De la synthèse chimique de nanoparticules aux matériaux magnétiques nano-structurés

De la synthèse chimique de nanoparticules aux
matériaux magnétiques nano-structurés

Synthèse de nanoparticules FePt de structure CFC 

La synthèse de S. Sun et al. reste aujourd’hui encore la synthèse « standard » utilisée pour obtenir des NPs de FePt de 3nm [Sun 2000]. Il s’agit de la thermodécomposition du pentacarbonyle de fer Fe(CO)5 et de la réduction de l’acétylacétonate de platine (II) Pt(acac)2 de façon simultanée dans le dioctyl ether. Durant cette réaction, Fe(CO)5 est thermiquement instable à haute température et se décompose en libérant du Fe(0) et du CO gazeux, alors que Pt(acac)2 est réduit en Pt(0). Après les étapes de nucléation et de croissance, les NPs formées sont stabilisées par les molécules à longues chaines carbonées d’AO (Acide Oléïque) et d’OAm (Oléylamine) qui s’adsorbent à leur surface. Cette combinaison de ligands est utilisée car l’acide carboxylique aurait tendance à stabiliser le fer tandis que l’amine stabiliserait préférentiellement le platine [Chen 2006]. A partir de cette synthèse de référence, d’autres études ont permis de modifier les propriétés des NPs. La taille [Chen 2004, Nandwana 2007] (figures 1.19A-C) et la forme [Shukla 2006, Chen 2006, Nandwana 2007, Wang 2007, Shukla 2009] (figures 1.19D-F) ont été ainsi été contrôlées en variant les paramètres de la synthèse, comme la température, la concentration des stabilisants utilisés, ou encore la nature du solvant. La composition chimique des NPs a, quant à elle, pu être contrôlée en ajustant le rapport molaire initial Fe(CO)5/Pt(acac)2 [Sun 2001, Chen 2004]. Figure 1.19. Images TEM de NPs FePt synthétisées en adaptant la synthèse de Sun et al. avec différentes tailles : (A) 3 nm, (B) 6 nm, (C) 9 nm [Nandwana 2007] ; et avec différentes formes : (D) cubes de 7 nm de côté [Chen 2006], (E) bâtonnets, sphères [Nandwana 2007], (F) fils (2-3 nm de diamètre, 50 nm de long ) [Wang 2007]. La toxicité, les précautions d’utilisation et le coût du précurseur Fe(CO)5 ont motivé des travaux pour trouver des synthèses alternatives, à base notamment de sels métalliques de fer, moins onéreux et qui présentent l’avantage de pouvoir être manipulés sous air le plus souvent. Ainsi, des chlorures de fer (FeCl2) ont été utilisés, par exemple avec Pt(acac)2 dans le diphényl éther en présence de LiBEt3H, conduisant à des NPs de FePt de 4 nm [Sun 2003-a]. Gibot et al. ont montré que des NPs de FePt pouvaient également être synthétisées dans l’eau à basse température (70°C) en présence d’hydrazine (N2H4) [Gibot 2005]. L’utilisation de Fe(acac)3 et de Pt(acac)2 a aussi été étudiée, pouvant conduire à des NPs aussi petites que 2 nm [Nandwana 2005]. D’après les analyses structurales reportées dans la littérature, les NPs obtenues cristallisent systématiquement dans la phase CFC et non dans la phase L10 pourtant thermodynamiquement plus stable. Ceci est dû au fait que les synthèses ont lieu hors équilibre, c’est-à-dire qu’elles sont davantage contrôlées par les effets cinétiques de réaction que par la thermodynamique [Jeyadevan 2003]. Les mesures magnétiques ont montré que les particules synthétisées sont presque systématiquement super-paramagnétique s à température ambiante. Deux voies permettent alors d’obtenir la phase L10 magnétiquement dure :  Le contrôle de la cinétique de synthèse pour contrôler la vitesse de réaction et obtenir directement la phase L10 ;  Un recuit à haute température pour convertir la phase CFC en phase L10, c’est-à-dire établir une mise en ordre structurale. 

Obtention de la phase FePt L10

 Obtention directe de la structure L10

 La synthèse de NPs FePt à haute température dans des polyols à très haut point d’ébullition comme le tetraéthylèneglycol a permis d’obtenir directement la phase L10 [Jeyadevan 2003, Sato 2005, Iwamoto 2009]. Des champs coercitifs allant de quelques centaines d’Oe à quelques kOe à température ambiante ont été mesurés (figure 1.20A). Cependant cette méthode a pour désavantage de conduire à des NPs souvent agglomérées et polydisperses en taille (figure 1.20B). Une étape supplémentaire est nécessaire pour améliorer la dispersion en ajoutant des ligands en fin de réaction [Sato 2005]. D’autres approches intéressantes ont été suivies, notamment avec l’utilisation d’un précurseur de Fe à l’état d’oxydation (-II) [Howard 2005] ou la réduction des précurseurs en phase solide à haute température [Bian B 2015]. Cependant le champ coercitif est très faible dans le premier cas, et les NPs sont polydisperses et enrobées d’une couche de carbone graphitique dans le second cas. Figure 1.20. (A) Cycle d’hystérésis et (B) Image TEM de NPs de FePt de 5 nm après synthèse polyol [Sato 2005]. Obtention de la structure L10 par recuit. Aucune des synthèses reportées dans la littérature ne permet d’obtenir directement des NPs de FePt à la fois monodisperses, cristallisant dans la phase L10 en totalité, et présentant un fort champ coercitif. Un recuit sous un flux réducteur d’argon (93 à 95% en volume) et de dihydrogène (5 à 7% en volume) appelé forming gas à haute température permet de convertir la phase CFC en phase L10. Les recherches ont montré que les propriétés des NPs recuites dépendent de plusieurs paramètres. Le champ coercitif est maximal notamment lorsque : – la température de recuit est de 600-650°C [Zeng 2002, Nandwana 2005] : une température moins élevée ne permet pas de convertir efficacement la structure CFC en structure L10, tandis qu’une température trop élevée induit la nucléation de domaines magnétiques à cause du frittage important des particules ; – le temps de recuit augmente [Berry 2007, Sun 2003-a] : la conversion vers la phase FePt L10 est plus complète (effet cinétique de la transition de phase) ; 37 – l’homogénéité de la composition chimique des NPs de départ est meilleure [Nandawana 2005] : cela facilite la mise en ordre de la structure L10 ; – la composition des NPs de départ est légèrement riche en Fe (composition atomique optimale Fe55Pt45 [Sun 2001, Nandwana 2005, Tamada 2007]) : cela facilite la conversion vers la phase FePt L10 [Berry 2007] et augmente l’anisotropie magnétocristalline de l’alliage [Barmak 2005]. Suivant les propriétés des NPs de départ et les conditions de recuit, les champs coercitifs reportés dans la littérature sont généralement compris entre 10 et 20 kOe. Bien que ce recuit s’avère nécessaire pour convertir la phase CFC du FePt, le frittage des particules qu’il entraîne donne des objets très polydisperses et polycristallins [Dai 2001, Nandwana 2005]. De nombreuses études ont alors été réalisées afin d’obtenir des NPs FePt L10 non frittées, monodisperses et présentant un fort champ coercitif. Deux principales méthodes ont été suivies pour éviter le frittage des NPs lors du recuit :  l’ajout d’un troisième élément qui tend à diminuer la température de transition de phase, permettant d’effectuer un recuit à plus basse température ;  la protection des NPs par une matrice inorganique. 

 Ajout d’un additif : synthèse de nanoparticules ternaires FePtX

 Des études menées sur film mince ont mis en évidence que l’ajout d’un troisième élément chimique tel que Sb, Sn, Cu, Ag, Au, etc. en faible quantité dans les alliages 3d-5d pouvait diminuer significativement la température de mise en ordre. Maeda et al. ont par exemple montré que l’incorporation de 15%at. de Cu permettait d’obtenir la phase L10 après un recuit à seulement 300°C, le film mince FePtCu présentant alors un champ coercitif de 5 kOe [Maeda 2002]. A haute température la faible solubilité des atomes additionnels entraine une ségrégation, la mobilité de ces atomes crée des lacunes qui facilitent la mise en ordre des atomes de fer et de platine dans la phase L10. La vitesse de mise en ordre est ainsi augmentée. 38 Seules quelques études ont été réalisées sur l’incorporation d’additifs dans des NPs FePt synthétisées par voie chimique. Les NPs ternaires FePtX (X = additif) ont été obtenues en ajoutant, en début de réaction, l’additif choisi sous forme de sel métallique. Si plusieurs additifs ont été testés tels que Ni [Yang 2007], Mn [Tzitzios 2006], Cu [Sun 2003-b, Harrell 2005], Pd et Cr [Harrell 2005], seuls l’addition de Sb, Ag et Au ont permis d’obtenir une mise en ordre partielle à 400°C (tableau 1.1). Bien que la température de recuit de NPs FePtX peut être abaissée tout en conservant des champs coercitif élevés, le frittage des particules n’est cependant pas totalement évité à 400°C. 

Protection des nanoparticules

 FePt lors du recuit Afin de prévenir efficacement le frittage lors de l’étape de recuit, des travaux ont consisté à disperser des NPs FePt CFC dans une matrice solide pour qu’elles soient physiquement séparées pendant le traitement thermique. Cette matrice doit jouer le rôle de barrière pour empêcher la coalescence des NPs. Parmi les différentes méthodes proposées dans la littérature, deux procédés semblent être les plus efficaces : la dispersion avec des grains de chlorure de sodium et l’enrobage par une coquille de silice ou d’oxyde de magnésium. 39 Protection par une matrice séparatrice de NaCl. Cette méthode consiste à mélanger des NPs FePt CFC avec un large excès de grains de NaCl préalablement broyés, puis à effectuer le recuit du mélange à haute température (figure 1.21). Le chlorure de sodium est finalement dissout dans l’eau à température ambiante pour récupérer les NPs FePt L10, inoxydables dans ces conditions. Figure 1.21. Schéma des différentes étapes pour l’obtention de NPs de FePt L10 grâce à la dispersion dans une matrice de NaCl [Delattre 2010]. Le choix de NaCl comme matrice de séparation se justifie par une grande stabilité, chimique et thermique, par un broyage aisé, permettant d’obtenir une taille de grain micrométrique, et par une dissolution rapide dans l’eau en fin de procédé. Avec un rapport massique FePt/NaCl de 1/400, des NPs FePt ont pu être efficacement protégées lors d’un recuit de 8h à 700°C, conduisant à des particules L10 nanométriques non coalescées présentant un champ coercitif de 30 kOe [Li 2006]. Bien que cette méthode semble être simple et efficace, certains inconvénients peuvent être mis en avant. Des études ont ainsi montré que NaCl, une fois broyé, devait être manipulé sous atmosphère sèche, compte tenu de son caractère hygroscopique, et que la taille des grains de NaCl devait être finement contrôlée [Alnasser 2013-a]. De plus, après recuit et dissolution de la matrice NaCl, les NPs FePt L10 sont parfois enrobées d’une gangue de carbone issue de la dégradation des ligands lors du recuit [Rong 2008, Alnasser 2013-b], rendant les particules inutilisables pour certaines applications. Les ligands de surface ayant été dégradés lors du recuit à haute température, une étape de fonctionnalisation des NPs FePt L10 est nécessaire pour permettre leur redispersion dans l’eau une fois la dissolution de la matrice effectuée [Delattre 2010]. 40 Protection par encapsulation dans une coquille d’oxyde. Cette méthode alternative consiste à protéger les NPs individuellement par le dépôt d’une couche d’oxyde de magnésium MgO ou de silice SiO2 à la surface des particules. Après recuit, la coquille d’oxyde est dissoute dans un solvant, organique ou aqueux, pour redisperser les NPs FePt L10 (figure 1.22). Ainsi, la diffusion des atomes de fer et de platine lors de la transition de phase au cours du recuit est confinée au sein de chaque « nano-réacteur » de FePt@oxyde. Figure 1.22. Schéma des différentes étapes pour l’obtention de NPs de FePt L10 grâce à l’encapsulation individuelle par une coquille de MgO [Kim 2009]. L’enrobage des NPs de FePt par une coquille MgO (figure 1.23A) ou SiO2 (figure 1.23B) a permis d’éviter le frittage des particules de façon efficace jusqu’à des températures de 750°C avec MgO [Kim 2009] et 900°C avec SiO2 [Yamamoto 2005, Tamada 2007]. Ces conditions dures de recuit (température élevée et temps long) se sont avérées nécessaires pour obtenir la structure L10. Ce résultat a été interprété par l’existence d’une forte contrainte structurale exercée par la coquille d’oxyde, diminuant la mobilité des atomes de surface des particules FePt [Kim 2009, Ding 2006]. Des champs coercitifs de 20-30 kOe ont été mesurés sur les NPs FePt L10 protégées par les coquilles d’oxydes. Les figures 1.23C et D montrent que les NPs FePt L10 récupérées en fin de procédés peuvent se redisperser correctement dans des solvants organiques en présence de ligands. Concernant la nature de la coquille d’oxyde, Alnasser et al ont comparé l’enrobage par MgO et SiO2 [Alnasser 2013]. Si les deux oxydes sont équivalents en termes d’efficacité pour limiter le frittage et conduire à une forte coercivité, l’encapsulation par SiO2 est plus difficile à maîtriser et le protocole de protection-déprotection nécessite l’utilisation d’acide fluorhydrique (HF), extrêmement corrosif et toxique.

Table des matières

PARTIE A SYNTHESE ET PROPRIETES DE NANOPARTICULES MAGNETIQUES DURES
CHAPITRE 1 ETAT DE L’ART SUR LA SYNTHESE ET LES PROPRIETES DE NANOPARTICULES MAGNETIQUES DURES
I. Généralités sur les propriétés magnétiques de nanoparticules
II. Généralités sur la synthèse de nanoparticules métalliques en phase liquide
III. Synthèse de nanoparticules de fer et de fer-cobalt par voie organométallique
IV. Nanoparticules anisotropes de cobalt .
V. Nanoparticules 3d-5d Fe-Pt
VI. Conclusion
Références bibliographiques du Chapitre 1
CHAPITRE 2 OPTIMISATION DES PROPRIETES MAGNETIQUES DE NANOBATONNETS DE
COBALT – ETUDE DES MECANISMES D’AIMANTATION
I. Synthèse de nanobâtonnets de cobalt par la voie polyol
II. Etude structurale des nanobâtonnets de cobalt
III. Etude des propriétés magnétiques des nanobâtonnets de cobalt
IV. Conclusion
Références bibliographiques du Chapitre 2
CHAPITRE 3 SYNTHESES DE NANOPARTICULES A BASE DE FER-PLATINE
I. Synthèse de nanoparticules à base de fer-platine avec l’utilisation d’un précurseur réactif de fer
II. Synthèse de nanoparticules fer-platine par réduction d’acétylacétonates métalliques
III. Obtention de nanoparticules FePt L par encapsulation dans une matrice MgO
IV. Conclusion
Références bibliographiques du Chapitre 3
PARTIE B
ELABORATION ET PROPRIETES DE MATERIAUX MAGNETIQUES NANOSTRUCTURES BIPHASIQUES
CHAPITRE 4 SPRING MAGNETS : PRINCIPES PHYSIQUES, METHODES DE CARACTERISATIONMAGNETIQUE, ETAT DE L’ART
Sommaire du Chapitre 4
I. Les spring magnets – Principes physiques
II. Caractérisations magnétiques du couplage d’échange inter-phases
III. Elaboration de spring magnets – Etat de l’art
IV. Conclusion
Références bibliographiques du Chapitre 4
CHAPITRE 5 ELABORATION DE SPRING MAGNETS PAR UNE APPROCHE BOTTOM-UP
I. Protocole de préparation des matériaux
II. Voie A : Mélange de nanoparticules FePt CFC et de nanoparticules FeCo CC
III. Voie B : Mélange de nanoparticules FePt L et de nanobâtonnets Co HCP
IV. Estimation du produit énergétique maximum des composites préparés par les voies A et B
V. Conclusion
Références bibliographiques du Chapitre 5
CONCLUSION GENERALE ET PERSPECTIVES
ANNEXES
Annexe 1 : Abréviations et notations les plus utilisées dans le manuscrit
Annexe 2 : Conversion des unités en magnétisme et constantes physiques
Annexe 3 : Caractéristiques et paramètres magnétiques des matériaux étudiés
Annexe 4 : Performances magnétiques des aimants permanents
Annexe 5 : Caractérisation de la mise en ordre chimique de nanoparticules FePt par diffraction des rayons X
Annexe 6 : Matériel pour la caractérisation et spécificités sur les analyses par DRX

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