THEÂTRE, SOCIÉTÉ ET VIOLENCE EN AFRIQUE DE L’OUEST

THEÂTRE, SOCIÉTÉ ET VIOLENCE EN AFRIQUE DE L’OUEST

 LES DANSES TRADITIONNELLES ET LA REPRESENTATION SCENIQUE 

Quand on parle de danses traditionnelles en Afrique de l’Ouest cela sous-entend plusieurs mises en scène avec leur corollaire de tam−tams, de tambours, de balafons et percutions de tous genres. Les danseurs−acteurs sont organisés dans un espace bien précis, où les mouvements et les déplacements suivent un ordre précis. Ces spectacles sont exécutés par des individus portant souvent des masques de formes diverses selon qu’il s’agisse de caractère sociaux ou des aspects physiques ou moraux que les acteurs−spectateurs veulent montrer. Plusieurs formes dramatisées ont marqué l’évolution des communautés en Afrique de l’Ouest. Par exemple au Mali il existe le‟ fèrè où la scène villageoise a toujours été un facteur de renforcement des valeurs cardinales, qui régissent la société traditionnelle ; telles que la tolérance, le respect de l’autre, le droit à la différence, de l’écoute et du partage. Il n’est pas de communautés de clans ou de villages qui n’ait son vieux foyer artistique en Afrique de l’Ouest. Les ‟kotèden” comédiens professionnels, se donnant le jour à la pêche, à la chasse, à l’élevage, aux travaux champêtres aux arts et métiers et le soir ils font parler leur corps, leurs émotions à travers des sketches, montrant ainsi les différentes couches de la société. Ces comédiens professionnels récapitulent les faits du jour et les difficultés de l’heure, les recréent dans des farces pour y suggérer entente et conciliabule. Ils se métamorphosent en plusieurs personnages, accompagnés par les tambours, les balafons en s’aidant de l’expression corporelle, de la gestuelle, du mime et des masques. L’expression culturelle s’exprime aussi à travers les contes qui sont dits et dansés en même temps par les ‟koroduga” (personnages bouffons) les ‟ nziridala” (conteurs). Les nyogoloden, (porteparole) du terroir profond, s’expriment dans des genres multiformes. Le kèbè fulfulbe dit jeu de la grande communion au sein de la vie pastorale. Le‟ nya” minianka, bobo ou senoufo, jeu mythique ou mystique qui poursuit, traque et désarme le mal. Le ‟yasa” aux formes multiples de communication avec le divin, les esprits tutélaires dont les acteurs ; des hommes, des femmes et des enfants drainent tout un village pour aller rendre hommage aux mânes qui sont la frontière entre les vivants et les morts. La danse, en Afrique noire est le premier et le plus important moyen d’expression culturelle. Les civilisations africaines sont des civilisations qui accordent une grande importance à la danse et à la parole, étant entendu que la musique instrumentale ou vocale est toujours 42 associée à des récitatifs ou à une chorégraphie. Les danses traditionnelles sont toujours religieuses ou magiques, elles accompagnent les cérémonies rituelles qui sont parties intégrantes de la société. Partout, la danse a commencé de la même manière par des prières, des actes de grâce à la divinité, des actes d’adoration à leur égard. La danse rituelle est une expression, elle représente d’ordinaire le phénomène que l’on souhaite. Elle se développe ensuite en figuration de toute une légende d’un épisode mythologique qui donne une place importante à l’expression narrative. Les africains recouraient généralement à la danse chaque fois qu’un évènement arrive, qu’il soit heureux ou malheureux. Ces danses, sans rompre avec les attaches religieuses, se donnent en spectacle, c’est-à-dire être stylisées afin de présenter une certaine beauté qui n’entache en rien sa signification. Et Gilbert Rouget nous dit : « la danse est toujours au moins en partie et en dépit parfois des apparences, plaisir de danser, plaisir de jouer avec le corps. En ce sens, elle est libération, catharsis. »28 A la mimique des danseurs s’ajoutent, dans certaines situations, une partie dialoguée qui change la danse en véritable représentation dramatique. Le geste précède, accompagne ou suit la parole car elle vaut par lui tout comme il vaut par elle. Mais les gestes peuvent aussi constituer un langage par eux–mêmes et il était fatal, selon Maurice Brillant29que ce langage tendit peu à peu à devenir autonome, à se passer du concours de la parole, à se styliser pour acquérir une beauté indépendante s’appuyant sur des techniques. La danse aide à découvrir le corps, à entrer en communion physique avec la liberté. Elle révèle des aspects de la vie, des sentiments humains. En Afrique la danse est plus qu’une spontanéité contrôlée ; c’est une harmonieuse combinaison, de lignes et mouvements, liée à une technique dont elle ne se distingue pas. Le danseur des rituels besoin d’une situation dramatique qui détermine ses pas et ses mouvements. Le danseur n’improvise pas, il a quel qu’il soit, pour atteindre son éloquence totale physique, doit, en situation de représentation, styliser son corps par une technique gestuelle autre que celle de la vie quotidienne. En générale, l’habitude du corps est conditionnée par son appartenance à une culture, à une condition sociale, au métier. Bref, les gestes quotidiens sont déterminés culturellement. Le danseur, selon Eugenio Barba30nous montre un corps qui suit des techniques très différentes des autres techniques de la vie quotidienne. Il construit son œuvre à partir de la correspondance entre une sensation musculaire et les images de son corps vues par le public à travers des positions physiologiques concrètes, visant à détruire les automatismes de la vie de tous les jours et à recréer une autre qualité d’énergie. Dans la danse, l’artiste, l’instrument qu’est son corps et la création qu’il produit se fondent en un sujet unique, constitué par le corps humain. Le mouvement de création privilégie certaines articulations présentes dans la musculature. La position de base fondamentale pour toutes les danses ce sont les jambes et les bras. Ces deux organes déterminent toutes les postures de base du danseur. La danse en Afrique noire traditionnelle, est un art de mouvement, mais elle ne quitte pas le sol. 

ESTHETIQUE DE LA PAROLE EN AFRIQUE DE L’OUEST

Trois types de personnages apparaissent dans la construction de l’oralité en Afrique traditionnelle : le conteur, le féticheur et le griot. Ces personnages se caractérisent par deux types de situation, qui sont la palabre et le rite théâtralisé et une forme d’expression, le proverbe. Le conteur n’a besoin de rien, ni décor, ni musique, ni danse. Il rend tous les acteurs inutiles. Il n’occupe ni n’investit aucun espace. Ses moyens ne peuvent être décrits qu’en termes négatifs, mais en réalité, il est théâtre à lui seul. Il incarne le théâtre total que rechercheront en vain les réformateurs modernes et postmodernes. Le féticheur, ou sorcier, appelé aussi marabout dans un contexte musulman est très aimé du public africain, à qui il apporte une originalité dans l’ordre du spectaculaire ainsi qu’un appel surnaturel, le plus souvent dénoncé comme inauthentique. Le griot est tout à la fois historien, expert en généalogie, gardien des traditions, poète, intermédiaire obligé des fêtes et des marchés… Héros de la communication, il doit aussi savoir être diplomate ou intermédiaire financier. La palabre qui est un instrument utilisé par le griot n’est pas un vain bavardage. Elle a une fonction sociale. Elle est une négociation, conduite selon des règles, par deux collectivités. Elle peut aussi avoir une vocation esthétique et conduire à une sorte de musique concertante. Parmi les rites théâtralisables, utilisés surtout dans un contexte tragique, on peut citer l’ordalie, l’évocation, souvent discrète, des associations de féticheurs, toujours très vivantes, orientées vers les guérisons des maladies considérées comme surnaturelles. Le proverbe enfin, a toujours raison et son introduction dans un dialogue dramatique est rassurante et même euphorisante. L’analyse de la louange en Afrique de l’Ouest, principalement en Côte D’Ivoire, au Mali et au Sénégal passe nécessairement par la prise en compte de deux facteurs contextuels importants : le concept de la parole et celui de l’identité. Dans l’épopée mandingue qui a connu plusieurs interprétations en Afrique, nous avons choisi d’analyser Le lion à l’arc de l’écrivain griot  Massa Makan Diabaté. Pour lui les « fassa » ou titre d’honneur, sont déclamés de la même façon par tous les griots et ils appellent les ancêtres dont l’évocation est dangereuse. Aussi le griot doit−il : Prendre les précautions contre le ᴫyama (maléfice) libéré par l’évocation des fondateurs des grandes lignées. Et l’auditoire doit faire un cadeau au louangeur, ce cadeau constituant un sacrifice qui annihile le ᴫyama dont les ancêtres sont porteurs. 34 La parole étant elle−même porteuse de maléfice, son utilisation dans certaines circonstances, s’accompagne de rite de neutralisation. La moindre allusion aux ancêtres pourrait, par exemple, déclencher les forces vitales en perpétuel mouvement. Or la louange, en Afrique traditionnelle accorde une place importante au passé remarquable ou extraordinaire du destinateur. Cheick. M. Chérif Keita déclare, à ce sujet : La personnalité mandingue privilégie l’initiation de l’individu à son fasiya ou patrimoine familial pour lui assurer non seulement une direction dans la vie, mais aussi pour lui garantir les ressources matérielles et morales indispensables à son accession au plein statut de mↄgↄ c’est-à-dire d’être humain conscient de ses assises, jujon, et capable de contribuer à l’élévation du groupe social dans lequel il vit. 35 Il s’agit, en somme, d’exalter et de cultiver le sentiment d’identité communautaire à travers les chansons où chaque membre de la communauté pourrait se mirer avec fierté, afin qu’à son tour il puisse enrichir le trésor collectif par son apport personnel. Il semble que le cycle épique soit, parmi les louanges dans cette partie de l’Afrique, le domaine le mieux structuré, compte tenu peut−être de son importance. Le « fasa » est une sorte de poème épique chanté qui a besoin d’un support musical pour exister et toucher ses destinataires. Cependant, cette poésie épique peut revêtir différentes formes et donner naissance à des genres plus ou moins voisins tels que, le « balimali », une sorte de morceau résumant la vie d’un héros et évoquant ses ancêtres, les villes et le pays où il a séjourné. Des genres plus ou moins autonomes parviennent à émerger : le « majamuli » qui consiste à glorifier un nom et le « burujufↄ » signifiant littéralement « dire les origines » de quelqu’un. Si le premier se fonde surtout sur une multiplication de noms où l’improvisation joue un certain rôle, le second se caractérise par une plus grande précision : c’est « la science des origines » selon l’expression de Yousouf Tata Cissé. Le griot en Afrique de l’ouest fait souvent entorse à la règle, qui consiste à parler uniquement du héros et de ses ancêtres. Par la maitrise de la parole il parvient à mettre en exergue la dimension internationale du personnage. Aussi, le « ᶯana » (l’homme d’action) et le « ᶯaara »(le maître de la parole) sont−ils complémentaires dans la société traditionnelle. Il est donc permis de dire que l’expression de la pensée culturelle des communautés traditionnelles d’Afrique de l’Ouest est essentiellement fondée sur l’oralité. C’est à travers les contes, les chants, les danses, les mythes, les jeux de scène, les devinettes, la sculpture et la peinture que l’individu reçoit un enseignement pour la reconnaissance de l’originalité de son groupe social. La tradition littéraire orale occupe donc une place considérable en Afrique en dépit du fait qu’elle reste aujourd’hui encore, l’apanage d’une catégorie spécifiques d’individus. De ce point de vue, la position du théâtre comme art de l’oral se trouve confortée par le rôle primordial de la parole au sein de la vie des populations. Dans les rites et croyances africains, l’importance et la capacité de la parole semble transcender le seul usage esthétique pour atteindre des domaines supra naturels. La parole comme annoncé plus haut semble en effet porter une charge fondamentale dans la mesure où elle peut influencer le destin de l’individu. Cette affirmation, invraisemblable en apparence, semble trouver son explication dans le fait que les sociétés traditionnelles africaines attribuent à la parole, dite dans certaines conditions, le pouvoir d’influer sur le destin de l’individu, du point de vue de son existence sociale, ou même concernant sa santé. En Afrique, certains témoignages rapportent des phénomènes étranges et inexpliqués survenus après profération de paroles incantatoires. Des cas de guérison ou d’ascension dans l’échelle sociale après bénédiction figurent parmi les exemples de témoignages les plus courants. Dans le même ordre d’idée, une malédiction prononcée contre un individu est capable d’interférer négativement sur la vie de celui−ci. Sur un autre plan, la parole appartient à un domaine purement social. C’est à travers elle que la vie de la communauté se construit et se matérialise. Au cours des rassemblements publics, chaque intervention est soutenue par des attitudes corporelles qui portent les caractéristiques de quelques scènes de théâtre.

Table des matières

 INTRODUCTION
PREMIERE PARTIE
Les traces de la société traditionnelle dans le theâtre de l’Afrique de l’ouest
CHAPITRE I : SITUATION GEOGRAPHIQUE ET EXPRESSION CULTURELLE
CHAPITRE II : LES DEBUTS D’UN THEATRE DE TYPE MODERNE
CHAPITRE III : LES STRUCTURES SOCIALES ET POLITIQUES DE LA SOCIETE TRADITIONNELLE
CHAPITRE IV : SOCIETE MODERNE ET THEATRE EN AFRIQUE DE L’OUEST
CHAPITRE V : LE CONTEXTE SOCIOLOGIQUE DE LA CRITIQUE
DEUXIEME PARTIE
La violence dans le théâtre de l’Afrique de l’Ouest
CHAPITRE VI : WILLIAM PONTY UN DEBUT DE THEATRE DE LA VIOLENCE
CHAPITRE VII: LA VIOLENCE DANS LE THEATRE DE RESISTANCE
CHAPITRE VIII : LA VIOLENCE FUSTIGEANT LES HORREURS DU COLONIALISME
CHAPITRE IX : LA VIOLENCE DE LA DESILLUSION ET EBAUCHE D’UNE NOUVELLE ECRITURE
CHAPITRE X : LES MARQUES DE LA VIOLENCE DANS LA DRAMATURGIE COMTEMPORAINE
CONCLUSION
BIBLIOGRAPHIE

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