.

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