Un système de transport urbain dépendant de la structure urbaine spécifique d’Addis Abeba
Les villes africaines, nous l’avons vu dans la première partie, ont souvent une forme urbaine héritée de la colonisation avec un centre ville moderne de densité de population faible et, en périphérie, une couronne avec des quartiers populaires à densité de population forte. Ce modèle se différencie de celui de la ville occidentale avec un centre ville dense en population et une périphérie résidentielle de plus faible densité.
Le modèle final prend en compte trois aspects importants : la géographie physique avec la zone difficilement accessible des montagnes d’Entoto, la densité de voirie et de population (plus importantes en centre-ville qu’en périphérie) et les dynamiques d’extension urbaine actuelles.
L’urbanisation profite du développement de routes primaires jusque dans la périphérie.
Les bus publics et minibus et bus Higer circulent pratiquement sur les mêmes itinéraires.
L’analyse de la carte du réseau de minibus, réalisée par la GIZ (visible dans la partie II) met en évidence trois types de lignes :
– Les lignes centrales, nombreuses et denses qui effectuent des itinéraires restant dans la zone du centre ville, à l’intérieur du périmètre formé par la Ring Road (qui entoure la zone au taux de densité de population le plus élevé).
– Les lignes centre-périphérie plus rares que les précédentes, qui relient le centre à la périphérie, sortant du périmètre de la Ring Road.
– Les lignes périphériques, en fréquence équivalente aux lignes centre-périphéries. Elles suivent une portion de la Ring Road et continuent dans la périphérie.
Les deux types de transport en commun cohabitent sur les mêmes lignes et répondent donc à des besoins équivalents en termes de trajets. Ils se différencient par le confort qu’ils offrent et les prix qu’ils pratiquent (confort plus élevé dans les minibus, prix très bas sur les lignes publiques, etc.) mais également sur le système d’interaction des agents (véhicule et client). Nous allons tenter de modéliser cette dernière différence.
Chaque ligne de bus est représentée en trait fin dans une seule couleur. La « Ring Road » (en trait gras, rouge clair), est la voie rapide périphérique (en cours d’achèvement). On observe que le réseau est plus dense à l’intérieur de la Ring Road.
Le réseau de voirie se compose de voies rapides, de routes principales et de routes plus secondaires.
De multiples acteurs en relation hiérarchiques et interrelations
En s’appuyant sur les travaux d’ Adrien Lammoglia parus en 2013, nous pouvons représenter le système multi-agents du réseau d’Addis Abeba de la manière qui suit (ci-dessous).
1) « Pour que l’offre de transport soit efficace, il est nécessaire qu’il y ait un système de correspondance entre les services et les individus », (Adrien Lammoglia, 2013). A Addis Abeba. Les usagers ont une bonne connaissance du réseau (trajets et arrêts). Pourtant, très peu d’informations sont visibles pour les deux types de transport en commun. La carte éditée par la GIZ (présentée en partie II) est trop chère pour la plupart des usagers, il n’y a pas de dépliants avec les arrêts et la grande majorité des panneaux des arrêts de bus indique seulement le numéro des lignes publiques qui s’y arrêtent (pas de direction, d’horaires ni de plan de ligne). Pour le réseau d’Anbessa, à certains grands points d’arrêt un abri est mis en place avec une personne pour renseigner les usagers sur la prochaine arrivée d’un bus. Pour le réseau des minibus et bus Higer, la direction et les grands points d’arrêts sont notés sur letapela et le crieur annonce la destination mais les tarifs peuvent varier aux heures de pointes (tard le soir, par exemple), les véhicules peuvent s’arrêter entre les arrêts et partent lorsque le crieur estime que le bus est rempli de façon satisfaisante. Lorsque j’ai enquêté auprès des usagers des minibus, la majorité m’a dit connaitre le réseau par expérience pour ce qui est de savoir où trouver un arrêt ou une route de passage ; pour la direction, le chemin emprunté et le tarif, ils m’ont indiqué qu’ils demandaient au crieur ou aux autres passagers. L’information des usagers est donc bien présente bien que n’étant pas aussi formelle que sur les réseaux occidentaux. La flèche est à double sens sur le schéma pour signifier que l’interaction ne vapas que dans un seul sens. En effet, l’usager est un agent dynamique, il peut faire signe au minibus de s’arrêter spontanément ou, une fois, à l’intérieur, lui demander de s’arrêter entre deux arrêts.
2) « Les interactions entre services de transport et l’AOT [Autorité Organisatrice de Transport] sont beaucoup moins dynamiques », (Adrien Lammoglia, 2013) car la mise en place d’un réseau, ou d’une modification dans un réseau existant, demande énormément de temps (diagnostic territorial, étude de faisabilité…) et d’argent. Les interactions entre Opérateurs et Autorité Organisatrice de Transport se font par le biais du suivi de fonctionnement car l’Autorité a besoin de connaitre, le niveau de fréquentation, le coût des services, le niveau de satisfaction des usagers, etc. Au niveau du réseau Anbessa, l’information est présente car il s’agit d’une compagnie publique, pour les minibus et bus Higer cela est moins évident. Toutefois, de l’information circule quand même vers l’autorité car certains minibus en circulation, ne portant pas les couleurs typiques bleues et blanches, sont en fait des minibus affectés par l’Autorité des Transports pour palier à un manque de véhicule sur une ligne, lorsqu’il a lieu. Or, pour ce faire, les associations de propriétaires de minibus doivent informer l’Autorité de ce besoin.
3) Enfin, les usagers et l’Autorité Organisatrice de Transport sont reliés par le biais de l’élection car « en choisissant un élu, on choisit sa politique et ses projets d’aménagements » (Adrien Lammoglia, 2013), dont sa politique de transport ; mais l’Autorité doit également être à l’écoute des usagers afin de permettre leur satisfaction et sa réélection. Les minibus et bus Higer auto-organisés sont apparus du fait du manque de véhicules d’Anbessa face à la demande grandissante de transports en commun. L’Autorité Organisatrice d’Addis Abeba a cherché à les régulariser pour les intégrer (non sans difficulté) plutôt que de lutter pour leur disparition, comme c’est le cas dans une partie des villes en développement. Je n’ai pas approfondi la question de la satisfaction des usagers des transports en commun d’Addis Abeba, mais ce comportement du niveau décisionnel montre l’intérêt de ce dernier pour satisfaire la demande de la population (tout en régularisant la situation). Pour distinguer les deux modes transports en commun (public et issu de l’auto-organisation), nous pouvons utiliser le modèle du diagramme de classe UML. Dans cette représentation nous prendrons le système des minibus pour représenter le fonctionnement du système issu de l’autoorganisation, car les bus Higer ont le même comportement mais sont beaucoup moins représentés en nombre (seuls certains itinéraires ne sont pas desservis par les bus Higer).
Ces modèles en l’état ne représentent pas des diagrammes de classes UML complets car il manque des paramètres pour pouvoir faire des simulations du système par informatique mais ils permettent de rendre compte des différences de fonctionnement des deux réseaux public (Anbessa) et issu de l’auto-organisation (minibus et bus Higer).
Le modèle du système public d’Anbessa est un modèle de fonctionnement classique des transports en commun publics par bus (à l’occidentale). Les rapports chiffrés entre objets ont été complétés par rapport au modèle de diagramme d’Adrien Lammoglia, exposé dans sa thèse de 2013.
Nous avons apporté des modifications dans la structure pour établir le modèle des minibus.
Certains aspects des modèles sont évidents comme le fait que l’espace est composé du territoire et du réseau de bus, composé lui-même des arrêts et des lignes et que le rapport de 1 véhicule pour plusieurs clients (jusqu’à 12 pour les minibus et jusqu’à 100 pour les bus Anbessa), un client ne pouvant être dans deux véhicules simultanément. Les arrêts sont de deux au minimum car l’arrêt de départ et l’arrêt d’arrivée sont comptabilisés. Le réseau est également de 2 lignes de bus au minimum suivant le principe qu’une ligne toute seule ne constitue pas un réseau.
Sur la relation « client – véhicule », on note une première différence entre les deux modèles : le nombre de clients potentiels commence à 0 pour le bus public, alors qu’il commence à 1 pour les minibus. Cela représente les deux démarches différentes des transporteurs : le bus public circule même s’il est vide entre deux arrêts, alors que le crieur du minibus s’assure que le véhicule soit plein (ou quasi plein) pour partir d’un arrêt.
Sur le réseau public, le choix d’arrêt du client est dépendant de la forme du réseau (la destination se fait sur un arrêt bien identifié), sur le réseau de minibus, par contre, le client a le choix de s’arrêter à un arrêt « officiel » ou bien de demander à s’arrêter entre deux arrêts. Cette différence explique la présence d’une relation de dépendance de l’arrêt selon le choix du client et de deux types de destinations possible (formelle et informelle) sur le modèle du fonctionnement des minibus.
Les deux systèmes associés forment un système plus global de transports en commun et se situent en complémentarité au niveau de la demande, en proposant différents niveaux de confort, de tarifs mais aussi en répondant à différents types de demandes : une demande « classique » de transports en commun (du point de vue occidental) et une demande plus spontanée pour le système issu de l’auto-organisation.