Les deux cadres conceptuels dans lesquels s’inscrivent les soins palliatifs

L’OFFRE DE SOINS PALLIATIFS EN FRANCE

L’objet de cette section est d’analyser l’offre de soins palliatifs existant en France aujourd’hui : comment qualifier et quantifier ce développement ? Après avoir présenté la façon dont le mouvement des soins palliatifs français a émergé (cf. &2.1.1.), nous avons cherché à étudier l’offre de soins offerte au niveau national (cf. &2.1.2.) et à connaître les niveaux de moyens, matériels et humains, mis à disposition des équipes hospitalières de soins palliatifs (cf. &2.1.3.).

L’émergence et le développement des soins palliatifs en France (1986-2006)

Le mouvement des soins palliatifs français est né d’une volonté à la fois professionnelle, sociale et politique d’améliorer les conditions de prise en charge des personnes en fin de vie. S’il est parti du terrain sous l’initiative de pionniers (&2.1.1.1.), il a, en effet, été relayé par une partie du corps social (&2.1.1.2.) et est devenu un thème politique majeur (&2.1.1.3.).

Une volonté professionnelle

Que l’on cite Cicely Saunders, Elisabeth Kübler-Ross ou Balfour Mount, on constate que le mouvement des soins palliatifs a été initié par des professionnels de la santé, c’est-à-dire par les personnes-mêmes chargées de délivrer les soins. Il en est de même en France, où les premières initiatives émanent des acteurs de terrain. Parmi eux : Maurice Abiven, Henri Delbecque, Michèle Salamagne, René Schaerer et Renée Sebag-Lanoë. Après avoir cherché à comprendre leurs motivations, nous nous sommes intéressés aux initiatives qui en ont découlé et à la façon dont le cadre déontologique médical et infirmier a évolué.

Des besoins singuliers

Dans le paragraphe précédent, nous avons cherché à présenter les besoins fondamentaux de la personne en fin de vie et mis en évidence l’étendue de ces besoins. S’ils sont nombreux, diversifiés et interdépendants, ces besoins sont aussi singuliers : à géométrie variable, ils se déclinent, en effet, en fonction des caractéristiques de chaque individu.

Les besoins par type de patient (maladie, classe d’âge, etc…)

La Circulaire du 26 Août 1986 (cf. 2.1.1.3.) précise que les modalités de mise en œuvre des soins palliatifs doivent tenir compte de la «diversité des situations» rencontrées (maladie, vieillesse, accident)» 59. Or, tous les malades dont le pronostic vital et en jeu n’ont pas les mêmes besoins.
Ainsi, par exemple :
Les personnes âgées en fin de vie présentent des spécificités à la fois cliniques60, psycho-relationnelles61 et socio-familiales62 [Morize, 2004].
Les patients atteints de pathologies neuro-dégénératives avec altérations cognitives (maladie d’Alzheimer, notamment) sont associés à trois traits caractéristiques : 1/ le caractère non létal de leur maladie63 ; 2/ la progressivité de leur fin de vie ; 3/ l’avancement de plus en plus important de leurs troubles cognitifs [Dewarin, 2004].
Les enfants en fin de vie constituent une population diversifiée (cancer, mucoviscidose, SIDA, mucopolysaccharidoses, myopathies, pathologies cérébrales majeures, maladies métaboliques) [Suc, 2004]. L’idée de leur mort présente un caractère «inacceptable» pour ces enfants, leurs parents, leurs frères et sœurs, comme pour les soignants qui les prennent en charge [Oppenheim, 2004].

Les besoins par type d’individus (spécificités socio-culturelles, caractéristiques propres)

Avant d’être des malades, les personnes en fin de vie sont des individus. Ils se distinguent par leur environnement socio-culturel [Le Grand-Sebille, 2004] et par un certain nombre de caractéristiques personnelles, toujours singulières : «chaque patient est un cas nouveau» [SFAP, 2003], ses besoins variant «en fonction de son âge, de son état physique, de son histoire, de son environnement affectif et social, de ses ressources psychologiques et spirituelles et de ses limites». Les prises en charge doivent donc être adaptées à chaque situation, certains soignants évoquant des «soins sur mesure» [Marchand, 2004].

La traduction des besoins et attentes des malades en actions de soins

Nous venons de voir que les besoins de la personne en fin de vie sont nombreux, diversifiés et singuliers. Ils dépassent le cadre strict de la clinique et de la technique (habituellement observé à l’hôpital) et impliquent souvent des réponses hyper-individualisées. Si la traduction de ces besoins en actions de soins repose sur huit grands principes (cf. &5.1.2.1.), qui gravitent autour de trois grandes dimensions (cf. &5.1.2.2.), nous verrons aussi que l’activité palliative laisse place, dans les faits, à une diversité de représentations et donc de pratiques (cf. &5.1.2.3.).

Les huit grands principes, qui fondent l’idéologie palliative

Les soins palliatifs reposent sur huit grands principes, énoncés dans le guide de recommandations professionnelles précédemment cité (cf. &5.1.1.2.) [ANAES, 2002]. Ces grands principes, contenus en partie dans la définition que la SFAP donne de ce type de soins (cf. Introduction du &1.2.), sont les suivants :
le respect du confort, du libre arbitre et de la dignité
Pour les professionnels des soins palliatifs, le confort du patient, son libre arbitre et sa dignité sont des éléments fondamentaux. De ce fait, les décisions qu’ils prennent (notamment de traitements) tiennent compte de trois éléments : l’intensité des symptômes dont souffre le malade, une évaluation de ses besoins et de ses préférences et une analyse bienfaits/méfaits64 des différentes options de soins. Dans ce cadre, où la mort est considérée comme un processus naturel, toute investigation ou traitement jugé déraisonnable est rejeté. Ce principe de respect de la dignité et des souhaits du patient est repris dans la définition que le Dictionnaire des Soins Infirmiers donne des soins d’accompagnement aux mourants : un «ensemble de soins qui permettent une prise en charge globale du malade en fonction de ses réactions et de son attitude face à la mort, dans le respect de sa dignité et de ses désirs» [Magnon, 1996].
la prise en compte de la souffrance globale du patient
La notion de «total pain» définie par Cicely Saunders (cf. &1.2.1.4.) recouvre l’idée que le patient en fin de vie est un «être vivant jusqu’au bout», qu’il connaît simultanément plusieurs types de souffrances (physique, psychologique, sociale, spirituelle) (cf. &1.1.1.1.), et que ces souffrances agissent en inter-dépendance. L’idéologie palliative érige cette idée en grand principe et se propose de prendre en charge l’ensemble de ces souffrances, par des techniques adaptées pouvant aller de la prescription médicamenteuse à une attitude empathique forte d’écoute et de réconfort. Mais, soulager les souffrances, ne signifie nullement les abréger et le mouvement condamne toute action qui chercherait à provoquer délibérément le décès du patient.
l’évaluation et le suivi de l’état psychique du patient
A proximité du décès, le malade connaît de façon quasi-systématique, mais à des degrés divers, une phase de crise existentielle, ou de «dépression» pour reprendre le terme utilisé par Kübler-Ross (cf. &1.2.1.4.). Abattu par une longue succession de rémissions et de rechutes, il perd confiance en l’avenir. Il est angoissé par son devenir et par celui de ses proches, et il devient particulièrement vulnérable. Pour les partisans des soins palliatifs, cette crise existentielle doit non seulement être reconnue, mais également prise en charge (écoute, soutien psychologique, satisfaction des besoins spirituels) de façon à aider le patient «à vivre malgré la proximité de la mort» [ANAES, 2002] et à lui permettre de «lâcher-prise»65 selon l’expression de M. de Hennezel [De Hennezel, 2002].
la qualité de l’accompagnement et de l’abord relationnel
Selon les «palliativistes», les patients et leurs proches sont d’autant plus sensibles aux qualités humaines de l’équipe soignante qu’ils traversent une période difficile. Ils cherchent donc explicitement à pratiquer un accompagnement de qualité, aussi bien c’est-à-dire d’atteindre un certain niveau d’apaisement lors de la phase ultime envers la personne malade66 que les membres de sa famille. Dans ce cadre, les aspects relationnels constituent une composante essentielle de prise en charge : ils permettent de faire savoir aux patients et à leurs proches que leur être sera respecté (dignité, confort), et qu’ils peuvent, s’ils le souhaitent, exprimer leurs peurs et leurs émotions. Cet abord relationnel particulier permettrait d’atténuer les mécanismes de défense des patients et de leurs proches [Ruszniewski, 2002] et de désamorcer les conflits susceptibles d’apparaître entre les acteurs de la prise en charge : patients, familles et soignants.
l’information et la communication avec le patient et ses proches
Nous avons vu qu’une critique souvent attribuée à l’hôpital réside dans son défaut d’approche relationnelle (cf. &1.1.1.3.). Pour les «palliativistes», l’information et donc, la communication occupent une place importante. Qu’elle soit destinée au patient ou à ses proches, il est recommandé qu’elle soit délivrée de façon progressive et adaptée. Notons ici que les échanges avec les familles ne consistent pas uniquement les informer de la situation de leur parent ; c’est aussi et surtout l’occasion d’évaluer leur propre souffrance et de les inciter à exprimer leurs émotions (sentiment d’ambivalence à l’égard du malade, fatigue, craintes), ces éléments étant susceptibles de faciliter le travail de deuil qu’ils auront à faire (cf. &1.1.2.).
la coordination et la continuité des soins
Eu égard à l’ampleur des besoins qu’elles cherchent à combler (cf. &1.1.), les équipes de soins palliatifs sont par essence interdisciplinaires, comme la SFAP le précise d’ailleurs dans les préambules de ses statuts (cf. Introduction du &1.2.). Dans un souci de coordination, il est recommandé, par exemple, qu’un projet de soins soit défini pour chaque malade, que le dossier-patient soit tenu par l’ensemble de l’équipe et que le dialogue soit favorisé entre les différents acteurs de la prise en charge. En cas d’urgence, il est souhaitable que des protocoles précis et des prescriptions anticipées de médicaments soient disponibles.
La notion de continuité des soins, quant à elle, inclut l’idée que les différentes phases traversées par les malades (curative, palliative et terminale) soient considérées comme un ensemble. Nous reprenons dans le tableau ci-dessous la définition de ces trois phases, telle qu’elle figure dans le deuxième Programme National de développement des soins palliatifs [Ministère Réf. 2, 2002].

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