Les observatoires d’hydrologie urbaine OTHU

Les observatoires d’hydrologie urbaine OTHU

L’observatoire est une forme 

Situer « l’Observatoire d’Hydrologie Urbaine » parmi les observatoires

 Au croisement de la pratique scientifique et de l’action publique, il existe une grande diversité d’observatoires, multiformes et multi-objectifs. Cette importante variabilité invalide la possibilité d’une définition générique de l’observatoire. Ainsi, il est impossible d’importer une définition forgée par d’autres chercheurs sur des objets peu comparables, bien que labellisés eux aussi « observatoires ». A titre d’exemple, deux chercheurs se sont livrés à une comparaison des observatoires développés par les Conseils Généraux dans le domaine de l’eau. Nous nous sommes intéressées à leurs travaux dans la mesure où c’est le type de structures qui nous semblait spontanément le plus proche de nos propres objets d’études, donc potentiellement riches d’enseignements. Les auteurs commencent par souligner la diversité inhérente qui accompagne le développement exponentiel des observatoires : « Derrière ce terme générique d’observatoire se cache en fait une diversité de démarches, d’objectifs, de moyens et d’acteurs impliqués. Une recherche sur Internet permet d’en recenser immédiatement une quantité phénoménale. Au-delà du phénomène de mode et du louable souci gestionnaire de centraliser et de valoriser des informations produites en quantités croissantes par de multiples producteurs, cette prolifération peut également être lue comme un symptôme, une manifestation de ce qu’U. Beck (2001) appelle la « modernité réflexive » : l’action est étroitement articulée à des connaissances constamment révisées. » (Grandgirard et al., 2006). Les chercheurs revisitent une grille d’analyse forgée par L. Bossuet (2003) pour les « observatoires opérationnels de l’environnement » et montrent que les observatoires varient en fonction des échelles d’intervention (le cadre administratif du territoire d’intervention, l’échelle du phénomène qui pose problème…), du degré de débat (la production de données peut être relativement confidentielle, ou au contraire soumise à la critique et à la controverse), des modes de partenariats (les référentiels communs sont plus ou moins co-construits) et de l’impact des résultats sur l’action publique (la façon dont les données servent au processus décisionnel). La diversité des observatoires résulte de l’étendue des combinaisons possibles entre ces quatre éléments. Les auteurs de l’article se sont « restreints aux observatoires départementaux de l’eau, ou à la partie « eau » des observatoires départementaux de l’environnement ou du développement durable. » (Grandgirard et al., 2006). Même en segmentant ainsi la réalité, d’importantes différences apparaissent à l’intérieur de cette catégorie : « A côté des observatoires très spécialisés, tel celui de la Somme sur le prix de l’eau et la gestion des services eau et assainissement, ou celui de l’hydrologie urbaine du Conseil Général de la Seine-Saint-Denis (CG 93), certains observatoires départementaux couvrent une thématique très large : c’est par exemple le cas de l’Observatoire de l’environnement du Conseil Général du Finistère (CG 29) (eau, déchets, énergie, déplacements, patrimoine et paysages naturels).(…) Les types de données mis directement en ligne sont eux aussi très variés d’un Observatoire à l’autre. On trouve aussi bien des synthèses annuelles très générales et peu détaillées, que l’ensemble des données brutes en différents points de mesure, par exemple pour la qualité des eaux superficielles. » Les objectifs affichés de ces observatoires changent également d’une entité à l’autre. Les chercheurs ont pu en dégager quatre : la gestion des données (qui servent à alimenter des bases et fournir des synthèses qui suivent les évolutions), l’information (à destination du grand public ou d’un public ciblé), l’aide à la décision ou l’évaluation (travail autour des indicateurs), le « forum d’échanges et d’action » (l’observatoire est alors un lieu support de débat, il propose des groupes de travail, etc.). Ils désignent cependant un point commun structurant, qui concernent l’ensemble des objets analysés : « les dix Observatoires recensés poursuivent un objectif d’information, majoritairement vers le grand public et les élus, mais aussi vers les professionnels de l’eau. » Cette remarque différencie radicalement ces « observatoires de l’eau » des « observatoires en hydrologie urbaine » que nous nous sommes donnée pour objet, qui ont pour caractéristique d’être l’outil d’une communauté scientifique et technique qui maintient à distance (jusqu’à aujourd’hui) les élus et le grand public. Cette différence est emblématique des limites soulevées plus haut, c’est à dire de l’impossibilité d’importer, en guise de cadre théorique, les travaux déjà réalisés sur d’autres types d’observatoires. La diversité des situations comme la spécificité des objets nous poussent à procéder empiriquement pour construire notre propre cadre de référence de « l’observatoire d’hydrologie urbaine » tel qu’il se présente à Lyon, Nantes et en région parisienne. Contrairement à l’ensemble des observatoires décrits ici, ce type d’observatoire est le seul à faire de la recherche expérimentale. En outre, nous le verrons, le public ciblé est très différent : ces structures ne s’adressent pas aux élus et aux usagers mais bien à un groupe d’initiés familiers de l’expertise scientifique. 

De la variété des expériences à la définition d’un archétype

 Les récits présentés ici, qui entreprennent de reconstituer la trajectoire de chaque observatoire, font apparaître des histoires singulières. Chacun des territoires étudiés a exprimé, à un moment ou un autre de son histoire, le besoin de « labelliser » une pratique de collaboration « observatoire ». Ce qui peut être vu comme une stratégie d’affichage, dont nous montrerons plus loin les ressorts, cache derrière une même appellation une diversité de situations et de pratiques. Cela n’empêche pas d’appréhender ce qu’il y a de commun à ces trois structures. Certes, les contextes de naissance sont différents et les ressources variables d’un site à l’autre. Il n’en reste pas moins que, si nous saisissons la réalité de ces observatoires à un instant t (celui de la thèse), des traits communs se dessinent. Nous avons délibérément opté pour une approche inductive, partant des entretiens exploratoires pour construire une définition générique « l’observatoire d’hydrologie urbaine ». Ceci nous a conduit à élaborer un « idéal-type » en utilisant les outils du sociologue M. Weber. L’idéal-type wéberien est une production idéalisée qui n’a de valeur qu’heuristique : il est en ce sens une « utopie » qui sert à alimenter la réflexion. Cette reconstruction retient les traits les plus caractéristiques de la réalité étudiée. Le chercheur établit ainsi un stéréotype qui lui sert à simplifier le réel. Cette simplification n’entraine pas un appauvrissement de l’analyse : elle doit au contraire, en se concentrant sur des caractéristiques clés, gagner en intelligibilité. « Construire un idéal-type, c’est donc accentuer « unilatéralement » tel ou tel caractère de l’objet étudié, choisir quelques critères particulièrement significatifs, mais isolés et bien identifiés, puis construire ainsi une figure idéale du phénomène social auquel on s’intéresse. L’idéal-type n’a pas vocation à décrire la réalité. Son principe est de produire des concepts les plus univoques possibles afin de les comparer à la réalité sociale constituée en objet de recherche. » (Jeanne, 2001)1 Nous nommons l’idéal-type construit forme observatoire. Cette dénomination renvoie en partie à la « sociologie formelle » développée par G. Simmel, telle qu’elle est interprétée par le sociologue F. Vandenbergue. Selon lui, la sociologie formelle se concentre sur « l’étude systématique des formes structurant l’interaction » (Vandenberghe, 2001), donnant du poids au « contenant » et non seulement au contenu de cette dernière. Elle présuppose que le cadre de l’interaction à un impact sur la nature des liens et des relations, il n’est pas neutre et mérite d’être étudié en tant que tel. C’est même l’objet central de la sociologie, pour Simmel : « l’opposition kantienne entre les formes et les contenus, que Simmel a d’abord introduite dans sa philosophie constructiviste, est reprise dans la sociologie. (…) Refaçonnée, la séparation des formes et des contenus y est présentée comme le principe méthodologique qui fonde la sociologie formelle en tant que discipline autonome, différenciée des autres sciences sociales et spécialisées dans l’analyse des formes qui structurent l’interaction, c’est-à dire l’ensemble des interactions entre individus qui ont conscience de former une unité et qui forment le creuset de la société. » (Vandenberghe, 2001). L’approche par les « formes » de Simmel peut aussi constituer un outillage heuristique pour le chercheur. « A l’instar des idéal-types wéberiens, « utopies conceptuelles », méthodiquement construites et stylisées par les sociologues par accentuation unilatérale de certains traits [Weber, 1922, p. 180-181], les formes simmeliennes ne se trouvent jamais à l’état pur dans la réalité. » F. Vandenbergue cite Simmel dans le texte, en empruntant cet extrait à ses œuvres complètes : « La connaissance sociologique qui veut comprendre le concept fondamental d’association dans ses significations et ses formes particulières (…) ne peut y parvenir qu’à l’aide de la construction de lignes et de figures pour ainsi dire absolues, qu’on trouve seulement dans l’histoire sociale réelle comme rudiments, fragments, réalisations partielles qui sont continuellement interrompues et modifiées. » L’auteur met en garde le lecteur en précisant que cette formulation « peut induire en erreur dans la mesure où elle suggère que les formes d’associations sont des constructions purement analytiques que le sociologue utilise pour schématiser la réalité, et non pas le résultat d’une mise en forme (Formung) interne par les acteurs eux-mêmes. Non pas des formes formantes que les acteurs reconnaissent explicitement comme telles et qui structurent tacitement leurs interactions, mais des formes arbitrairement formées par le sociologue. » (Vandenberghe, 2001). Il insiste ainsi pour rappeler le côté « interactionniste » de la forme vue par Simmel : « en tant qu’étude systématique des formes structurant les processus d’interaction, la sociologie formelle (formale Sociologie) est avant tout une sociologie interactionniste ». C’est une façon de souligner que les formes sont aussi produites par les acteurs. De ce point de vue, F. Vandenbergue invite à considérer, à la suite de l’interactionniste Louis Quéré, les formes simmeliennes non pas tant comme « des formes morphologiques » (innées, données) que comme « des formes morphogénétiques » (construites). L’ambiguïté soulignée par le commentateur nous paraît intéressante et ne pas devoir être levée dans le cadre de notre objet. En effet, la forme observatoire se soumet bien à cette double lecture. Elle ne saurait être réduite à un simple outil de chercheur, une abstraction qui nierait toute réalité objective à la forme observatoire (qui existe bien en tant que telle, c’est-à-dire en tant que produit de l’interaction des acteurs). Mais, telle que nous la donnons à voir, elle n’est pas non plus une description la plus fidèle possible à la réalité sociale : on s’en tiendrait alors à ce qu’en disent les documents administratifs et institutionnels qui l’encadrent, les acteurs qui l’ont créée…, en somme ce qui la fait « exister » de façon extérieure. En ce sens, la « forme observatoire » n’est ni un modèle de chercheur, ni une réalité exogène qui s’imposerait à lui sans effort d’analyse ; mais elle est plutôt : les deux à la fois. Enfin, la forme observatoire telle qu’elle est présentée ici n’est qu’un cadre transitoire : il faut insister sur la fragilité des formes dont les contours sont flexibles dans le temps. La réalité sociale, faite d’interactions qui évoluent en fonction des acteurs et du contexte, les « déforme ».

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