Les lois de décentralisation

Les lois de décentralisation

Le ralentissement de la croissance urbaine entre 1975 et 1982, la crise économique puis la décentralisation vont entraîner une remise en cause de l’aménagement du territoire. La décentralisation fut placée au premier rang des préoccupations du gouvernement de Pierre Mauroy26. La réforme des années 1982-1986 va redéfinir les principes ainsi que les compétences des différents acteurs de l’aménagement du territoire.

L’aménagement du territoire en déroute

Au cours des années quatre-vingt, l’aménagement du territoire perd une grande partie de son contenu et de sa contenance. Car les moyens financiers s’amoindrissent, les objectifs deviennent plus disparates. Cette période est marquée par le passage d’une politique d’aménagement du territoire « volontaire » à un concept d’aménagement que nous pouvons qualifier de relativement « subit ». Cette situation résulte en partie d’une déstabilisation des politiques d’aménagement du territoire, par quatre éléments principaux. Le premier élément déstabilisant est lié à la crise économique. Elle engage une nécessaire réflexion sur la politique d’aménagement du territoire. Dès 1975, l’Etat sera obligé de définir de nouvelles orientations et de préciser qu’en matière d’aménagement du territoire, son action serait centrée sur une « politique économique de développement global du pays »28. La spécialisation de l’aménagement du territoire sur une préoccupation exclusive à l’économie va constituer un facteur déstabilisant de cette politique. Cette crise et ces premières réorientations, modifient l’approche des politiques d’aménagement du territoire au profit d’une politique de l’emploi. Le second relève d’un ordre idéologique, remettant en cause le rôle de l’Etat en matière d’aménagement du territoire. Or, cette politique a toujours été conduite et contrôlé par l’Etat. La situation économique et l’évolution des modes de vie ne peuvent pas être sans conséquences sur la politique d’aménagement. Son concept fondateur qui était la solidarité laisse place à celui de la compétition, et le volontarisme qui a longtemps marqué la politique d’aménagement du territoire, pendant cette période s’efface au profit d’un « laisser-faire », qui favorise les zones de croissance. Le troisième élément se réfère aux lois de décentralisation et au transfert de compétences. Les lois de décentralisation, au regard de l’aménagement du territoire, avaient pour priorité les régions, nouvelles collectivités territoriales. Elles vont avoir la compétence de promouvoir l’aménagement de leur territoire, les autres collectivités conservant leurs champs d’intervention. L’Etat est toujours le garant de la politique économique et sociale. Les départements et les communes, au même titre que l’Etat et les régions, ont compétences en matière d’aménagement du territoire et doivent concourir au développement économique ainsi qu’à la protection de l’environnement. Cette situation va multiplier les chevauchements de compétences, engendrant un brouillage des limites de chacun. Le quatrième élément concerne l’aménagement du territoire au niveau européen. Auparavant, cette politique relevait d’une vision étatique et verticale. A partir des années quatre-vingt, elle va laisser place à une vision horizontale incluant l’échelle locale mais surtout une échelle européenne. La dérive en matière de politique d’aménagement du territoire résulte de diverses causes. Ses actions ne sont plus que ponctuelles. La DATAR était l’instrument principal de l’aménagement du territoire, mais elle s’est engluée dans des tâches de gestion29. A la fin de cette période, l’image de l’aménagement du territoire correspond à un aménagement partagé entre de multiples acteurs, articulant avec difficulté les politiques locales et les objectifs européens. I. 2- 1- b- Transfert de compétences. En France, la politique de décentralisation n’a été engagée qu’à partir de 1982, elle ne se limite plus à un simple transfert d’activités mais s’accompagne également d’un transfert de pouvoir. La loi Deferre dite de « décentralisation », créa la notion de collectivités territoriales, en les dotant de pouvoirs étendus : la commune, le département et la région. Par exemple, les communes sont désormais compétentes pour délivrer les permis de construire et gérer les écoles élémentaires31. La loi « droits et libertés » va dessiner le paysage dans lequel la décentralisation va se mettre en place. Certains blocs de compétences relevant de l’Etat furent transférés aux différents échelons territoriaux. Cette loi Deferre avait pour volonté d’instaurer davantage de démocratie. Pour cela, elle prévoyait une répartition des compétences politiques plus équitables entre le « centre » et les « périphéries », en attribuant de nouvelles missions aux collectivités territoriales. La loi du 2 mars 1982 a réduit les prérogatives du préfet, mais néanmoins l’institution préfectorale reste un pilier essentiel de l’administration déconcentrée de l’Etat. Le préfet de région va avoir compétence pour tout ce qui concerne « le développement économique et social et l’aménagement du territoire » ; il représente l’Etat dans la région. Pour compenser la diminution de ses pouvoirs en qualité d’exécutif régional, les décrets du 10 mai 1982 ont tenté de conforter, sur plusieurs points, son autorité. Ses fonctions sont calquées sur celles de son homologue du département, introduisant un parallèle entre leurs missions respectives. Il est délégué au gouvernement et représentant direct du Premier ministre et de chacun des ministres dans sa circonscription, ce qui confirme sa vocation interministérielle. Enfin, il bénéficie des mesures de déconcentration prises comme contrepoids indispensable à la décentralisation, et pour lesquelles a été créé un Comité interministériel de l’administration territoriale. Le législateur a prévu qu’aucune collectivité n’aurait de pouvoir sur le niveau géographique inférieur, dans un souci d’éviter les conflits entre les différents échelons des collectivités territoriales. C’est-à-dire que la région n’a pas autorité sur le département, qui lui-même n’en dispose pas sur la commune ou son regroupement. Il fut créé des syndicats intercommunaux d’aménagement et de réalisation. Les agences d’urbanisme intervenaient auprès de ces structures pour élaborer des études sur le foncier, le logement, les transports, etc. Cette pratique a été amorcée notamment lors de la mise en place des Plans d’Occupation des Sols. Les questions d’aménagement urbain et de développement local vont être prises en charges de façon radicalement différente. Cette nouvelle manière d’entrevoir ces questions sera impulsée par la décentralisation. Puisque ces compétences sont désormais sous l’autorité des collectivités locales. D’autres lois vont être promulguées, pour faire suite à cette volonté. Tout d’abord, la loi du 7 janvier 198332 qui va renforcer le rôle du maire en ce qui concerne la protection des espaces naturels, la gestion de l’espace, la mise en valeur du patrimoine communal. Les lois montagne33 de 1985 et littorale34 de 1986 vont contribuer à relancer l’aménagement du territoire. Cet arsenal législatif a été complété par des contrats et des mesures ponctuelles. Enfin, en 1987, il a été créé des pôles européens de développement, dans le but d’encourager le développement des régions frontalières. Cette période est marquée par un véritable bouleversement des pratiques de l’aménagement du territoire. Cette situation résulte de la mise en œuvre d’une politique décentralisée. La présentation, certes succincte, de cette législation a eu une incidence directe sur les agences d’urbanisme ; elle a modifié la place et les compétences des acteurs de l’aménagement du territoire, et va engendrer de nouveaux interlocuteurs pour les agences d’urbanisme. Cette nouvelle réalité va conduire ces structures à se remettre en cause, afin de s’adapter aux demandes des nouveaux acteurs de l’aménagement.

Bilan de la décentralisation

 Les lois de décentralisation marquent cette période des années quatre-vingt, avec une remise en cause des objectifs en matière d’aménagement du territoire. A l’époque, la réforme engagée faisait l’objet de vives controverses. Ce climat d’incertitude a modifié les pratiques. Le bilan, sur cette période mettra en avant ces mutations et les incidences sur les agences d’urbanisme. 

La contractualisation

Les lois de décentralisation ont donné aux communes l’entière responsabilité des décisions en matière d’urbanisme réglementaire. L’Etat n’a conservé qu’un simple contrôle de légalité. La décentralisation a engendré des effets positifs et négatifs. Tout d’abord, ces lois peuvent être considérées, sur certains points, comme une véritable réussite. Elles ont apporté une forme nouvelle de démocratie, et une souplesse dans les procédures. Cette démarche a dynamisé les territoires et les collectivités locales ont su, dans l’ensemble, parfaitement gérer les compétences transférées par l’Etat. Par contre, à l’inverse de la plupart des autres pays européens qui ont engagé ce processus, la décentralisation française n’a pas modifié le cadre général de l’organisation territoriale, et n’a pas remis en cause les structures locales concernées par ce processus. Les autres Etats ont d’abord réformé les structures avant de leur attribuer de nouvelles compétences. Pourtant, ce point était au cœur des revendications, tout en étant à la fois impulsées et dénoncées. Cette réforme est limitée juridiquement par l’absence d’une révision constitutionnelle et du non vote de lois organiques. Mais, elle a été seulement réalisée au niveau des lois ordinaires. D’origine constitutionnelle35, les limites de la décentralisation vont réellement apparaître à la fin des années 1990. En fait, le concept de « libre administration » émane d’une forte tradition constitutionnelle et administrative française, et va en partie bloquer la possibilité d’évolution stratégique du système territorial français. L’évolution des pratiques se traduit par une déplanification ; les procédures de révision et de modification des Plans d’Occupation des Sols ont été simplifiées. Désormais, le remaniement des POS pour des projets ponctuels est fréquent. Par ailleurs, les schémas directeurs d’aménagement et d’urbanisme ont perdu de leur ampleur. Cette situation est la conséquence de la baisse de la croissance économique, qui ne supprime pas les projets à long terme, mais les rend moins perceptible. Une autre évolution, plus néfaste, apparaît avec le développement du contentieux de l’urbanisme. Dans ce constat, nous pouvons observer un relatif échec des tentatives de développement de l’urbanisme participatif36. Les associations, pour se faire entendre, ont multiplié les recours devant les tribunaux administratifs. D’autre part, la décentralisation a été fortement marquée par une politique contractuelle. Par exemple, les Contrats de Plan Etat Région (CPER) ont été initiés par la loi du 29 juillet 198237 portant sur la réforme de la planification et indirectement par la loi du 7 janvier 1983, concernant les transferts de compétences aux collectivités territoriales. Ces CPER étaient tenus d’intégrer les orientations définies par l’Etat dans le cadre du CIAT. Cette prérogative résultait de l’abandon de la planification nationale. Ces contrats sont alors devenus de véritables outils d’aménagement et de développement du territoire. L’intérêt de ces instruments a été d’offrir la possibilité de réaliser des projets coûteux et étalés dans le temps. Avec un financement qui devait être réparti de manière égale entre l’Etat et les collectivités territoriales régionales. Les collectivités locales, une fois leur projet défini, étaient quasi certaines d’obtenir les subventions de l’Etat. Les subventions étatiques accordées aux collectivités locales et les aides consentis pour l’aménagement du territoire, vont se trouver désormais contractualisées. Puis, les Chartes Intercommunales de Développement et d’Aménagement (CIDA) vont apparaître. Les CIDA n’avaient pas les mêmes objectifs juridiques, économiques et politiques que les CPER. Elles traduisaient l’essor des politiques contractuelles, favorisant l’association des personnes publiques et privées autour d’un projet de développement. Les CIDA ont été créées par la loi du 7 janvier 1983, dans le but de remplacer les plans d’aménagement ruraux initiés par la LOF du 30 décembre 1967. Michel Prieur définissait les CIDA comme : « des documents permettant de mobiliser les élus et les forces socio-économiques pour assurer en commun le développement local et situer les actions d’organisation de l’espace en liaison avec les perspectives de développement économique »38. Les CIDA s’appliquaient principalement en milieu rural, dans le but de permettre aux communes de taille modeste d’élaborer des opérations touristiques, de remembrement des terres ou de gestion des équipements publics. Elles constituent des outils souples de planification et de mise en œuvre des politiques locales. De plus, elles traduisent la volonté de l’Etat à inciter les acteurs locaux à s’inscrire dans une démarche de projet. Enfin un autre type de politique contractuelle, impliquait directement les agences d’urbanisme, « les contrats d’objectifs » qui date de 1988. Ces contrats étaient composés d’un programme d’études précis, de la liste des prestations attendues et de leur montant, traduisant de relations Etat (DDE) / agence. Ces contrats passés entre l’Etat et les conseils d’administration des agences d’urbanisme modifiaient leur rapport. L’Etat disposait d’un partenaire pour élaborer les documents d’urbanisme. Désormais, cette compétence en matière d’aménagement du territoire n’incombe plus uniquement à l’Etat, les collectivités locales deviennent à part entière partenaire de l’agence dans l’élaboration de ces documents réglementaires. Les agences ont été conduites à s’adapter au nouveau contexte marqué par l’émergence des politiques contractuelles et l’amoindrissement des politiques de planification. De plus elles ont été sans aucun doute des organismes précieux pour aider les collectivités territoriales à gérer un transfert brutal des nouvelles compétences qui leur ont été attribuées. 

De nouvelles règles du jeu

Avec l’arrivée des lois de décentralisation, les règles du jeu ont été bouleversées. L’urbanisme n’est plus de la compétence exclusive de l’Etat. Par conséquent, ce dernier revoit sa position en matière de financement des agences d’urbanisme. Auparavant, les agences étaient financées à part égale entre l’Etat et les collectivités locales. A partir des années quatre vingt, la subvention allouée par l’Etat va être revue à la baisse, et ne représentera plus que 15%. D’autre part, l’administration des finances encourage le ministère à formaliser les contreparties de son aide par la signature conjointe entre le président de l’agence d’urbanisme et le préfet d’un contrat d’objectif. Cette démarche va engendrer une modification de la position de l’Etat face aux agences. L’Etat n’est plus le partenaire privilégié des agences. Préalablement, l’Etat décidait seul de créer une agence d’urbanisme et disposait de ces structures comme d’un outil partenarial dans la mise en place des documents de planification. Avec les lois de décentralisation, l’Etat ne dispose plus de la compétence exclusive en matière d’urbanisme, cette compétence va être transférée en partie aux collectivités locales. L’élargissement de ce partenariat va positionner les communes comme nouveau partenaire, cela va se traduire concrètement par une diminution progressive des crédits d’études d’urbanisme allouées aux Directions Départementales de l’Equipement, et une participation financière plus importante pour les collectivités locales. Cette diminution de l’implication financière de l’Etat dans ces structures ne signifie pas son désintéressement, il modifie son intervention qui consiste à définir les grandes orientations d’aménagement. De plus, la création des agences d’urbanisme va dorénavant résulter d’une volonté conjointe entre les collectivités locales et l’Etat. Les lois de décentralisation n’ont pas donné lieu à une inscription des agences au sein du code de l’urbanisme. Mais, celles-ci ont vu leur rôle confirmé par l’Etat en 1988, à l’occasion de la circulaire dites des « contrats d’objectifs ». Le contrat d’objectif s’ajoutait au programme de travail annuel des agences, programme basé sur les attentes ou les commandes des collectivités locales nourricières. Cela a eu pour conséquence d’entraîner un découpage du programme d’activités. A l’origine, les agences avaient pour compétences exclusives l’aide à la maîtrise d’ouvrage et de planification en matière urbanisme. Mais le transfert aux collectivités territoriales en 1983 des prérogatives de l’urbanisme, va conduire les agences à élargir leurs champs de réflexion et d’activités, à l’environnement notamment. Avec ce transfert, les agences d’urbanisme ont été des outils précieux dans sa gestion, les collectivités locales n’y étant pas préparées ni politiquement ni techniquement. Il est important de préciser qu’à cette époque, il n’existait pas de cadre d’emploi dans la fonction publique territoriale ; les agences d’urbanisme ont permis la mise en place du transfert de compétences en matière d’urbanisme. L’instabilité financière des agences engendrée par le retrait brutal et partiel de l’Etat a été la cause de certaines dérives. Pour pallier à cette instabilité, les agences durent multiplier les contrats. Cela a eu pour conséquence de transformer certaines agences en de simple bureau d’études techniques, les éloignant de leur fondement originel. Pour conclure sur cette période des années quatre-vingt, l’aménagement du territoire ralentit et prend une nouvelle orientation. Les lois de décentralisation eurent des conséquences importantes sur les politiques d’aménagement du territoire, favorisant le développement d’une politique contractuelle. Face à ces mutations, les agences d’urbanisme semblent avoir été des partenaires importants, et elles ont du s’adapter à de nouvelles exigences. Nous pouvons supposer que l’enracinement local des agences d’urbanisme se met en place pendant cette période. 

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