Expérience et exercice du rôle grand-parental

Expérience et exercice du rôle grand-parental

La naissance d’un premier enfant va de pair avec l’acquisition de nouveaux rôles familiaux se définissant dans un système d’attentes de la solidarité familiale intergénérationnelle qui préexiste et évolue avec l’interprétation de ces rôles. Ce chapitre examine la manière dont le rôle grand-parental se compose dans cet univers d’attentes réciproques, et particulièrement dans son rapport au rôle parental. En réponse au deuxième objectif de recherche, il explore les questions suivantes : quelles sont les fonctions grandsparentales tenues? Comment le rôle grand-parental s’arrime-t-il au rôle parental? Comment les parents s’accommodent-ils de cette implication grand-parentale auprès d’eux et de leur(s) enfant(s)? 

Le rôle grand-parental : d’abord répondre aux besoins de ses enfants devenus parents

S’il a été question, dans le chapitre précédent, des multiples transformations de la solidarité familiale intergénérationnelle avec la naissance d’un enfant, notamment des nouvelles attentes qui se posent aux grands-parents, selon lesquelles ils doivent être disponibles et soutenir les parents, les pages qui suivent analysent plutôt la réponse aux attentes dans l’interprétation du rôle grand-parental. Certains grands-parents définissent d’ailleurs explicitement leur nouveau rôle dans la famille comme un rôle de soutien et de support à [leurs] enfants (Marcel J.), autant sur le plan du soutien économique, du soutien financier, du soutien moral dans certaines occasions (Jean-Pierre D.). 

Le soutien financier, les services et la coopération

À la suite de divers dons matériels et financiers offerts pour la préparation à l’arrivée des enfants et lors des relevailles – achat de meubles, d’équipements et de vêtements par exemple – certains grands-parents offrent également du soutien financier plus substantiel après cette période transitoire, comme pour Jean-Pierre D., Claire B. et Jacques E.. Pour que son fils puisse revenir s’établir à Québec après la naissance de ses enfants, Jean-Pierre D. lui a fourni un grand logement dans un des immeubles lui appartenant, avec possibilité qu’il en devienne le propriétaire; sorte d’héritage avant le terme (François D.). Claire B. et Jacques E. offrent également des prêts sans intérêt à leurs enfants pour l’achat de propriétés immobilières, leur permettant ainsi d’avoir de meilleures conditions matérielles sans s’endetter. Jacques souligne d’ailleurs qu’il entretient des craintes concernant la Expérience et exercice du rôle grand-parental 103 sécurité financière de ses enfants et voit le soutien financier comme l’une des principales fonctions de son rôle grand-parental : […] l’objectif c’est un peu d’aider les autres, et les premiers qui nous viennent à l’esprit, bien c’est nos enfants, au premier rang, pis nos proches qui en ont besoin […]. D’une certaine façon, à moins d’un d’événement que je ne vois pas à l’horizon, moi je pense que mes enfants n’auront pas les conditions financières et matérielles que ma femme et moi avons eues, parce qu’on a eu beaucoup de chances là […]. Donc nous, on a tendance à remiser dans un petit bas de laine, pour eux. Pis dans notre esprit, toutes nos économies et nos actifs immobiliers, nos avoirs financiers, tout ce qu’on a pu placer au cours de notre vie, tout ça, c’est pour nos enfants. (Jacques E.) Si le soutien financier offert par les grands-parents n’est pas généralisé, il en va tout autrement des services et de la coopération pour l’entretien de la maison et de la cour, ainsi que pour l’assistance dans les tâches ménagères. À l’exception d’Yvette C., tous les grands-parents rencontrés accomplissent plus ou moins régulièrement au moins une de ces tâches. Quelques grands-parents soulignent toutefois que les pratiques de soutien nécessitant une certaine capacité physique sont moins nombreuses qu’auparavant. La coopération dans les rénovations et l’entretien de la maison ont encore lieu, mais dans une moindre mesure : On le fait encore, mais moins. Peut-être parce qu’on n’a pas assez d’énergie pour le faire (JeanPierre). Pour d’autres grands-parents, ce sont davantage les contraintes de temps qui empêchent d’offrir autant de soutien que souhaité aux parents, comme c’est le cas d’Alain G. qui est encore sur le marché du travail. Chez ceux qui sont à la retraite et disponibles, les pratiques de soutien auprès des nouveaux parents peuvent être très fréquentes et régulières. Si l’aide qu’offre Marcel J. à ses filles est généralement ponctuelle, lui et sa conjointe ont également fait le ménage chez Stéphanie J. durant une certaine période de temps : Pendant un bout de temps, ils faisaient le ménage chez nous. Je payais une femme de ménage, pis j’étais pas contente. Ça fait que mes parents se sont proposés. Mes parents, le ménage là, il n’y a rien qui… ça fait qu’ils ont fait le ménage chez nous pendant un petit bout de temps. (Stéphanie J.) Denise F. s’occupe également de faire des tâches ménagères, chez ses enfants, pour que ceux-ci puissent s’investir davantage dans leur rôle parental et puissent passer plus de temps de qualité avec leurs enfants : Le samedi, [mon fils et sa conjointe] faisaient le ménage, et le dimanche ils popotaient pour la semaine… Je me suis dit : « Et les enfants eux autres? ». Ça fait que là, je leur ai dit : « Je vous donne une journée, comme cadeau »… ben cadeau, c’est un grand mot. […] Donc le samedi, ils n’ont pas besoin… il faut toujours un peu ramasser avec les enfants, mais le plus gros est fait, les lavages, les… Je fais tout. Le samedi, ils adorent ça, ils peuvent se permettre de sortir avec les enfants dehors, de jouer avec les enfants dehors, de faire des activités avec les trois enfants. Moi, moi ça me fait plaisir qu’ils s’occupent des enfants. Ils sont avec les enfants, et c’est tellement important. Ça fait que les jeudis, je fais ça. Ça va arriver aussi que je vais chez [Josée]. Je suis allée hier : j’ai fait ses tâches comme laver la douche, j’ai fait du ménage. C’est moins fixé avec [Josée], parce qu’elle ne part pas à 7h30 le matin comme [mon fils]. Elle a plus le temps. (Denise F.) 

Le soutien informatif et émotionnel : guider et conseiller dans l’exercice du rôle parental

Le rôle grand-parental de soutien auprès des parents peut, dans bien des cas, aller au-delà de ces services concrets. Les grands-parents assurent également une présence sécurisante, une oreille attentive et une source de conseils dans l’exercice du rôle parental. Tel que mentionné dans le chapitre précédent, Isabelle E. et François D. recherchent un soutien émotionnel et informatif auprès de leurs parents, mais ces derniers s’efforcent de respecter leur intimité et leur autonomie : On était au bout du fil, mais on essayait de ne pas s’immiscer dans sa vie personnelle. Elle avait besoin d’un certain soutien, alors elle nous appelait. Le nuage est passé vite, ça n’a pas duré longtemps et ça ne s’est pas dégradé. C’était un soutien plutôt psychologique. (Jacques E.) Les gérants d’estrade, j’ai toujours haï ça quand ça nous concernait. Ça fait qu’on ne veut pas jouer les gérants d’estrade avec nos enfants. Des fois, on peut peut-être glisser subtilement, mais non. On n’est pas des donneurs de conseils et d’ordres. (Jean-Pierre D.) Nathalie B. recherche également du soutien informatif auprès de sa mère et lui demande assez régulièrement des conseils concernant l’éducation de ses filles. Puisque la crainte d’empiéter sur le rôle parental et sur l’autonomie n’est pas aussi importante chez Claire B. que chez Jean-Pierre D. et Jacques E., celle-ci n’hésite 105 pas à faire part de son opinion à Nathalie : Quand je vois qu’il y a quelque chose, qui pourrait s’améliorer pour que l’enfant soit mieux, [je vais le dire]. […] Je sais qu’ils me voient comme une ressource (Claire B.). Denise F. et Nicole H. donnent également des conseils, mais n’ont pas les mêmes intentions d’influence que Claire B : des fois, je lui dis, des petits conseils comme ça, [mais] elle a plus le tour que moi (rires)! (Nicole H.). Cela est d’autant plus vrai que leurs filles, Josée F. et Joannie H., sont nettement moins réceptives que Nathalie B. : Ils me disent comment faire pis… des fois ça n’a pas rapport (rires)! T’sais de faire ça de telle façon… J’en prends et j’en laisse. Je vais avec mes valeurs et ce que je considère important. Mais c’est correct, des fois c’est une bonne idée que j’avais pas pensé. (Joannie H.) J’écoute, j’essaie de comprendre, mais ça ne veut pas dire que je vais le faire. Mais souvent leurs conseils sont bons. […] T’sais, je ne suis pas fermée à leurs conseils, mais je chemine… J’en reçois assez, pis ça me convient, tant qu’ils respectent mes décisions. (Josée F.) Le niveau de réceptivité des parents à l’égard des conseils peut ainsi influencer la quantité, le type de conseils et l’insistance avec laquelle ils sont donnés; les grands-parents retenant et modérant davantage leur propos lorsqu’ils les savent moins bien accueillis. De la sorte, des grands-parents comme Monique A. peuvent être tiraillés entre leur volonté de donner des conseils et leur crainte que ceux-ci soient interprétés par les parents comme une forme d’ingérence dans leur vie familiale : Elle ne demande pas de conseils, pis elle n’en reçoit pas. Je vois des choses que je ferais autrement, c’est sûr! Les jeunes aujourd’hui pensent innover et ils lisent beaucoup de livres. Ils pensent qu’ils ont tout inventé. […] [je ne donne pas de conseils parce que] ma belle-mère était contrôlante et c’était épouvantable! Et j’ai tendance à être comme ça, moi aussi. Je m’en rends compte. J’essaie de mettre la pédale douce. J’ai vu les ravages que ça faisait, pis c’est pas une bonne chose. (Monique A.) Marcel réfrène également ses envies de donner des conseils aux parents pour éviter de provoquer un « choc des cultures familiales » (Attias-Donfut et al., 2002) et d’ainsi engendrer des conflits intergénérationnels : […] il y a la problématique du conjoint. T’sais quand tu as un conjoint, il n’a pas les mêmes valeurs que toi, il n’a pas la même éducation. Pour lui, il y a des choses qui ne sont peut-être pas importantes, mais pour nous autres, c’est important. T’sais, on le voit avec nos filles versus les gendres. […] Je pense que s’il y a des demandes des parents, on peut donner des conseils, mais on ne veut pas s’immiscer làdedans. Je me dis toujours que ce qu’on a inculqué à nos enfants va se refléter dans ce qu’ils veulent faire. Là-dessus, on est plus en réponse à leurs demandes, que prendre les devants. (Marcel J.) L’implication des grands-parents dans l’unité familiale de leurs enfants, notamment en ce qui concerne le soutien informatif offert, se fait généralement dans un souci de respecter l’autonomie parentale de leurs enfants, mais également de leurs gendres et brus. La dimension consensuelle de la solidarité se voit parfois ébranlée lorsqu’il y a du soutien informatif : le décalage étant alors perceptible dans la réticence à donner des conseils et dans la réception de ceux-ci.

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