Ecomorphosis in European Collembola: review, distribution and potential use as an indicator of climate change

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Les sols : menacés par les changements globaux

De manière globale, il est admis que la fonctionnalité des écosystèmes est fortement dépendante de la biodiversité qu’ils abritent, et que celle-ci est en déclin (Cardinale et al., 2012). En particulier l’intégrité et le fonctionnement biologique des sols sont menacés à l’échelle planétaire (Wall 2012; GSBI 2016). Plusieurs facteurs de changements globaux liés aux activités humaines sont actuellement à l’œuvre : les changements d’usages et l’artificialisation, les changements de pratiques et de modes de gestion, la pollution et les changements climatiques.
Premièrement l’artificialisation des sols est due à l’augmentation des surfaces urbaines et des infrastructures, tendance lourde de l’humanité depuis la révolution industrielle dans les pays développés et qui a gagné aujourd’hui largement les pays en développement. L’urbanisation engendre des menaces directes sur les sols telles que la compaction, la modification des propriétés physico-chimiques, la modification des régimes hydriques, la discontinuité entre les parcelles de sol, l’importation d’espèces envahissantes.
Les changements de pratiques concernent notamment les sols agricoles, et toutes les pratiques agricoles, ne se valent pas en terme d’effets sur la biodiversité des sols. Les menaces engendrées le sont alors par des apports d’intrants en azote, phosphore et potassium notamment, des apports en molécules biocides, un travail intense et profond des horizons supérieurs. Les changements de gestion d’espaces naturels et semi-naturels comme les prairies – qui occupent (au sens large, incluant par exemple savanes, steppes, etc.) un quart des terres émergées – sont susceptibles de présenter des menaces envers les sols via notamment l’intensité de leur utilisation, par exemple en tant que pâtures.
La pollution des sols peut se produire de manière directe par relargage immédiat de substances toxiques pour leur biodiversité aux abords de zones d’activités humaines, ou de manière indirecte par transport dans l’eau ou l’air de ces substances ; les activités qui polluent les sols le plus fréquemment étant liées d’abord à la production industrielle, puis aux industries spécifiques de la filière pétrolière, puis au stockage et traitement des déchets urbains, etc. On voit que la frontière entre ces différents facteurs est parfois poreuse suivant les échelles spatio-temporelles considérées.
Ceci est particulièrement vrai pour le dernier groupe de facteurs, les changements climatiques. Dans les décennies à venir, il est notamment prévu que les températures moyennes à la surface de la Terre et que la concentration en gaz carbonique augmentent fortement, et que les régimes de précipitations soient modifiés (IPCC, 2018). Ces changements se sont déjà largement enclenchés en Europe depuis la fin du XXème siècle (ECMRWF, C3S and European Commission, 2020), et au niveau mondial les projections récentes sont pessimistes : +2 à +3 °C en moyenne (par rapport à l’ère préindustrielle) pour l’horizon 2050, +2,5 à +7 °C pour l’horizon 2100, selon l’ampleur que prendront les activités humaines à venir suivant différents scénarii (CEA/CNRS/Météo-France, 2019).
Les conséquences des différents facteurs susceptibles de menacer le fonctionnement biologique des sols sont encore trop peu étudiées et en parallèle trop peu de mesures de protections des sols sont prises, face à l’ampleur des dangers (Wall & Six 2015). En ce qui concerne les relations entre la faune du sol et les paramètres climatiques ambiants, on trouve notamment dans la littérature scientifique un volet physiologique, avec des expérimentations au laboratoire en milieux contrôlés, et un volet écosystémique, avec des expérimentations en mésocosmes ou sur le terrain. Les résultats du premier volet ne sont pas toujours extrapolables à des échelles d’organisation supérieures, car des propriétés de résilience et de résistance apparaissent au niveau des communautés au sein d’un écosystème aux interactions nombreuses et complexes. L’évaluation des effets d’un monde futur plus chaud, plus sec et plus carboné sur les communautés de la faune du sol n’est pas chose aisée, non seulement de par la complexité d’organisation que ces communautés représentent mais également à cause des effets divergents et/ou d’interaction entre les facteurs climatiques et entre chaque facteur et chaque communauté du sol (Fromin et al., 2019), et enfin parce que de tels facteurs climatiques peuvent avoir des conséquences non-linéaires sur le vivant avec des effets de seuil par exemple (Berdugo et al., 2020). La prise en compte des changements climatiques à venir dans leur complexité (De Boeck et al., 2019) est pourtant prépondérante dans l’évaluation des relations biodiversité-fonctionnement des écosystèmes (De Laender et al., 2016). Blankinship et al. (2011) ont montré que l’augmentation de CO2 et de température peut avoir des effets positifs sur l’activité micro-organique du sol et que ces effets ne se répercutent pas toujours sur les niveaux trophiques supérieurs, tandis que l’humidité du sol est un facteur limitant pour tous les organismes. Des résultats similaires ont été observés par Kardol et al. (2011) sur les microarthropodes, confirmant notamment la sensibilité de certains groupes comme les collemboles à l’humidité du sol. Les conséquences des changements climatiques s’observent également sur les fonctions et services rendus par les sols, comme par exemple le stockage du carbone ou la décomposition de la matière organique (Wall, 2012).

Les collemboles, acteurs de la faune du sol

Généralités sur les collemboles

La biologie des collemboles – connus dès l’Antiquité grâce à Aristote – a été décrite de manière approfondie plusieurs fois dans la littérature depuis la première monographie par Lubbock (1873) centralisant des connaissances déjà bien étayées (de Linnée au XVIIIème siècle à par exemple Nicolet (1842)). De nos jours, il est fréquent de se référer au travail considérable réalisé par Hopkin (1997) qui représente la monographie la plus récente sur ces animaux. Le site internet anglophone www.collembola.org (Bellinger et al., 1996) représente depuis plus de vingt ans une source et un index d’informations d’une qualité remarquable. Les lecteurs strictement francophones trouveront également un grand nombre de savoirs dans le limpide ouvrage par ailleurs magnifiquement illustré de Cortet & Lebeaux (2015). Nous mentionnons ci-après quelques généralités sur la vie des collemboles.

Taxonomie et anatomie

De nos jours et après des apports récents dans la connaissance de la phylogénie de ce groupe, la taxonomie des collemboles est stabilisée : dans l’embranchement des arthropodes (« à pattes articulées ») et le sous-embranchement des hexapodes (« à trois paires de pattes ») se trouve la classe des collemboles (Collembola Lubbock, 1873), soit au même niveau hiérarchique que les insectes, groupe auxquels ils ont été longtemps apparentés. Les collemboles sont classés en quatre ordres (Figure In.4, Illustration In.1) : les Poduromorphes (Poduromorpha Börner, 1913), les Entomobryomobphes (Entomobryomorpha Börner, 1913), les Neelipléones (Neelipleona Massoud, 1971) et les Symphypléones (Symphypleona Börner, 1901). En 2011 on recensait ainsi un total de 33 familles, 762 genres et 8130 espèces décrites dans le monde (Janssens & Christiansen, 2011), dont 745 vivant en France métropolitaine et Corse (Thibaud, 2017). En Europe, on recense plus de 2000 espèces et au niveau mondial il est probable qu’environ 30000 à 50000 restent à découvrir. Les collemboles ont un corps constitué d’une tête suivie de 3 segments thoraciques puis de 6 segments abdominaux qui peuvent être plus ou moins fusionnés. Leur forme générale peut être allongée, fine ou trapue, ou globuleuse. Leur taille, pour les espèces européennes, est comprise entre 0,2 mm et 7 mm, la majorité des espèces mesurant 1 à 2 mm à l’âge adulte (Bonfanti, 2018) (Figure In.3). La tête porte une paire d’antennes de 4 articles. Les pièces buccales sont le plus souvent de type broyeur, rarement suceur-piqueur (même si des travaux récents visent à qualifier plus finement ces appareils par des mesures morphométriques (Raymond-Léonard et al., 2019)). La tête porte au maximum 8 paires d’yeux primitifs appelés ocelles ou cornéules, et ce nombre peut descendre à 0 chez certaines espèces vivant dans l’obscurité. Sur la tête, un organe post-antennaire est présent chez certaines espèces et remplit des fonctions sensorielles olfactives. Chaque segment thoracique porte une paire de pattes de 6 articles. Sur les segments abdominaux, on peut noter la présence d’appendices spécifiques aux collemboles qui apparaissent d’ailleurs dans l’étymologie de leurs dénominations. En effet, jusqu’au début du XXème siècle on retrouvait en français l’emploi des noms podures ou podurelles (exprimant le fait que la queue devient locomotrice) pour désigner les collemboles, idée que l’on retrouve toujours dans leur nom vernaculaire en anglais springtails, autrement dit « queues sauteuses ». Cette idée se rapporte à leur organe sauteur en forme de fourche : la furca, plus ou moins longue (parfois absente), portée repliée au repos sous l’abdomen. En la déployant brutalement, les collemboles opèrent un saut (qui peut les propulser à une hauteur équivalente à plusieurs dizaines de fois leur taille corporelle), notamment en réaction à la présence d’un danger immédiat. Le nom de la classe Collembola en latin ainsi que le français collembole ou l’anglais collemobolan, proviennent du grec κόλλα (« kolla », colle, p. 1363 (Bailly & Gréco, 2020)) et ἔμϐολον (« embolon », ce qui se projette ; éperon, p. 832 (Bailly & Gréco, 2020)). Ces deux notions décrivent un organe appelé collophore ou encore tube ventral, dévaginable, placé face ventrale, dont la porosité permet à l’animal de réguler sa pression osmotique interne par échanges d’eau et d’ions avec le substrat, et qui possède également une certaine adhésivité permettant à l’animal de se fixer à son support. Des structures pileuses (soies, sensilles, trichobotries) de taille et de formes variées peuvent être portées sur le corps y compris les antennes et peuvent jouer un rôle sensitif important. La chétotaxie des animaux sert à l’identification de certaines espèces morphologiquement proches. Le tégument porte des ornementations ou granulations, organisées en structures primaires et secondaires, d’aspects variés, qui participent à l’existence de propriétés tégumentaires hydrophobes et lipophobes remarquables. Il porte également chez certaines espèces des pores particuliers appelés pseudocelles, capables de sécréter des substances répulsives pour se protéger des attaques de prédateurs. La pigmentation est très variée chez les collemboles : lorsque présente, une grande diversité de couleurs est retrouvée, avec ou sans motifs.

Biologie et écologie

Afin de présenter quelques connaissances sur la biologie et l’écologie des collemboles et en complément de la littérature précédemment citée, nous pouvons mentionner par exemple les synthèses de Cassagnau (1990), Christiansen (1964), Petersen (2002), Rusek (1989, 1998).
Les collemboles occupent la surface de la Terre depuis environ 400 millions d’années, ainsi l’on considère Rhyniella praecursor (Hirst & Maulik, 1926) comme l’espèce fossile connue la plus ancienne d’après les fouilles examinées en Écosse au siècle dernier. Leur si longue présence et leur diversité les ont conduit à occuper tous les continents et quasiment tous les milieux : du Sahara à l’Antarctique, des zones intertidales aux sommets montagneux, des couches profondes du sol jusqu’aux canopées tropicales, en passant par des spécialistes de la surface d’eau douce, des grottes, des sables… Un grand nombre d’espèces est considéré comme sédentaire et appréciant l’humidité, mais c’est une vision partielle et on voit bien que de remarquables capacités d’adaptations ont permis à cette classe de coloniser des milieux aux conditions environnementales difficiles. La tolérance ou l’évitement de conditions extrêmes se font notamment physiologiquement, par exemple en modifiant la perméabilité de la cuticule ou en incorporant dans l’hémolymphe des composés aux propriétés antigel, et par le comportement, par exemple en se déplaçant au sein de l’habitat sur des périodes plus ou moins longues. Localement leur diversité semble suivre l’inverse de la latitude, on peut retrouver dans un échantillon de forêt tropicale plus de 130 espèces tandis que l’ordre de grandeur se réduit à 30-40 en forêt tempérée. En France leur richesse et leur abondance illustre un gradient d’usage de sols, des plus riches en forêts et en jardins, aux intermédiaires en zones urbaines et industrielles et en prairies, vers les moins riches en zones cultivées (Joimel et al., 2017).
Les collemboles ont souvent un régime alimentaire varié et plutôt opportuniste, si bien que la distribution géographique des espèces est vraisemblablement plus limitée par les conditions abiotiques du milieu (température, humidité, oxygène) que par la disponibilité en ressources qui peut s’exprimer à des échelles locales (Milano et al., 2017). Chaque espèce possède ainsi une gamme de températures préférentielle suivant une courbe en cloche avec un optimum, bornée au minimum par le point de gel (auquel l’animal meurt par le froid) ou SCP pour supercooling point, et au maximum par le point de stupeur thermique ou TSP (thermostupor point) duquel il peut récupérer si l’exposition n’est pas trop prolongée, puis par le point de température létale ou TDP (thermal death point) auquel les protéines se dénaturent. Les activités physiologiques, phénologiques et reproductives sont susceptibles de suivre cette gamme de températures. Les relations entre les collemboles et l’humidité ambiante sont complexes. Leurs capacités d’absorption et de rétention d’eau sont très variables en fonction des espèces, et l’on trouve des animaux vivant en permanence dans un sol humide et d’autres capables de s’exposer à l’air sec en surface de végétation, tout à fait résistantes à la dessication. Les échanges d’eau se font notamment par les vésicules perméables du tube ventral et par la perméabilité du tégument ; l’animal peut aussi s’abreuver directement pour se réhydrater. La majorité des collemboles ont une respiration tégumentaire et certaines ont donc ainsi développé des mécanismes de résistance à l’immersion, par exemple en retenant une fine couche d’air à la surface du corps. Les résistances à la dessication peuvent être d’ordre morphologiques, physiologiques, phénologiques ou encore comportementales, selon les espèces et les stratégies adoptées.
En terme de reproduction, là encore une variété de stratégies peut être observée. Un grand nombre d’espèces sont majoritairement ou exclusivement parthénogénétiques. Lorsque présente, la fécondation est indirecte, les mâles produisant des spermatophores déposés sur le substrat ou à l’entrée des organes génitaux des femelles, qui in fine les capturent. Le nombre de générations annuelles, d’œufs et les vitesses de croissance sont variables, le cycle de vie pouvant s’effectuer sur quelques semaines à quelques mois, plus rarement quelques années. Les individus sortent de l’œuf avec une petite taille mais une structuration d’adulte, ne présentent donc pas de métamorphose et grandissent par mues successives tout au long de leur vie. Enfin, il est fréquent que chez des espèces largement répandues (qui sont nombreuses), une plasticité à l’échelle des populations et/ou des individus sur notamment la physiologie et la phénologie soit constatée.
Les collemboles sont considérés comme de bons bioindicateurs, et la caractérisation de leurs communautés a permis l’étude de plusieurs gradients et facteurs écologiques comme par exemple : les usages des sols (Chauvat et al., 2007; Joimel et al., 2017; Ponge et al., 2003), les pratiques agricoles (Cortet et al., 2007; Coulibaly et al., 2017), les préférences d’habitat et micro-habitat (Heiniger et al., 2015; Ponge & Salmon, 2013), les successions de végétation (Chauvat et al., 2011; Cortet & Poinsot-Balaguer, 1998), la présence de polluants (Cortet et al., 1999) – les individus sont utilisés notamment en tests standardisés en écotoxicologie (Holmstrup & Krogh, 2001; Krogh, 2009) –, les facteurs climatiques (Holmstrup et al., 2018; Kardol et al., 2011; Makkonen et al., 2011; Petersen, 2011), les perturbations hydrologiques (Abgrall et al., 2016), etc.

Classifications fonctionnelles

Pour plusieurs taxons de la faune du sol, il est fréquent de regrouper les espèces en quelques groupes d’intérêt afin d’appréhender plus aisément leur écologie. En prenant l’exemple des vers de terre, Bouché (1972) a décrit trois principales catégories écologiques chez ces animaux en utilisant leurs traits morphologiques et anatomiques : les épigés, les endogés et les anéciques. Un réexamen récent des données de Bouché par le prisme des connaissances actuelles en écologie basée sur les traits a conduit Bottinelli et al. (2020) à proposer une méthode explicite de classification des espèces de vers de terre dans un triangle épigés-endogés-anéciques remanié, autorisant des catégories intermédiaires via un spectre d’appartenance, et applicable à des milieux hors de France métropolitaine et pourquoi pas d’Europe. Dans un second temps, les mêmes auteurs ont évoqué un glissement dans la littérature de l’utilisation – extrêmement populaire – des catégories de Bouché : bon nombre d’auteurs ont fait de ces trois catégories des groupes fonctionnels, c’est-à-dire pertinents pour décrire l’effet des espèces concernées sur leur écosystème. Ainsi Bottinelli & Capowiez (2020) mettent l’accent sur ce qui fut probablement une mauvaise interprétation de la littérature initiale, et suggèrent à l’avenir de requalifier quantitativement les effets de certaines espèces d’intérêt sur des fonctions écologiques précises, tout en cherchant à mettre en évidence les relations traits-environnement pour leurs qualités prédictives concernant les autres espèces du spectre.
De par leur(s) position(s) trophique(s) (Figure In.5), on sait que les collemboles interviennent de manière directe ou indirecte dans plusieurs fonctions écologiques liées aux transferts d’éléments et de nutriments dans les sols (Edwards et al., 1973) notamment par les processus de décomposition de la matière organique (Petersen & Luxton, 1982) : ils la fragmentent, augmentant ainsi sa surface disponible pour l’action des micro-organismes, ils la digèrent et la recyclent influant ainsi sur la composition chimique du sol, il la mélangent dans les différentes couches de sol qu’ils occupent. En terme d’énergie, les collemboles peuvent être responsable de 10% à 33% de la respiration totale due à la faune du sol (Petersen & Luxton, 1982). Enfin, les collemboles participent à la structuration du sol par des effets directs et indirects sur son agrégation (Maaß et al., 2015; Siddiky et al., 2012).
Ainsi plusieurs classifications alternatives à la taxonomie ont été proposées pour les collemboles, depuis la description de formes de vie jusqu’à la proposition de classifications fonctionnelles intégrant les concepts de traits fonctionnels.

Formes de vies, modes de vie

La classification des collemboles en différentes « formes de vie » (à l’origine en allemand Lebensformen puis life forms dans la littérature internationale en anglais) a été initialement proposée par Gisin (1943). Il s’agissait alors de regrouper des espèces observées en se basant sur leur morphologie ainsi que sur leurs préférences envers le micro-habitat, notamment leur positionnement vertical dans le sol. La terminologie ainsi créée met l’accent sur ce second aspect, décrivant les espèces comme atmobiontes (vivant au contact de l’air, en surface des parties émergées des végétaux par exemple), hémiédaphiques (en surface du sol ou dans la litière) et euédaphiques (dans les couches plus profondes du sol). Un second niveau de classification permet de distinguer les espèces hémiédaphiques suivant leur degré d’affinité envers l’humidité du sol, dissociant ainsi les espèces hygrophiles, mésophiles et xérophiles. Il est rapporté dans la littérature ultérieure (Christiansen, 1964) que des auteurs contemporains de Gisin aient pu identifier quelques limites à ce système de classification : Bockemühl (1956) suggérait d’ajouter un critère basé sur la forme du corps des animaux tandis que Cassagnau désapprouvait l’emploi du terme « xérophile », considérant qu’aucune espèce de collembole ne fut connue pour être une vraie xérophile, ces animaux étant plutôt sensibles à une faible humidité du milieu, au sein de la faune du sol. Après deux décennies de revue de la littérature et d’échanges entre les auteurs précédemment mentionnés et d’autres experts, Christiansen (1964) et Stebaeva (1970) ont proposé des améliorations sur le système de classification en formes de vie. Il s’agissait alors de modifier la terminologie (par exemple, hemiedaphon est alors subdivisé en espèces neustonic, normal et xeromorph), et un critère de préférence envers l’habitat a été ajouté, ce qui a résulté en la prise en compte des formes de vies troglomorph et synoecomorph. Christiansen (1964) signale que la classification en formes de vie doit être motivée avant tout par la morphologie spécifique des espèces peuplant chaque habitat, hors des habitats en association avec un sol utilisés pour les formes de vie originellement décrites par Gisin. Considérer le critère d’habitat comme primordial a mené Thibaud & D’Haese (2010) à ajouter à la sémantique trois groupes supplémentaires, nommément : les espèces psammobiontes (vivant dans les milieux interstitiels sableux, continentaux ou littoraux), les thalassobiontes (inféodées aux milieux littoraux plus ou moins salés) et les épineustoniques (effectuant tout ou partie de leur cycle de vie à la surface de nappes d’eau douce) ; leurs propositions sémantiques différencie également chez les synoecomorphs les termitophiles et myrmécophiles (espèces commensales des termitières et fourmilières, respectivement). En complément, une autre méthode de classification en formes de vie a été proposée par Rusek (1989) notamment car il redoutait le manque de hiérarchisation claire entre les caractéristiques morphologiques et les préférences abiotiques (habitat, micro-habitat) dans le système préexistant. Il a ainsi proposé un « spectre de formes de vies » comportant 13 groupes sur 4 niveaux de classification, en se basant sur le positionnement vertical puis sur deux critères morphologiques (la taille du corps et la présence de furca), qui reste vraisemblablement à ce jour la proposition de ce type la plus détaillée.
Nous pouvons mentionner également les travaux de Siepel (1994) visant à regrouper les acariens et les collemboles sous des « tactiques de vie ». Sa proposition se base sur la caractérisation de 12 traits d’histoire de vie décrivant la reproduction, le développement, la synchronisation avec les cycles environnementaux et la migration de ces animaux. Il permet ainsi la description d’un spectre plutôt large de 12 tactiques (dont une séparée en deux sous-groupes). Alors que les espèces d’acariens occupent toute la largeur du spectre, il apparait que les collemboles étudiés ne se retrouvent seulement que dans 4 tactiques. Des comparaisons ont été faites avec d’autres systèmes de classification mettant l’accent sur l’histoire de vie des organismes, comme le triangle C-S-R (Grime, 1974) dans lequel les collemboles occupent un espace plutôt central de C-S à S-R et ne sont pas retrouvés du côté C-R ce qui traduit notamment une relative sensibilité aux stress ; ou encore avec une projection sur le continuum r-K (MacArthur & Wilson, 1967) qui place les collemboles dans une position intermédiaire ou tendant légèrement du côté K, montrant de bonnes aptitudes à la compétition, ou encore avec des combinaisons r et K spécifiques dans des milieux sous fortes contraintes abiotiques comme les milieux méditerranéens (Stamou et al., 2004).
Enfin, dans le but d’évaluer les modes de vie de la faune des sols, nous retiendrons également les propositions de création d’échelle ou de score représentant un degré d’affinité à la vie euédaphique (Martins da Silva et al., 2016; Parisi et al., 2005; Vandewalle et al., 2010). La proposition la plus récente (Martins da Silva et al., 2016), centrée spécifiquement sur les collemboles, se base sur la caractérisation de cinq traits d’intérêt : les ocelles (présence/absence), la longueur relative des antennes par rapport à la longueur du corps (courtes/moyennes/longues), la furca (longue, courte, absente), les écailles (présence/absence) et la pigmentation (présente avec motifs, présente sans motifs, absente), que les auteurs considèrent comme les traits évocateurs de la « forme de vie » de ces animaux. Il est alors possible d’attribuer à chaque espèce un score total allant de 0 (peu d’affinité pour la vie dans le sol) à 20 (maximum d’affinité pour la vie dans le sol) en sommant le score de chaque trait, et cet indicateur répond dans l’étude citée à un gradient d’usage des sols contrairement à des indices basés uniquement sur la richesse taxonomique.

Table des matières

Introduction générale
1. Le sol et sa biodiversité
1.1 La vie dans les sols : all the small things
1.2 Le sol comme pourvoyeur de fonctions et services
2. Les sols : menacés par les changements globaux
3. Les collemboles, acteurs de la faune du sol
3.1 Généralités sur les collemboles
3.1.1 Taxonomie et anatomie
3.1.2 Biologie et écologie
3.2 Classifications fonctionnelles
3.2.1 Formes de vies, modes de vie
3.2.2 Rôles fonctionnels dans l’écosystème
4. L’écologie (fonctionnelle) basée sur les traits des organismes
4.1 Concepts de niche(s)
4.2 Ecologie des communautés
4.3 Concepts de traits fonctionnels
4.4 Mesurer la diversité fonctionnelle
5. Les traits des collemboles comme modèle d’étude dans la réponse aux gradients climatiques
6. Questions et hypothèses de travail
Références
Chapitre 1 Intraspecific body size variability in soil organisms at a European scale: implications for functional biogeography
Abstract
1. Introduction
2. Material and methods
2.1 Collembola body size data
2.2 A community-level evaluation of the ‘stable hierarchy hypothesis’
2.3 Data analysis
3. Results
3.1 Variability across trait datasets
3.2 Sensitivity of CWM to ITV using different trait datasets
4. Discussion
4.1 Species hierarchy using body size
4.2 Biological variability of traits in Collembola
4.3 Sources of intraspecific trait variability: the importance of metadata
4.4 Consequences of trait variability on community-weighted mean values
Acknowledgements
References
Annex 1.1
Chapitre 2 Ecomorphosis in European Collembola: review, distribution and potential use as an indicator of climate change
Part A – Review
A-1. Epistemology of the ecomorphosis phenomenon in the literature: historical account
A-1.1 Spinisotoma: “patient zero” and wrong diagnosis
A-1.2 Studies dedicated to ecomorphosis
A-1.3 The golden age of ecomorphosis research
A-1.4 Current literature
A-2. European Collembola with ecomorphosis
A-2.1 Species list
A-2.2 Generating the ecomorphosis literature database
A-3. Main aspects of ecomorphosis in European species
A-4. Conceptual implications of the ecomorphosis phenomenon
A-4.1 Ecomorphosis in other organisms
A-4.2 Ecomorphosis between other polymorphism and resistance mechanisms
A-4.3 Ecomorphosis: a survival strategy?
A-4.4 Ecological niche of the ecomorph: a heart-shape box
Part B – Trait-based assessment of climate change
B-1. Introduction
B-2. Material & Methods
B-2.2 Distribution of European ecomorphic species
B-2.3 Assessment of ecomorphosis in VULCAN communities
B-2.3.1 Experimental sites, the European transect
B-2.3.2 Experimental climatic manipulation
B-2.3.3 Collembola abundance data
B-2.3.4 Collembola trait data
B-2.4 Assessment of ecomorphosis in ECOPICS communities
B-2.4.1 The altitudinal gradient and Collembola communities
B-2.4.2 Collembola trait data
B-2.5 Statistical analysis
B-3. Results
B-3.4 Distribution of the species occurrences carrying ecomorphosis at the European scale (Palearctic)
B-3.5 Ecomorphosis in the VULCAN experiment
B-3.5.1 Distribution of the ecomorphosis at the European scale in VULCAN communities
B-3.5.2 Responses of the ecomorphosis to climatic manipulations
B-3.6 Responses of ecomorphosis to the ECOPICS altitudinal gradient
B-4. Discussion
B-4.1 Species list: subject to change?
B-4.2 Species distribution in GBIF data
B-4.4 Ecomorphosis in Europe along climatic gradients: influence of drought and temperature
at different spatio-temporal scales
B-4.1 Effect of the biogeographical gradient
B-4.2 Effect of climatic treatments
B-4.3 Effect of altitudinal gradient
B-4.5 Conclusions and perspectives
Acknowledgements
References
Annex 2.1
Annex 2.2
Annex 2.3
Chapitre 3 Functional resilience of Collembola communities in a field experiment simulating future climate change
Abstract
1. Introduction
2. Materials & Methods
2.1 Experimental site and climatic treatments
2.2 Collembola abundances data
2.3 Collembola trait data
2.4 Statistical analysis
3. Results
3.1 Effects on community functional structure
3.2 Effects on community functional composition
4. Discussion
4.1 Almost no effect on functional structure and composition and community assemblage
4.2 Comparison to similar studies
4.3 Why do we observe so few effects in our study ?
4.3.1 Because of a too high communities stochasticity
4.3.2 Because of a too low climatic treatment intensity regarding to thermal tolerance of organisms, via plasticity or acclimation
4.4 Perspectives : in this context, how to track changes in soil biodiversity?
4.4.1 Specific trait failed here (ecomorphosis) ; other traits of interest proposed?
4.4.2 Precision of the response to be enhanced: measurements, ITV ?
Acknowledgements
References
Annex 3.1
Annex 3.2
Annex 3.3
Annex 3.4
Annex 3.5
Conclusions générales et perspectives
1. Amélioration des outils dans les analyses basées sur les traits des collemboles
1.1 Proposition méthodologique : la taille du corps
1.2 Proposition ontologique : l’écomorphose
1.3 Confrontation des améliorations proposées à une manipulation climatique expérimentale
2. Perspectives pour des travaux futurs
2.1 Autres stratégies méthodologiques ?
2.1.1 Les échelles d’étude
2.1.2 La mesure individuelle de traits déjà utilisés
2.2 Autres stratégies ontologiques ?
2.2.1 La mesure de nouveaux traits / caractéristiques individuelles
2.2.1 La mesure de fonctions
Le mot de la fin
Références
Après-propos

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