Histoire de la patrimonialisation des cathédrales en France 

Histoire de la patrimonialisation des cathédrales en France 

Méprisé par les hommes de la Renaissance qui privilégient les arts et la science de l’Antiquité, l’art qualifié péjorativement de gothique est délaissé pendant plusieurs siècles. La Révolution française marque un premier tournant dans notre rapport aux cathédrales. En effet, bien que les cathédrales aient été dans un premier temps la cible des révolutionnaires, les dégradations ont été relativement faibles sur ces édifices, en comparaison d’autres symboles de l’Ancien Régime. Grâce à ses écrits et à sa prise de position contre le « vandalisme », terme dont il est à l’origine, l’abbé Grégoire a permis une prise de conscience par les révolutionnaires des destructions abusives perpétrées par certains d’entre eux, trop zélés, et a posé les bases d’une première politique de sauvegarde du patrimoine. Ainsi, le regard sur le patrimoine se modifie, preuve en est, il est décidé que « les œuvres du passé doivent être conservées pour autant qu’elles participent à l’effort d’instruction publique et fassent comprendre à la population le progrès social, technique, culturel et politique » 8 . La Révolution donne un nouveau sens au patrimoine, qui est désormais le patrimoine de la Nation. De ce nouveau statut du patrimoine découle une intervention très forte de la puissance publique dans les questions patrimoniales puisqu’elle devient désormais la seule autorité à gérer et à intervenir sur le patrimoine : « la Révolution a inventé un principe : celui de la collectivisation des œuvres d’art, des livres et des monuments d’architecture (pour ce qui concerne les églises et les abbayes), ainsi qu’un corollaire, l’intervention exclusive des pouvoirs publics en cette matière » 9 . À la suite de la Révolution, les nationalisations des biens religieux sont confirmées par le régime concordataire de 1801 : les cathédrales appartiennent désormais à l’État tout en restant affectées au culte catholique10 . La période qui marque un autre tournant important dans l’histoire de la patrimonialisation des cathédrales est le XIXè siècle, dans son ensemble. En effet, les Français redécouvrent leur patrimoine médiéval, grâce aux artistes du courant romantique mais aussi au gouvernement de la Monarchie de Juillet. Ces artistes perçoivent la cathédrale comme un symbole de la liberté du peuple face aux autorités en place, ce qui s’accorde avec leur volonté de voir la société évoluer vers une plus grande laïcisation. Le principal roman qui érige cette symbolique de la cathédrale est Notre-Dame de Paris, publié en 1831. Comme le présente Christian Amalvi, Victor Hugo parle dans son œuvre du langage des pierres qui révèle « que le peuple se venge de la tyrannie cléricale en montrant moines, nonnes, curés, évêques, prélats, pontifes – bref tous ces ecclésiastiques encagoulés, encapuchonnés, ensoutanés, tonsurés, mitrés – dans des postures grotesques et bouffonnes. Les monstres […] semblent blasphémer, contredire et tourner en dérision les saints mystères qui se déroulent dans la pénombre des nefs ». Les débats sur la symbolique des cathédrales, à cette période, sont foisonnants. L’abondante littérature produite sur les cathédrales au cours du XIXè siècle a permis de développer l’intérêt des Français pour le patrimoine monumental médiéval et d’amorcer une prise de conscience de l’état de conservation généralement mauvais de ces édifices. Le gouvernement, à partir de la Monarchie de Juillet, a aussi contribué très fortement à cette redécouverte et à la préservation de ce patrimoine. En effet, en 1830, le poste de premier inspecteur des monuments historiques est créé. François Guizot y nomme Ludovic Vitet, qui, dans une monographie de la cathédrale de Noyon en 1845, donne une nouvelle fonction au gothique en évoquant « le caractère essentiellement national du style de l’ogive ». La Monarchie de Juillet reprend, d’une certaine manière, la thèse de Victor Hugo et utilise les cathédrales comme un symbole politique.

Synthèse historiographique 

Afin de bien comprendre la mise en place de la patrimonialisation des cathédrales et les modifications de leur représentation dans l’imaginaire collectif, la lecture de plusieurs ouvrages a, comme nous l’avons vu précédemment, été une étape nécessaire et instructive. Nous revenons, dans cette partie, sur les auteurs et les théories qu’ils exposent dans les ouvrages qui constituent notre bibliographie et sur notre position quant à ces théories. Un ouvrage qui ne semble pas être le plus important de notre bibliographie de prime abord mais qui pourtant a été l’une des lectures les plus enrichissantes est l’ouvrage de Michela Passini, La fabrique de l’art national : le nationalisme et les origines de l’histoire de l’art en France et en Allemagne, 1870-1933. Ancienne élève à l’École Normale Supérieure de Pise, spécialiste de l’histoire de l’histoire de l’art et des processus de patrimonialisation dans une perspective internationale, Michela Passini offre, dans sa thèse, des clés de compréhension fondamentales sur la construction du gothique en tant qu’art national. Cet ouvrage replace le processus de patrimonialisation des cathédrales dans leur contexte politique, social, intellectuel en se basant sur les écrits d’historiens de l’art du XIXè siècle et du début du XXè siècle et sur le discours politique pendant et à la fin de la Première Guerre mondiale. En étudiant le développement de l’histoire de l’art en Europe, à une époque où les nations s’affrontent et cherchent à asseoir leurs particularités, Michela Passini prouve à quel point notre représentation du gothique trouve son origine dans le discours de la Troisième République. Cette construction du récit national autour du gothique constitue un aboutissement à la redécouverte du patrimoine monumental médiéval au XIXè siècle, comme l’expose Jean-Michel Leniaud dans son ouvrage phare, Les cathédrales au XIXè siècle. Historien de l’art, éminent spécialiste de l’histoire contemporaine de l’architecture et du patrimoine, Jean-Michel Leniaud présente dans cet ouvrage une quantité exceptionnelle d’informations sur la place des cathédrales au XIXè siècle, les relations entre l’État et l’Église, les débats sur les travaux et restaurations, les hommes qui ont joué un rôle dans la gestion et la préservation de ces monuments. Cet ouvrage plonge le lecteur dans la gestion quotidienne des cathédrales sous les différents régimes du XIXè siècle et présente les transformations qui y ont eu lieu, qu’il s’agisse de la construction des flèches, de l’ « épuration » de l’espace urbain autour des cathédrales, de l’installation d’un mobilier nouveau en leur sein, de travaux permettant d’adapter ces monuments aux nouveaux besoins du clergé. En cela, cet ouvrage offre au lecteur une étude très intéressante sur les cathédrales et lui fait prendre conscience des profondes modifications que le XIXè siècle a apporté à ces monuments, leur faisant perdre leur configuration précédente et privant les générations suivantes de la vision des monuments tels qu’ils étaient et tels qu’ils servaient. Cet ouvrage permet, enfin, de prendre connaissance des diverses fonctions qui sont conférées à ces monuments au XIXè siècle : les cathédrales sont alors un symbole religieux, politique, architectural mais aussi un « mémorial du passé » 32, nous poussant ainsi à réfléchir à leurs fonctions actuelles et aux activités et discours qui en découlent. D’autres ouvrages permettent de prendre conscience des changements, des évolutions des cathédrales qui ne sont plus visibles dans leur état d’origine, ce qui peut sembler être du bon sens mais qui est peu, voire pas, rappelé dans les dispositifs de valorisation. Le petit ouvrage Quand les cathédrales étaient peintes , par l’un des spécialistes de l’architecture gothique et des cathédrales, Alain Erlande-Brandenburg, présente clairement et de manière très illustrée la construction d’une cathédrale gothique. Les précisions qu’apporte cet ouvrage sur la mise en place, le déroulement du chantier, les conditions matérielles et humaines sont très instructives et nous ont amené à analyser la place de la thématique des constructions des cathédrales dans la valorisation de ces monuments. Un dernier ouvrage qui est très intéressant pour comprendre la symbolique médiévale, qu’elle concerne les couleurs, les animaux, les végétaux ou encore la littérature, est celui de Michel Pastoureau, Une histoire symbolique du Moyen Âge occidental. Si cet ouvrage peut paraître éloigné du sujet de notre recherche, il n’en est pas moins important pour obtenir des clés de compréhension de ce qui n’est plus à notre portée : l’évolution de notre société, le développement de nouvelles technologies ne nous permettent pas de comprendre la signification des symboles médiévaux. C’est notamment le cas, dans les cathédrales, des couleurs ou encore des armoiries ou emblèmes présents sur les clés de voûte. Historien spécialiste de l’histoire des couleurs et des symboles, Michel Pastoureau délivre dans cet ouvrage un message qui est, à notre sens, très parlant et qui peut être résumé par cette citation : « N’oublions pas non plus que nous voyons aujourd’hui les images, les objets et les couleurs dans des conditions d’éclairage totalement différentes de celles qu’ont connues non seulement les sociétés du Moyen Âge mais aussi toutes celles qui ont vécu avant l’invention de l’électricité domestique »  . Michel Pastoureau écrit également « L’église fonctionne comme une machine complexe dont la lumière et les couleurs sont les énergies principales, les fluides opératoires »  , « la couleur [est] présente partout dans l’église : sur les sols, sur les murs, sur les piliers, sur les voûtes et sur les charpentes, sur les portes et sur les fenêtres, sur les tentures, sur le mobilier, sur les objets et sur les vêtements du culte. Tout ce qui est en bois, en terre, en pierre, en cire ou en étoffe est ou peut être coloré. Et ce qui est vrai de l’intérieur du bâtiment l’est souvent aussi de l’extérieur, du moins jusqu’à une date avancée de la période gothique, souvent le milieu du XIVè siècle. […] Du IXè au XVè siècle, toutes [les sculptures] – qu’elles soient monumentales ou indépendantes – sont peintes, totalement ou partiellement » 36. La lecture de cet ouvrage a permis d’ouvrir notre réflexion sur la manière dont nous voyons et interprétons les cathédrales, sur ce qu’il reste ou non de la polychromie des édifices, sur la médiation ou l’absence de médiation autour des couleurs et des symboles au sein des cathédrales. En mettant en perspective le contenu et les réflexions apportés par cet ouvrage de Michel Pastoureau et les visites des cathédrales bretonnes, l’hypothèse d’un manque de médiation autour de ces lieux nous a paru d’autant plus criante.

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