Propriétés électrophysiologiques
Le canal TREK-1 exprimé dans un système d’expression hétérologue produit un courant à rectification sortante (Fink et al., 1996). La rectification est due à un blocage du pore par un ion magnésium qui est levé lorsque la membrane est dépolarisée (Maingret et al., 2002). Le canal TREK-1 s’active de façon instantanée ce qui signifie qu’il est constitutivement ouvert et donc indépendant du voltage (Fink et al., 1996; Maingret et al., 2002). TREK-1 ne possède pas de domaine senseur de potentiel. TREK-1 est un canal de fuite dont l’état d’ouverture est régulé par des facteurs externes. La conductance unitaire de TREK-1 est de 48pS en conditions physiologiques, et de 101pS en conditions de K+symétrique (Patel et al., 1998). L’une des particularités du canal TREK-1 est son « flickering » important qui traduit une oscillation très rapide entre les états ouvert et fermé du canal (Fink et al., 1996).
Régulations et partenaires protéiques
Pharmacologie
Le canal TREK-1 n’est pas inhibé par les bloqueurs classiques des canaux potassiques : le TEA et la 4-AP (Fink et al., 1996; Patel et al., 1998). Il est en revanche modulé par un grand nombre d’agents pharmacologiques. TREK-1 est inhibé par la fluoxetine, un inhibiteur sélectif de la recapture de sérotonine (Heurteaux et al., 2006; Kennard et al., 2005) et par des anesthésiques locaux comme la lidocaïne et la bupivacaïne, (Nayak et al., 2009; Punke et al., 2003; Shin et al.,2014).
TREK-1 est activé par les anesthésiques volatils généraux à des doses cliniques comme le chloroforme, l’éther, l’halothane et l’isoflurane (Patel et al., 1999). Il est également activé par des anesthésiques gazeux comme l’oxyde d’azote, le xénon ou le cyclopropane (Gruss et al., 2004). La stimulation du canal par les anesthésiques est observée en configuration de patch-clamp en patch excisé (enregistrement du canal unitaire), ce qui semble indiquer que ces agents ont un effet direct sur le canal. De plus, la région C-terminale du canal jouerait un rôle majeur dans ces régulations (Gruss et al., 2004; Patel et al., 1999). Le Riluzole, un agent neuroprotecteur utilisé pour protéger les motoneurones dans les cas de la sclérose latérale amyotrophique, peut activer TREK-1 de façon transitoire (Duprat et al., 2000). Récemment, on a pu identifier le premier composé inhibiteur spécifique des courants TREK-1, un peptide issu du clivage du récepteur à la neurotensine 3 (Mazella et al., 2010).
Mécanosensibilité
TREK-1 est un canal mécanosensible qui est directement activé par des étirements de la membrane (Berrier et al., 2013; Honoré et al., 2006; Maingret et al., 1999a; Patel et al., 1998) (Figure 14). Des enregistrements de l’activité du canal en patch clamp en configuration cellule entière et en patch excisé ont montré qu’une dépression appliquée sur la membrane provoque l’ouverture progressive et réversible du canal ce qui suggère un mécanisme d’activation directe du canal par la déformation de la membrane plasmique (Patel et al., 1998) (Figure 14B). Le canal TREK-1 est préférentiellement activé par une déformation convexe de la membrane, observable par exemple lors d’un gonflement cellulaire en cas d’hypo-osmolarité extracellulaire, alors qu’une déformation concave (en cas d’hyper-osmolarité extracellulaire) l’inhibe (Berrier et al., 2013). Les crénateurs, tels que le trinitrophénol, qui s’insèrent dans le feuillet externe de la membrane, provoque une déformation convexe de la membrane et active les canaux TREK-1. Inversement, le courant TREK-1 est fortement réduit par la chlorpromazine et la tétracaïne qui provoquent une déformation concave de la membrane en s’insérant dans le feuillet interne (Patel et al., 1998).
L’extrémité du quatrième TM et le segment initial du domaine C-terminal du canal qui sont en interaction avec les phospholipides membranaires sont des acteurs essentiels de la sensibilité mécanique de TREK-1 (Chemin et al., 2005a). Néanmoins les expériences de substitution du domaine C-terminal de TREK-1 sur TASK3, un canal non mécano-sensible, ne confére pas cette sensibilité mécanique au canal chimérique (Patel et al., 1998). La sensibilité mécanique de TREK-1 ne dépendrait pas d’une protéine d’ancrage de la membrane plasmique mais directement de l’interaction avec les lipides membranaires (Brohawn et al., 2014).
Thermosensibilité
Une augmentation progressive de la température induit une augmentation graduelle et réversible des courants TREK-1 (Maingret et al., 2000a) (Figure 15). Le courant augmente environ de 0,9 fois à chaque degré (Q10 = ~9) et la sensibilité maximale du canal à la température est observée entre 32°C et 37°C (Maingret et al., 2000a). Au-delà d’un maximum d’activation à 42°c, l’activité du canal diminue progressivement. Le domaine C-terminal de TREK-1 joue un rôle essentiel dans cette modalité (Bagriantsev et al., 2012; Maingret et al., 2000a). La délétion partielle de la région C-terminale de TREK-1, ou son remplacement par le domaine d’un autre canal K2P insensible à la température, abolit la thermosensibilité (Maingret et al., 2000a). Le changement de configuration du domaine C-terminal par la température pourrait être transmis, via le TM4 et le P1, à la porte de type C extracellulaire du canal (Bagriantsev et al., 2012). Le domaine C-terminal est donc un modulateur essentiel des sensibilités mécaniques et thermiques de TREK-1. Par contre, contrairement à la sensibilité mécanique, la sensibilité thermique de TREK1 nécessite l’intégrité cellulaire puisqu’elle est perdue en enregistrement de patch excisé sur canal unitaire (Maingret et al., 2000a). Il n’est donc pas certain que la thermo-sensibilité de TREK1 soit une propriété inhérente au canal mais elle pourrait nécessiter l’interaction avec un partenaire protéique.
Modulation par les lipides cellulaires
TREK-1 est activé de façon graduelle et réversible par les acides gras polyinsaturés comme l’acide arachidonique (AA) (Patel et al., 1998, 2001). On observe toujours cette activation en patch excisé et en présence d’inhibiteurs de lipoxygénase et de cyclooxygénase ce qui laisse supposer que cet effet est direct et indépendant du métabolisme de l’AA (Patel et al., 2001). Pour pouvoir activer TREK-1, les acides gras doivent avoir un haut degré d’insaturation, une longue chaîne et être une tête polaire chargée négativement (Patel et al., 1998). Le segment initial du domaine C-terminal du canal est essentiel à l’activation de TREK-1 par l’AA. Le mécanisme d’action pourrait être commun à celui de l’activation mécanique mais l’existence d’un site spécifique de liaison des acides gras, notamment au niveau des TM, ne peut pas être complètement écartée (Miller and Long, 2012; Patel et al., 1998, 2001). Cet effet des acides gras polyinsaturés sur TREK-1 a une relevance physiologique importante car il a été montré que TREK1 était impliqué dans la neuroprotection induite par ces acides gras (Heurteaux et al., 2004; Lauritzen et al., 2000).
Le canal TREK-1 est également activé par les lysophospholipides extracellulaires à longue chaîne hydrophobe et large tête polaire comme la lysophosphatidylcholine (LPC) (Maingret et al., 2000b). Ceux-ci n’ont pas d’effet direct sur TREK-1 car ils n’ont plus d’effet en patch excisé ou lorsqu’ils sont appliqués sur le demi-feuillet interne de la membrane.
Les phopholipides membranaires comme le PIP2 et la phosphatidylsérine sont également des activateurs de TREK-1 (Chemin et al., 2005a, 2007; Lopes et al., 2005). L’activité du canal serait régulée par une interaction entre un motif polybasique de son domaine C-terminal et PIP2 qui est très abondant dans le feuillet interne de la membrane plasmique (Chemin et al., 2005b; Sandoz et al., 2011). L’hydrolyse de PIP2 membranaire en diacylglycérol (DAG) par la PLC inhibe TREK-1 (Chemin et al., 2005a, 2007; Lopes et al., 2005). Il a été proposé que cette inhibition serait due à une baisse de la concentration de PIP2 (Chemin et al., 2003) et à la perte de liaison entre ledomaine C-terminal de TREK-1 et la membrane plasmique (Sandoz et al., 2011).
Sensibilité au pH
Une diminution du pH intracellulaire convertit l’activité faible du canal TREK-1 en de forts courants de fuite qui sont insensibles à l’AA, à l’étirement membranaire et à la phosphorylation (Honoré et al., 2002). Il a été montré que c’est la protonation d’un résidu d’acide glutamique (E306) situé dans le domaine C-terminal du canal qui est responsable de leur activation par le pH acide (Honoré et al., 2002). Ce résidu se situe dans la région contenant cinq résidus basiques qui interagissent avec la membrane plasmique (cités précédemment). TREK-1 est également sensible aux variations du pH extracellulaire (Cohen et al., 2008; 1 alors qu’une alcalinisation le potentialise. Cette sensibilité est portée par une histidine (H126) située dans la boucle extracellulaire TM1P1.
Modulation par les neurotransmetteurs
La stimulation de récepteurs couplés aux protéines Gs et Gq trimériques comme les récepteurs sérotoninergiques 5HT, les récepteurs à l’orexine et à l’angiotensine II et les récepteurs au glutamate mGluR1 et mGluR5 inhibe TREK-1 (Chemin et al., 2003; Enyeart et al., 2005; Murbartián et al., 2005). À l’inverse, la stimulation de récepteurs couplés à la protéine Gi comme mGluR2 et mGluR4, qui diminue la concentration d’AMPc et l’activité de la PKA, active TREK-1 (Cain et al., 2008; Mathie, 2007). Gs et Gq inhibent indirectement TREK-1 via la phosphorylation de résidus sérine (S333 et S300) de leur domaine C-terminal par la PKA et la PKC (Chemin et al., 2003; Mathie, 2007; Murbartián et al., 2005). La phosphorylation de la sérine S333 par la PKA est nécessaire à la phosphorylation de la sérine S300 par la PKA ou la PKC (Murbartián et al., 2005) ce qui laisse supposer qu’il existe une interaction entre les deux sites de phosphorylation et un rôle prépondérant de la PKA pour la régulation du canal.
Il a récemment été montré que le canal TREK-1 peut interagir directement avec les protéines Gβϒ,mécanisme qui serait impliqué dans la libération de glutamate par les astrocytes (Woo et al., 2012).
Rôles physiologiques : étude des souris KO
Les souris invalidées pour le gène TREK-1 (TREK-1 -/- ) ont été essentielles pour l’étude du rôle physiologique du canal. L’invalidation du gène a été réalisée par recombinaison homologue et a généré des souris en bonne santé, fertiles et sans anormalités morphologiques visibles (Heurteaux et al., 2004). L’analyse approfondie de leurs phénotypes a permis de révéler l’implication de TREK-1 dans diverses fonctions physiologiques telles que l’anesthésie générale, la neuroprotection, la dépression et la perception douloureuse, la vasodilatation (Gardener et al., 2004; Goonetilleke and Quayle, 2012), la régulation du rythme cardiaque (Kelly et al., 2006; Li et al., 2006; Terrenoire et al., 2001), ainsi que la contraction du muscle utérin (Buxton et al., 2010; Monaghan et al., 2011).
TREK-1 et anesthésie générale
L’activation de TREK-1 par les anesthésiques généraux volatils induit une hyperpolarisation des cellules (Patel et al., 1999). Les souris TREK-1 -/- sont significativement moins sensibles que les souris sauvages à plusieurs anesthésiques volatils, tels que l’halothane et le chloroforme (Franks and Honoré, 2004; Heurteaux et al., 2004; Patel et al., 1999). En effet, les souris KO sont insensibles à une concentration d’halothane qui est suffisante à anesthésier 100% de souris sauvage (Heurteaux et al., 2004). Elles restent néanmoins sensibles aux anesthésiques mais à des doses plus importantes, ce qui est vraisemblablement du fait du peu de sélectivité des anesthésiques volatiles, et par exemple de la sensibilité d’autres canaux K2P aux anesthésiques comme les canaux TASK. Ces études démontrent que l’activation du canal TREK-1 contribue aux mécanismes cellulaires de l’anesthésie générale.