Caractéristiques spécifiques du mur

Caractéristiques spécifiques du mur

Dans les cellules, les murs sont bruts ou recouverts de peinture neutre, manquant de couleurs. Seules les parties des murs les plus discrètes seront utilisées pour ce type d’inscriptions, même si la surface est importante et qu’elle se prête à ce genre de pratiques. Ce support est aussi particulier par sa surface d’inscription qui est verticale, contrairement au papier. Elle demande donc d’utiliser des outils qui puissent fonctionner dans ce sens (les stylos, eux, s’épuisent ainsi). La matière du mur est plus friable que celle du papier, ce qui laisse la possibilité de graver, d’écrire en relief. De même sa hauteur et son immobilité sont pratiques pour accueillir toute écriture, puisque la stabilité est garantie, de même qu’une certaine durabilité (sans intervention humaine). 

Rôle pour les détenus

Le mur a ici une fonction exutoire pour les détenus : lorsqu’il y a un ressentiment particulier (une fouille de cellule qui s’est mal passée, un parloir émouvant, un refus pour un changement de cellule ou pour une sortie, etc.), il permet de calmer momentanément les détenus par un acte communicationnel personnel passant par une gravure exprimant ce qu’ils pensent. Il peut créer une interaction avec d’autres détenus par des graffiti laissés en apparence modérée dans une salle commune. Il peut aussi, par des insultes placées bien en évidence, constituer une véritable menace pour des membres de l’administration pénitentiaire ou de la justice étant la cause de leur enfermement. 

Raisons de ce choix 

Les murs sont souvent d’une couleur pâle et fade, ce qui donne envie aux détenus de les décorer, d’égayer leur lieu de vie. Le mur peut être considéré comme synonyme de séparation et d’enfermement, les détenus tentent alors de le dégrader (ils ne peuvent pas ou difficilement le détruire) pour reprendre possession d’une forme de liberté. Les graffiti sont aussi un symptôme d’ennui des détenus et le mur est à portée de main à longueur de journée. Contrairement à l’écriture sur papier, le graffiti mural ne peut pas être volé par un autre détenu ni un surveillant, il peut cependant être dégradé ou caché (par une nouvelle couche de peinture, par exemple). Hormis cela, il est possible pour le détenu de retrouver cette trace plus tard, lors d’un autre passage en prison ou au moins, de le partager avec les autres détenus. 

Fonctionnement 

Les graffiti ne peuvent être conçus que par l’intermédiaire d’un outil tranchant ou déversant une couleur : ciseaux, lame de rasoir, stylo, etc. Des outils créés par les détenus sont à même de répondre à ce besoin, comme le montage d’un petit moteur (de sonnette, par exemple) et d’un objet pointu ou tranchant, afin d’accélérer le processus de perçage du mur. Ce genre d’outils existe pour les tatouages, mais nous n’avons pas pu en constater pour les graffiti. La raison est peut-être que ce geste est impulsif et que l’invention d’un outil le créant en ferait perdre tout son intérêt exutoire pour les détenus. En prison, tout comme à l’extérieur (sauf lorsque des activités autorisées tournent autour de cette pratique), les graffiti sont à concevoir dans un acte de rapidité, ce qui implique soit d’avoir le temps d’y réfléchir avant le passage à l’acte (ce qui perd encore ici son intérêt exutoire), soit de les produire en fonction des outils qui sont à portée de main et d’écrire ce qui passe par la tête, sur le coup des émotions. Ce geste impulsif est cependant réfléchi quant à la disposition spatiale des graffiti sur les murs de la cellule en fonction de leur visibilité. *Règles d’inscriptions et organisation spatiale : Les détenus choisissent, même lorsque l’acte est impulsif (à moins de recouvrir par la suite par des photos, par ex), des morceaux de murs qui ne pourront être à portée des yeux des surveillants : entre ou derrière les lits superposés, derrière la porte (une fois ouverte, ils ne sont plus visibles), etc. Les tags de prisonniers ne fonctionnent pas exactement comme les tags de la ville ni comme une écriture standard : ils sont entre deux dans le sens où ils peuvent être en mouvement si les détenus choisissent d’inscrire leur nom (qui ne sera souvent pas un pseudonyme mais leur véritable identité) dans différents endroits de la prison, mais cela n’aura pas le même sens que lors d’un parcours urbain, puisque le « parcours » est le même pour tous les détenus (de la cellule aux salles communes et vice-versa), il perd alors toute cohérence et signification. Le seul « parcours » spatial qui peut être revendiqué par les détenus est le passage au mitard, qui est un lieu où ce type d’écriture est très fréquent.. Les tags des détenus sont plus des graffiti identitaires et ne répondent ni aux règles de fonctionnement spatial des tags urbains ni à celles de leur constitution : ils fixent l’écriture sur le support de manière à inscrire durablement un passage prenant le statut, la valeur de témoignage, de cicatrice qui ne pourra se refermer ou s’effacer. Mais le support mural en fait une écriture atypique ne répondant pas aux caractéristiques classiques de l’écriture sur papier. Sa lisibilité est relative (à cause de la qualité d’écriture de chacun et non par effet de style) et c’est le contexte qui donnera du sens à certains mots ou nombres (une date inscrite par un détenu ne sera pas forcément celle du jour de l’inscription mais pourra correspondre au premier jour d’incarcération, au nombre d’années faites en prison ou à la condamnation prévue, etc.). Sa position spatiale sur un mur fera en sorte de cibler un destinataire précis (ou tout au moins son statut : soit un détenu, soit un surveillant), construisant ainsi un parcours de lecture et une interaction voulue avec le récepteur choisi. Mais, contrairement au tag de la ville, la position à « hauteur d’œil » n’est pas une inscription de la normalité, celle de l’information dénuée d’importance et de « passion » . En prison, ce choix spatial est un moyen plus direct d’attirer l’attention du destinataire, il est ainsi d’autant plus fort dans son impact que le message requiert l’attention de quelqu’un et ce, malgré la sanction qui peut alors s’imposer. Le contenu est donc composé, le plus souvent, d’une menace ou d’un appel à l’aide (avec le nom de l’auteur), l’un comme l’autre étant des inscriptions relatant les émotions de l’auteur. Le nom n’est donc, en prison, pas le seul élément constituant les tags, il est complété de données liées à celui-ci et à son parcours de vie. Pour démontrer que le contexte influe non seulement sur le choix du support mais aussi sur son contenu, nous avons constaté, dans notre échantillon représentatif de graffiti que tous les détenus, peu importe la langue d’origine avec laquelle ils parlent, auront tendance à utiliser le français. Cette utilisation, même si elle n’est pas toujours très bien maîtrisée, semble correspondre à l’hypothèse que nous avons  émise qui est que les graffiti sont conçus pour avoir des interlocuteurs et que leurs créateurs sont donc contraints de les écrire dans la langue la plus usitée du milieu où ils sont produits. Il existe un autre support d’écriture non autorisé et durable en prison, celui de la peau et nous allons voir en quoi son utilisation est spécifique au milieu carcéral et la manière dont il fonctionne. 

Contexte individuel

 choix du support de la peau non autorisé et dangereux (automutilations et tatouages) et ses conditions d’existence carcérale. La peau est un support privilégié pour les détenus, non seulement parce qu’il n’est pas autorisé, mais aussi parce qu’il offre de nombreuses possibilités d’un point de vue communicationnel : il se retrouve altérer dans les deux cas principaux de l’automutilation et du tatouage et informe les autres d’un problème de communication, d’une détresse, d’une recherche de canalisation de sa propre violence due aux conditions d’incarcération, etc. Nous allons étudier le fonctionnement de ce support, rapidement d’un point de vue sociétal, puisqu’il a d’abord été utilisé dans la vie libre, puis plus en détails au sein de la prison afin de différencier ces pratiques en fonction de leur contexte de production. Pour cela, il nous faut définir ce que sont les tatouages et l’automutilation. -Les tatouages : Étymologiquement, le tatouage se compose ainsi : « Le mot tatouage vient (…) du tahitien  »TA-TU » qui est un dérivé du mot  »TA-ATOUAS » qui signifie DESSIN (TA) et ESPRIT (ATOUAS). » Ils servaient alors à « protéger des esprits malfaisants » et « attirer les bonnes grâces des bons esprits ». Généralement, on définit le tatouage ainsi : « Le tatouage est l’opération qui consiste à introduire dans l’épiderme un colorant quelconque, par un procédé quelconque, afin d’obtenir une marque permanente et si possible indélébile ».432 Lorsque le terme « quelconque » est ici employé, cela signifie qu’il existe différentes façons d’introduire divers colorants. Il n’y a pas un colorant et une technique particulière, même si, pour cette dernière notamment, elle varie peu dans une même région voire pays. Le tatouage, dans le cadre carcéral, sera étudié sous sa forme de dessins et d’écritures colorés (noir ou couleurs diverses), mais il peut prendre aussi la forme de scarifications (coupures signifiantes d’un point de vue esthétique). 

L’automutilation

L’automutilation est une atteinte portée à l’intégrité du corps pouvant compromettre sa vitalité et son bon fonctionnement sans que cependant elle ait été accomplie dans le but de se donner la mort (Girard, 1998a et b). Elle prend généralement la forme d’une coupure (dans plus de 90% des cas au cours de la période 1992-1998), plus rarement d’une ingestion de produits toxiques ou de corps étrangers (un peu moins de 5% des cas). L’administration la distingue de la tentative de suicide selon un critère implicite : un acte d’auto-agression est une tentative de suicide si sa gravité requiert la mobilisation des services extérieurs de santé (SAMU) . Ici, nous nous concentrerons sur les automutilations externes, celles liées à une dégradation de la peau. 

Caractéristiques spécifiques de la peau dans ce contexte 

La première caractéristique de ce support par rapport aux autres est qu’il est corporel, il constitue le détenu lui-même et il l’a constamment à portée de main, plus encore que les murs de sa cellule. Ensuite, c’est une matière souple, qui se révèle pratique, en ayant le matériel adéquat, pour recevoir une coupure, de l’encre, un dessin ou une écriture. La couleur de la peau influence la perception et l’utilisation ou non de couleurs artificielles d’un tatouage ou d’une automutilation. Elle ne peut être choisie par le détenu. Enfin, la peau est un support constitué d’une matière vivante (sensibilité individuelle face à la production), suivant les contours du corps qui offre des particularités en termes de formes. Ces formes peuvent être exploitées dans la création d’un tatouage (effet 3D, signification attribuée à un tatouage en fonction de la partie de la peau tatouée ou scarifiée) ou d’une automutilation si elle est voulue ou non comme une solution définitive pour mettre fin à ses jours (une coupure de la peau peut être mortelle en fonction des endroits où elle est pratiquée).

Rôle pour les détenus

L’automutilation : Par l’acte d’automutilation, le détenu se réapproprie son corps et n’a plus l’impression d’être seulement un numéro d’écrou : À son tour, le Moi-peau assure une fonction d’individuation du Soi, qui apporte à celui-ci le sentiment d’être un être unique434 . C’est aussi un moyen de revendiquer la déshumanisation des conditions carcérales et la peau est alors choisie pour se mettre en danger afin de faire porter l’attention sur soi.

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