Etudier les processus d’institutionnalisation discussion des cadres d’analyse néo institutionnalistes

Etudier les processus d’institutionnalisation discussion des cadres d’analyse néo institutionnalistes

Le kaléidoscope des approches institutionnelles en sciences humaines

Le terme d’institution est ambigu et a donné lieu à des développements académiques multiples et hétérogènes dans l’ensemble des sciences humaines. Ainsi, les différentes écoles institutionnelles, que ce soit dans le champ de l’économie, de la sociologie, ou des sciences politiques, peuvent renvoyer à des approches de l’institution et des épistémologies de l’action largement contradictoires les unes des autres. A titre d’exemple, alors que les économistes néo-institutionnalistes font la part belle à la rationalité individuelle, à l’utilitarisme et au calcul rationnel (même s’ils théorisent les effets de l’incertitude dans les fonctionnements organisationnels), leurs confrères sociologues adoptent une vision plus déterministe de l’acteur, largement « agi » par des forces institutionnelles qui le dépassent. De même, les différences sont-elles particulièrement importantes entre les premiers économistes institutionnalistes (Veblen, 1898; Commons, 1924; Berle et Means, 1933) et les « néo » (North, 1981; Williamson, 1985). Alors que les premiers ambitionnaient, via l’étude des institutions, de faire de la théorie économique une théorie sociale « complète », incorporant les apports de la sociologie, de l’histoire et de la psychologie (Veblen) ; ou de théoriser de manière large la responsabilité sociale des dirigeants et la gouvernance (Berle et Means) ; Pierre-Yves Gomez montre comment le développement de l’approche néo institutionnaliste en économie s’est fait en partielle « trahison » de l’héritage des anciens, en délaissant la majeure partie des approches initiales pour amender, de manière plus marginale, les cadres des approches néoclassiques dominantes (Gomez, 2004). Cette multiplicité des approches institutionnelles est importante afin de prévenir les risques d’incompréhension et de quiproquos. Elle est aussi utile pour s’interroger sur ce qui relie ces différentes perspectives. Ces approches partagent en effet une volonté, plus ou 114 Cette précision est importante pour comprendre la manière dont est définie la notion d’institution par les auteurs de la TNI. Les cadres d’analyse néo-institutionnalistes . Le cas de la GRI. 203 moins critique et radicale selon les cas, d’élargir ou de compléter les hypothèses traditionnelles des cadres classiques et néoclassiques de l’économie. Elles partagent aussi une interrogation commune sur les structures de l’action collective, visant à rendre compte, au-delà de la vision individualiste et désencastrée de l’homo oeconomicus, d’un faisceau de règles et de normes qui structurent son action. Dans cette perspective large, la théorie néo institutionnelle en sociologie fonctionne d’abord comme un repoussoir aux approches économiques de l’entreprise. Ainsi, pour Bensédrine et Démil, « de manière fondamentale, le courant néo institutionnaliste en sociologie critique la conception néoclassique individualiste du comportement humain, et ce dans deux sens différents. D’une part, il écarte l’individualisme méthodologique, en affirmant que l’unité d’analyse pertinente de la vie sociale et économique n’est pas l’individu mais le phénomène collectif, interindividuel ou interorganisationnel. D’autre part, il critique la vision hédoniste de l’individu qui chercherait à maximiser son intérêt » (Bensedrine et Demil, 1998)(pp.85-86). La TNI souligne par ailleurs l’importance des processus historiques et le fait que les comportements individuels s’inscrivent dans un environnement institutionnel qui les structure 115. Pris sous cet angle, il semble souvent possible de remplacer le terme « institutionnaliste » par celui de « sociologique ». 2) Spécificités de la théorie néo institutionnelle (TNI) des organisations Pour avancer dans la compréhension des spécificités des théories néo institutionnelles (TNI) en sociologie, il est nécessaire de préciser la signification des termes d’institution et d’institutionnalisation. Un retour aux origines fondatrices de la TNI permet d’éclairer ces différents points. Les travaux de Weber sur l’émergence du capitalisme puis de Selznick sur l’institutionnalisation ont joué un rôle structurant dans la formation de la TNI (Scott, 1995; Djelic et Quack, 2003b). Dans son étude de la Tenessee Valley Authority (TVA), Selznick met en évidence la manière dont une organisation, initialement conçue pour poursuivre des objectifs rationnels, change progressivement de statut au fil de son existence, à mesure qu’elle est co-optée par son environnement social (Selznick, 1949). Pour survivre et se développer, elle procède à des arbitrages politiques avec les acteurs clés de son environnement, et s’autonomise, se charge de valeurs (« infused with values »), quitte à s’éloigner assez fortement de ses objectifs initiaux. Au cours de ce processus, l’organisation change de statut : au-delà des aspects purement techniques qui ont commandé sa création, son existence devient un enjeu symbolique et une fin en soi pour ses membres et son environnement. A travers le terme d’institutionnalisation, Selznick désigne ce processus, prenant ainsi le contre pieds d’une perspective fonctionnaliste et rationnelle des organisations. Une organisation devient une institution lorsque sa dimension symbolique l’emporte sur sa dimension strictement matérielle. Comparée à une organisation strictement technique, dont l’existence serait questionnée par toute remise en cause fonctionnelle, le statut d’institution confère à ses membres une plus grande stabilité et un plus grand soutien de son environnement social. Cette perspective trouve au moins deux échos dans les développements ultérieurs de la TNI : premièrement, on retrouve l’idée d’une distinction entre la sphère matérielle et productive (garante de l’efficacité technique et de la rationalité de l’organisation) et la sphère sociale (ou se joue la légitimité de l’organisation et sa capacité de survie) à travers le concept de découplage (decoupling) entre les sphères techniques et institutionnelles, qui occupe une place centrale dans plusieurs travaux, dont ceux de Meyer et Rowan (1977). Pour les auteurs, la structure organisationnelle répond avant tout à des contraintes de légitimation à l’œuvre dans son environnement institutionnel (il s’agit de se conformer à des rites et des croyances partagées). Comment expliquer que les organisations subsistent alors que leur structure organisationnelle ne répond pas à des objectifs d’efficacité ? Ce paradoxe apparent est levé grâce au concept de découplage : les organisations doivent être analysées comme des systèmes complexes et faiblement couplés. La structure de l’organisation, si elle n’obéit pas à une logique d’efficacité, reste largement dissociée des contraintes opérationnelles et techniques « réelles ». Ce sont les acteurs opérationnels qui, in fine, sont garants, malgré la structure, de l’efficacité de l’organisation. La deuxième influence des travaux de Selznick tient à son approche de l’institutionnalisation : pour de nombreux auteurs, l’institutionnalisation désigne un processus d’autonomisation par lequel une notion, un comportement, ou une organisation devient « tenue pour acquise », que l’on ne conteste plus, et qui acquiert une valeur en tant que telle. L’idée de stabilité apparaît essentielle à la notion d’institution. Cette approche est relativement proche de celle de Berger et Luckman (Berger et Luckmann, 1966, 2004) qui montrent comment des manières de faire, des comportements ou des phénomènes sociaux sont progressivement « réifiés », naturalisés et progressivement incorporés dans le corpus de la tradition. Ces institutions sont alors détachées de leur contexte d’origine et transmises de génération en génération par les processus de socialisation (cf. schéma 4.1.). L’institutionnalisation renvoie au processus par lequel un fait social, un acteur ou une organisation acquiert un caractère d’évidence. Ainsi, Lynne Zucker (1987: 444) définit l’adjectif “institutionnel” comme “(a) a rule-like, social fact quality of an organized pattern of action (exterior), and (b) an embedding into formal structures, such as formal aspects of organizations that are not tied to particular actors or situations (nonpersonnal/objective)” (Zucker, 1987).

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