Prédictions de la vitesse diélectrique en fonction de la position de la goutte dans le canal
On s’intéresse à la vitesse diélectrique pour un système dont la géométrie est schématisée sur la figure 6.2. Pour une différence de potentiel V fixée, afin de prédire la vitesse diélectrique de la goutte en fonction de sa place dans le canal, on procède de la façon suivante :
1. x étant la direction du canal, on évalue le champ électrique E(x) le long de cet axe, lorsqu’il n’y a pas de goutte. Il sert de champ de référence dans les calculs du paragraphe 4.4. La figure 6.3 présente une évolution typique du champ électrique le long du canal.
2. À partir de cette donnée, on calcule numériquement le paramètre (E(x)) = (x). étant un saut de pression adimensionnée entre l’intérieur et l’extérieur de la goutte, on peut alors calculer ΔP (E(x)) = ΔP (x), comme représenté sur la figure 6.4.
3. À partir de l’évaluation de la taille de la goutte Lg et de la résistance hydrodynamique du canal R, on calcule la différence de saut de pression entre l’avant et l’arrière de la goutte (voir figure 6.5). On peut alors estimer la vitesse diélectrique : ΔU (x) = ΔP (x − Lg ) − ΔP (x)
Les calculs présentés sont réalisés pour des valeurs typiques de paramètres expérimentaux (voir paragraphe 6.2). La vitesse diélectrique ainsi calculée est représentée sur la figure 6.6. On observe une variation de vitesse de la goutte le long du canal conforme à ce que prévoit le raisonnement énergétique : la vitesse diélectrique est positive à l’entrée des électrodes et négative à la sortie. La goutte est donc attirée et retenue dans la zone de champ électrique élevé.
Vitesse diélectrique du système en fonction de la différence de potentiel imposé
Nous étudions ici l’influence du potentiel imposé sur cette vitesse diélectrique. Pour caracté-riser la vitesse diélectrique d’une expérience, on exprime sa moyenne ΔU sur la zone d’entrée dans l’espace interélectrode. On définit comme la « zone d’entrée dans l’espace interélectrode » la partie du canal que décrit l’avant de la goutte lorsque celle-ci est à cheval entre l’espace in-terélectrode et l’espace hors électrode. Cette zone est en d’autres termes l’ensemble des lieux de forte inhomogénéité de champ sur l’extension de la goutte. Elle est délimitée par les pointillés verts sur les figures 6.5 et 6.6.
On réalise le calcul précédent pour différents potentiels imposés V . Les résultats de ce calcul sont reportés sur sur la figure 6.7. Ce graphique confirme que la vitesse diélectrique est une fonction croissante du potentiel. Aux faibles valeurs de V , la courbe ΔU (V ) est portée par ˜ = αV 2 , où α ≃ 1, 4.10 −9 m/(sV 2 ). Cet ajustement est tracé sur la figure une parabole ΔU 6.7. Cela traduit la nature diélectrique de la variation de vitesse engendrée par l’inhomogénéité du champ. On cherche à retrouver ce résultat à l’aide d’arguments simples. À faible potentiel imposé, la longueur électrocapillaire est très grande devant celle du canal : la goutte est peu déformée par le champ. On peut donc considérer que les formes à l’avant et à l’arrière de la goutte sont identiques : les deux ménisques sont alors supposés rigides et circulaires. La résultante des contraintes sur un hémisphère est dans ce cas proportionnelle au carré du champ (voir annexe C). En première approximation, on peut considérer le champ nul sur l’une des faces de la goutte. On exprime alors la vitesse diélectrique en fonction du potentiel V : ce qui est en accord qualitatif avec la valeur mesurée (1,4.10−9m/(sV 2)).
Avant de comparer ces prévisions aux résultats expérimentaux, nous pouvons finir l’étude en observant l’effet de différents paramètres dont la connaissance précise n’est pas aisée, comme la tension interfaciale γ ou la taille de la goutte.
Effet de la tension interfaciale
La figure 6.8 de gauche représente les courbes ΔU (V ) pour différentes valeurs de la tension interfaciale. Toutes ces courbes se superposent aux faibles valeurs de V. Elles se décrochent de cette courbe maîtresse pour des valeurs de V croissantes avec γ. Pour les très grandes valeurs de tension interfaciale (γ = 1N/m), la courbe ΔU (V ) se superpose exactement avec l’ajuste-ment parabolique : ΔU (V )γ→∞ = αV 2. Ainsi, plus la tension interfaciale est grande, plus la goutte résiste à la déformation induite par un même champ. On peut donc la considérer comme non-déformable sur une plus grande gamme de potentiels imposés. L’expression parabolique de ΔU (V )γ→∞ confirme encore que, dans le cas de gouttes que l’on peut considérer comme rigides, la vitesse diélectrique est une fonction analytique du champ imposé.
La figure 6.8 de droite confirme ces explications : toutes ces courbes se rassemblent sur une courbe maîtresse dans l’espace de variables sans dimension formé du nombre électrocapillaire ym et de la vitesse diélectrique adimensionnée C .
Effet de la taille de la goutte
On vérifie ici que l’évaluation de la taille de la goutte n’est pas critique quant à l’analyse du phénomène de vitesse diélectrique. La figure 6.9 représente les courbes ΔU (V ) pour différentes valeurs de taille de goutte Lg . On y lit que passer d’une goutte de 300 m à 1 mm – ce qui correspond à une augmentation de plus de 230% – occasionne une augmentation de la vitesse diélectrique de moins de 25%. De plus, on atteint assez rapidement une saturation : passer d’une goutte de 660 m à 1 mm (+50%) augmente la vitesse diélectrique de moins de 2%. L’hypothèse de forte variation du champ sur la longueur de la goutte s’avère donc raisonnable.
Résultats expérimentaux
La géométrie du système microfluidique utilisé diffère de celle du paragraphe précédent par deux points :
1. Les électrodes sont espacées de 250 m et non plus de 500 m.
2. Les canaux fluidiques ont une profondeur de 60 m pour une largeur de 155 m, ce qui porte le rapport d’aspect à 2,6.
On peut penser que, dans ce contexte, l’approche Hele-Shaw est peu précise. Malgré cela, nous utilisons le formalisme dérivé de Shankar décrit précédemment pour l’analyse du phénomène.
