Facteurs de risque en lien avec la présence de troubles de santé mentale

Répétition des tentatives de suicide

Le fait d’ avoir un antécédent de tentative de suicide a aussi été identifié pour expliquer le risque d’un nouveau passage à l’acte suicidaire, et ce, dans la population générale et carcérale. Dans la plupart des études portant sur les facteurs de risque du suicide, un historique d’auto-agression ou de tentatives de suicide est le facteur le plus important, présent dans au moins 40 % des cas (Hawton & van Heeringen, 2009). Fruehwald, Eher et Frottier (2001) ont examiné le lien entre les comportements suicidaires antérieurs et les suicides complétés. Ils ont trouvé que 50 % des détenus qui ont commis un suicide avaient fait des tentatives de suicide par le passé. Les recherches suggèrent que les détenus qui ont un historique de comportements suicidaires sont plus enclins à commettre un suicide que leurs pairs qui n’ont aucun antécédent de comportements suicidaires (Daniel & Fleming, 2006). La prévalence des antécédents suicidaires étant élevée en détention, Daigle et Côté (2002) ont réalisé une étude ayant entre autres buts d’identifier les détenus pouvant être suicidaires dans deux établissements de détention provinciaux québécois. Des 243 détenus évalués (recrutés aléatoirement), 28 % rapportent avoir déjà fait au moins une tentative de suicide dans leur vie (7,8 % dans la dernière année), pour une moyenne de 3,9 tentatives par individu.

De ce nombre, 76,5 % en ont fait 3 ou moins, mais 4,5 % en ont quand même fait 20 ou plus. Les 265 tentatives rapportées ont été réalisées pour la plupart dans la communauté (82,6 %), mais un certain nombre également lors d’une incarcération (14,7 %) ou lors d’un séjour en centre d’ accueil pour jeunes (2 ,6 %). Bien que le lieu principal des tentatives de suicide se retrouve dans la communauté, un certain nombre d’individus commettent donc des tentatives de suicide une fois à l’intérieur des établissements correctionnels. Bien que la démonstration du lien entre les comportements suicidaires et le suicide ne fût pas l’objectif de l’étude de Daigle et Côté (2002), il n’en demeure pas moins que l’ampleur des comportements suicidaires retrouvés chez les participants de l’étude les place à risque de comportements suicidaires ultérieurs et d’une possible mort par suicide. Il se peut aussi qu’un détenu n’ait aucun historique de tentatives de suicide et puisse tout de même passer à l’acte une fois rendu en détention. Dans une étude de Laishes (1997) sur 66 suicides en milieu carcéral, l’auteure démontre qu’au moins 55 % des détenus morts par suicide n’ avaient aucun historique documenté de comportements auto-agressifs, 44 % n’ avaient jamais tenté de se suicider auparavant et 59 % n’avaient pas démontré de signes ou d’indications comme quoi ils comptaient se suicider. Malgré cette possibilité, il n’en demeure pas moins que le fait d’avoir déjà fait une tentative de suicide dans le passé constitue un facteur de risque important, autant en ce qui concerne la population générale que celle en détention, ce qui se doit d’être impérativement exploré lorsque les nouveaux détenus arrivent en détention.

La présence de tentatives de suicide antérieures étant un facteur de risque à part entière pour un suicide, les chercheurs se sont aussi intéressés à la question de la répétition des tentatives de suicides suite à une tentative ou un acte d’automutilation. Comme il a été dit, les individus ayant un historique de tentatives de suicide et d’automutilation forment un groupe à haut-risque (Christiansen & Jensen, 2007). Owen, Horrocks et House (2002) ont analysé la récurrence de la tentative de suicide dans la population générale après une première tentative à partir d’études publiées sur le sujet (n = 90) provenant du RoyaumeUni, des pays scandinaves, de l’Amérique du Nord, de l’Australie et de la NouvelleZélande. Selon Owen et ses collègues (2002), la probabilité d’une répétition de la tentative de suicide est la plus élevée à l’intérieur de la première année (un minimum de 16 % réessayait à l’intérieur de la première année, 21 % à l’intérieur des quatre premières années et 23 % plus de quatre ans après).

Plus encore, la probabilité de mourir par suicide après une première tentative était la plus élevée à l’intérieur de la première année (un minimum de 1,8 % se suicidait à l’intérieur d’un an, 3 % à l’intérieur des quatre premières années, 3,4 % à l’intérieur de neuf ans et 6,7 % plus de neuf ans après). Le risque de mourir par suicide est 100 fois plus élevé chez les personnes ayant déjà fait une tentative de suicide malgré le fait que la plupart ne meurt pas par suicide (Owens, Horrocks, & House, 2002). Dans une étude portant sur le risque de mourir par suicide, Christiansen et Jensen (2007) ont analysé, à partir de plusieurs études, la probabilité de ce type de mort chez un groupe d’individus ayant fait une première tentative de suicide (n = 2614) en comparaison avec un groupe d’individus n’ayant pas fait de tentative. Les résultats de leurs analyses démontrent que la probabilité de mourir par suicide à l’intérieur d’une période de 1750 jours (4,75 ans) est approximativement 60 fois plus élevée pour ceux qui ont fait une tentative de suicide que pour ceux n’en ayant pas fait, ce qui s’approche de l’approximation d’Owens et de ses collègues (2002).

Facteurs de risque en lien avec la présence de troubles de santé mentale Plusieurs recherches portant sur le suicide en milieu carcéral se sont intéressées aux divers troubles mentaux, principalement ceux des axes 1 et II de la classification du Diagnostic and Statistical Manual of Mental Disorders (DSM-IV, APA, 1994), comme étant des facteurs de risque potentiels pour les comportements suicidaires. La présence de troubles psychiatriques préexistants au sein des populations suicidaires est citée comme l’un des facteurs de risque les plus significatifs que le clinicien doit considérer pour évaluer le risque potentiel de décès par suicide (Engstrom, 2005). Une mise en garde se doit cependant d’être faite concernant la relation entre le suicide et les troubles mentaux : suicide et troubles mentaux sont deux problématiques qui sont souvent associées dans la population générale, mais il faut se garder d’ établir des liens de causalité directe.

En effet, ce ne sont pas toutes les personnes ayant des troubles mentaux qui se suicident, de même que ce ne sont pas tous les suicidés qui ont des troubles mentaux (Daigle & Côté, 2001). Dans une méta-analyse de 62 études provenant de 12 pays différents (18 530 prisonniers masculins au total), Fazel et Danesh (2002) en sont arrivés aux résultats suivants dans les cas des personnes suicidées en détention: 3,7 % avaient des troubles psychotiques, 10 % avaient une dépression majeure et 65 % avaient un trouble de la personnalité, dont 47 % ayant le trouble de la personnalité antisociale. Ces données indiquent que, pour les détenus suicidés, les risques d’avoir un trouble de santé mentale grave sont élevés. En comparant les données des détenus avec la population générale américaine et britannique de même âge, Fazel et Danesh concluent que les détenus sont environ deux à quatre fois plus à risque d’avoir un trouble psychotique et une dépression majeure et environ dix fois plus à risque d’avoir un trouble de la personnalité antisociale. En tenant compte de cette prévalence élevée de troubles mentaux et du stress qui accompagne l’ arrestation et l’emprisonnement, le risque de suicide est particulièrement saillant dans un cadre médicolégal et correctionnel (Douglas et al., 2008).

Shaw et al. (2004), qui ont fait une étude portant sur 172 cas de morts par suicide répertoriés dans les prisons d’Angleterre et d’Écosse pour les années 1999 et 2000, ont trouvé que, dans 89 cas sur les 172 au total (57 %), des symptômes de troubles mentaux ont été détectés lors de l’évaluation des détenus à leur arrivée en détention, les plus communs étant l’ intoxication ou le sevrage aux drogues ou à l’ alcool (43 , 27 %), l’anxiété (27, 17 %), les pensées suicidaires (25, 16 %) ou la dépression (25 , 16 %). Il peut exister une différence entre les statistiques provenant des autres pays, les États-Unis en tête, et celles du Québec qui peut refléter une différence au niveau des lois et du système judiciaire du pays concerné. Il existe des différences reconnues entre les États-Unis et le Québec, différences qui pourraient affecter la prévalence des troubles mentaux en milieu carcéral: notons à titre d’exemple, les différences dans l’accessibilité aux services de santé (Hodgins & Côté, 1990). Les données provenant des différentes recherches sur les troubles mentaux en milieu carcéral amènent à croire que la prévalence des troubles mentaux chez les détenus du Québec serait supérieure à celle de la population générale. Hodgins et Côté (1990) ont évalué la prévalence des troubles mentaux dans les pénitenciers québécois dans un échantillon de 495 détenus.

De cet échantillon, 22,7 % ont reçu un diagnostic de troubles mentaux graves incluant la schizophrénie (6,3 %), le trouble bipolaire (4,2 %) et la dépression majeure (11 %). À cette prévalence élevée des troubles mentaux graves et persistants, il faut ajouter un taux de prévalence de troubles dysthymiques de 8,1 % et 33 % de tentatives de suicide, bien que l’information concernant le lieu des tentatives ne soit pas connue (Hodgins & Côté, 1990). Dans l’étude de Daigle et Côté (2002), citée antérieurement à propos de la prévalence des antécédents suicidaires, ces auteurs ont aussi évalué la présence de troubles mentaux graves dans leur échantillon. Au cours du mois précédant l’évaluation des détenus, 14,1 % ont présenté un trouble de santé mentale considéré habituellement comme grave: trouble psychotique (4,1 %), dépression majeure (6,6 %) ou trouble bipolaire (3 ,3 %). Ces données viennent appuyer les résultats de recherche démontrant une plus grande prévalence de troubles mentaux en milieu carcéral.

Comorbidité et comportements suicidaires

Bien que les précurseurs des comportements suicidaires peuvent se retrouver autant dans les troubles de l’ axe 1 que ceux du groupe B de l’ axe II du DSM-IV (APA, 1994), c’est souvent une comorbidité de ces troubles qui est retrouvée dans les recherches portant sur les comportements suicidaires dans la population générale et carcérale. La comorbidité des troubles de l’axe 1 et de l ‘axe II est rapportée dans 14 % (Vijayakumar & Rajkumar, 1999) à 58 % de toutes les victimes de suicide (Cheng, Mann, & Chan, 1997). Dans une étude de Schneider et al. (2008) portant sur la façon dont les troubles de la personnalité modifient le risque suicidaire lorsqu’ il est associé aux troubles de l’ axe l, les résultats démontrent qu’une comorbidité de troubles de l’axe 1 et de l’ axe II était associée à un risque suicidaire plus élevé que pour un trouble de la personnalité pris individuellement ou un trouble de l’axe 1 seulement. La plupart des personnes qui meurent par suicide ont un trouble psychiatrique, notamment un trouble de l ‘humeur, d’abus de substance, d’ anxiété, un trouble psychotique et des troubles de personnalité, une comorbidité étant un élément commun (Hawton & van Heeringen, 2009).

Pour Hawton et van Heeringen (2009), presque la totalité des personnes mortes par suicide ayant un trouble de la personnalité avaient des symptômes dépressifs concomitants, un trouble d’ abus de substances ou les deux. Quant à Cheng et al. (1997), ces auteurs ont trouvé que le suicide était associé significativement à la comorbidité de différents troubles de la personnalité et une comorbidité d’un trouble de la personnalité avec d’ autres troubles psychiatriques, particulièrement une dépression sévère. Malgré le fait qu’une comorbidité axe 1 – axe II soit rapportée dans la littérature scientifique sur le suicide en général et en détention, il ne semble pas y avoir de comorbidités de troubles spécifiques pour décrire le geste suicidaire. Bien que la présence d’un trouble de l’axe l ou de l’axe II puisse être considérée comme un facteur de risque pour les comportements suicidaires, c’est surtout la présence d’une comorbidité de troubles de l’axe l avec ceux de l’axe II qui augmente substantiellement le risque de passage à l’acte. À travers les troubles de santé mentale, une caractéristique est souvent évoquée pour décrire la personne qui a un trouble de santé mentale, en l’occurrence l’impulsivité. Bien que l’impulsivité ne soit pas toujours utilisée comme un critère diagnostique lors de l’émission d’un diagnostic, les personnes ayant un trouble de santé mentale sont souvent décrites comme étant des personnes impulsives. De plus, le lien entre impulsivité et comportements suicidaires a souvent été décrit à travers la littérature scientifique portant sur le suicide

Table des matières

Sommaire
Liste des tableaux
Liste des figures
Remerciements
Introduction
Contexte théorique
Recherche en détention: ampleur des comportements suicidaires et notions théoriques
Ampleur des comportements suicidaires en détention
Problèmes de terminologie
Théories de l’importation et de la privation
Caractéristiques sociodémographiques et comportements suicidaires
Facteurs de risque sociodémographiques en détention
Facteurs de risque en lien avec la présence de troubles de santé mentale
Comorbidité et comportements suicidaires
Impulsivité et comportements suicidaires
TDAH, étiologie et prévalence
TDAH et les troubles comorbides
Autorégulation, fonctions exécutives, TDAH et comportements suicidaires
Modèles théoriques explicatifs
Conduites criminelles, délinquance et TDAH
Violence hétéro-agressive et violence auto-agressive
TDAH et comportements suicidaires
Objectifs de la recherche
Hypothèses de recherche
Méthode
Participants
Instruments de mesures
Troubles mentaux et troubles de la personnalité (axes 1 et II du DSM-IV)
Regroupements des variables issues du SCID
Comportements auto-agressifs
Comportements hétéro-agressifs
Trouble du déficit de l’attention avec ou sans hyperactivité
Procédure d’analyses des résultats
Résultats
Analyses descriptives
Analyses confirmatoires
Discussion
Recommandations
Limites
Conclusion
Références

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