La circulation océanique globale au mélange turbulent

La circulation océanique globale au mélange turbulent

La circulation océanique globale joue un rôle primordial dans le climat de notre planète. Elle transporte de vastes quantités de chaleur de l’équateur aux pôles et contribue également au transport de sel, de carbone, d’espèces biologiques et de matières dissoutes. La compréhension des échanges d’énergies complexes à l’intérieur de ce système océanique et avec l’atmosphère est fondamentale pour mieux comprendre l’évolution du climat. La principale source d’énergie de ce système thermodynamique océan-atmosphère est le rayonnement solaire. Il fournit une quantité d’énergie à la surface de la terre d’en moyenne 344 W/m² (Gill, 1982), dont une bonne partie est redistribuée dans l’océan et dans l’atmosphère. Le rayonnement solaire est donc la principale source chaude de l’océan. Cependant celui-ci ne pénètre que sur une épaisseur superficielle. L’océan abyssal est pourtant souvent caractérisé par une stratification en température et en salinité. Quels sont alors les processus responsables de cette stratification océanique profonde ?

Circulation méridienne de renversement (MOC)

Un des moteurs de la circulation océanique globale est la convection profonde des eaux denses aux hautes latitudes. En effet, aux hautes latitudes, les transferts de chaleur de l’océan vers l’atmosphère engendrent des eaux très froides, devenant suffisamment denses pour être instables sur la verticale. Ces eaux plongent alors vers le fond de l’océan. La circulation résultante de cette convection profonde est nommée circulation méridienne de renversement (MOC, pour Meridional Overturning Circulation en anglais). Elle est caractérisée par un système de courants de surface induis par le vent et de courants profonds incluant différent bassins océaniques. Elle connecte ainsi l’océan de surface et de ce fait l’atmosphère aux larges réservoirs des eaux profondes, ce qui rend sa compréhension d’autant plus nécessaire pour l’étude du climat. Elle est associée à des temps de résidence de l’ordre du millier d’années et à des transferts énergétiques entre les basses et les hautes latitudes d’environ 2000 TW. En l’absence d’autres processus physiques, la production locale d’eaux denses aux hautes latitudes devrait remplir petit à petit l’océan abyssal en formant une couche profonde dense, homogène et quasi immobile, surmontée par une couche d’eau plus légère, chauffée en surface (Figure 1.1-a). Pourtant, aux basses latitudes, une remontée des eaux profondes a lieu, bouclant la circulation méridienne de renversement. D’autres processus doivent donc transformer cette couche de fluide dense en eaux plus légères des couches sus-jacentes, maintenant ainsi la stratification abyssale des océans. Les mécanismes à l’origine de ce processus et du maintien de la MOC ont été et sont toujours le sujet de nombreux débats scientifiques (Vallis, 2015). la circulation océanique globale au mélange turbulent  La MOC est en fait reliée à une multitude de processus turbulents de petite échelle impliquant des transferts énergétiques bien plus petits que l’énergie transportée par cette circulation. Le mélange turbulent (Tableau 1), induit par ces mécanismes, fournit l’énergie mécanique nécessaire pour maintenir la stratification abyssale des océans (Figure 1.1-b). Figure 1.1 : a- Coupe schématisée de la MOC, dans un cas sans mélange. L’absence de mélange diapycnal ne permet pas la remontée des eaux profondes à l’équateur, engendrant un océan abyssal très peu stratifié, surmonté d’une fine couche d’eau plus légère en surface, réchauffée par le rayonnement solaire. b- Coupe schématisée de la MOC, en considérant un mélange efficace au sein du fluide. Les transferts thermiques vers l’océan profond sont assez efficaces pour stratifier l’océan profond, et permettent une circulation générale. (Tiré des cours de S. Coquillat et F. Auclair.) 

Le mélange turbulent dans l’océan

L’océan, de par son caractère turbulent (Thorpe, 2007), est soumis à une dynamique variant sur de très larges gammes spatiales et temporelles (Figure 1.2). L’un des aspects fascinant de la physique de l’océan est la capacité de ces différents processus à interagir entre eux et ce par l’intermédiaire de cascades énergétiques directes et inverses (Tableau 1). Ainsi, des processus de petites échelles ont une influence sur les caractéristiques des processus de très larges échelles. Par exemple, c’est par ce Vent Vent 1. De la circulation océanique globale au mélange turbulent 5 mécanisme de cascade que l’énergie des cyclones et des grands tourbillons océaniques est finalement dissipée par la viscosité moléculaire. Cette cascade énergétique fait donc le lien entre les écoulements des fluides géophysiques à l’échelle synoptique (de l’ordre du millier voir de plusieurs milliers de kilomètres) et les fines structures de la dissipation moléculaire (de l’ordre cette fois du millimètre voir de quelques millimètres). Figure 1.2 : Echelles temporelles et spatiales des processus turbulents dans l’océan. (D’après Chelton1 ) Le mélange turbulent comprend deux mécanismes distincts (Eckart, 1948). Le premier prend en compte les effets d’étirements qui tendent à redistribuer les propriétés du fluide en particulier sur l’horizontal sous forme de filaments. On a donc une dispersion des particules par des effets d’étirements (brassage, ou « stirring » en anglais) qui augmente localement l’intensité des gradients. Le deuxième mécanisme est associé à la diffusion moléculaire qui entraîne un transfert des propriétés du fluide que ce soit sur l’horizontale ou la verticale. Cette diffusion tend à homogénéiser les propriétés du fluide (homogénéisation, ou « mixing » en anglais). Le mélange est ainsi caractérisé par un effet combiné de la dispersion du fluide sous des effets d’étirements (ou d’advection) et de son homogénéisation due à la diffusion moléculaire. Ce processus de mélange turbulent est irréversible d’un point de vue thermodynamique. Le terme de mélange turbulent désignera, ici, à la fois les effets d’étirements et la destruction par diffusion moléculaire des gradients de masse volumique générés par la turbulence. Ce mélange, dans l’océan, a lieu à des échelles de l’ordre du millimètre au mètre (Figure 1.2). Le mélange diapycnal correspond au mélange turbulent perpendiculaire aux surfaces isopycnales. Les effets de la viscosité cinématique seront désignés par un autre terme de dissipation d’énergie cinétique. 

Une approche unidimensionnelle de l’équilibre advection-diffusion : une distribution spatialement uniforme du mélange vertical

Pour expliquer la remontée équatoriale des eaux profondes, Munk (1966) propose une approche unidimensionnelle, sur tout l’océan abyssal, reposant sur une équation d’équilibre entre les effets advectifs (« upwelling » des eaux équatoriales) et diffusifs (mélange turbulent). L’approche de Munk repose sur l’hypothèse d’un upwelling constant, spatialement uniforme sur l’océan profond. A partir de profils de masse volumique et de mesures de radiocarbone dans l’océan Pacifique central, il a pu calculer les premières estimations cohérentes de la vitesse verticale moyenne (w ≈ 0,7.10-7m/s), correspondant au taux effectif de formation d’eaux profondes (environ 25 Sv). Dans les modèles océaniques, les processus de mélange turbulent sont paramétrés par un coefficient Kz , associé à la diffusion turbulente verticale. Ce coefficient, dans une approche unidimensionnelle, représente la dispersion des particules due à l’advection verticale turbulente w’ (effet d’étirement), et à la diffusion moléculaire qui s’en suit (effet d’homogénéisation). L’upwelling constant des eaux équatoriales serait ainsi contrôlé par un mélange turbulent correspondant en moyenne sur tout le globe à une diffusivité verticale homogène de l’ordre de Kz . Cette valeur est nettement supérieure aux coefficients de diffusion moléculaire de la température et de la salinité ( , ). Ainsi, cette approche a permis de mettre en évidence le rôle joué par le mélange turbulent dans le maintien de la MOC.

Les premières mesures du mélange turbulent : un mélange océanique vertical très hétérogène

Les premières mesures océanographiques aux échelles du mélange turbulent ont permis de calculer un coefficient de diffusion turbulente pélagique (Osborn and Cox, 1972), soit un ordre de grandeur inférieur à la valeur moyenne estimée par Munk (1.2.1) pour maintenir la MOC. Des mesures plus récentes confirmant ce résultat (Ledwell et al., 1993) ont conduit à une remise en question de l’idée d’une diffusion turbulente homogène. A la suite de ces travaux, des mesures de diffusion turbulente réalisées par Polzin et al. (1997) ont permis de localiser des zones de mélange local intense, au-dessus des topographies abruptes du bassin du Brésil, dans l’Atlantique Sud, avec des coefficients de diffusion turbulente excédant (Figure 1.3). Les coefficients au-dessus des plaines abyssales plus lisses restent relativement proches du coefficient pélagique . Le mélange turbulent mesuré dans l’océan est ainsi distribué de façon très hétérogène. Les zones de topographies abruptes favorisent donc un mélange local intense. Les événements de turbulence, induits par le relief océanique, seraient ainsi susceptibles de fournir une partie de l’énergie nécessaire pour maintenir la stratification de l’océan à l’échelle globale. La topographie apparait alors comme un facteur clé du mélange océanique.

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