La domestication du salafisme radical violent. Désengagement, déradicalisation et reconversion

La domestication du salafisme radical violent. Désengagement, déradicalisation et reconversion

Le succès de la répression militaire contre le maquis djihadiste, à défaut d’avoir été total, a forcé la majorité des groupes armés à renoncer au djihad salafiste. Le mouvement de reddition collectif enclenché à partir de 1997, scellera le début d’un retour à la vie normale dans des zones jadis qualifiées de « no man’s land » par la presse algérienne. Dès lors, tout l’enjeu résidait dans la réintégration des anciens djihadistes dans le tissu social. Il s’agit alors de désengagement effectif débouchant sur un abandon total de toutes activités subversives pour le compte du djihad armé. Cela suppose aussi une déradicalisation qui permettrait de faire évoluer les points de vue des individus radicalisés vers une perception plus apaisée à l’égard des codes traditionnels de la société. Plus encore, cette sortie de la violence nécessiterait une remise en cause et un bouleversement de l’architecture idéologique chez les djihadistes. En effet, sans un processus de « désendoctrinement idéologique», il serait sans doute bien difficile pour un djihadiste d’envisager l’abandon de l’action armée. Si bien que rien n’empêcherait un ancien djihadiste censé s’être « repenti » de l’action armée, de renouer avec le djihad si une conjoncture propice l’y encourageait de nouveau ; une forme de renonciation pragmatique et temporaire telle que décrite par R. BARRETT et L. ISOKHARI . Le désengagement d’un groupe armé n’est assurément pas synonyme de déradicalisation s’il n’est pas motivé par une réelle remise en question de l’individu radicalisé sur le bien fondé et/ou la légitimité de sa perception du djihad. Les liens sociaux sont un autre point saillant dans le processus de déradicalisation. L’individu radicalisé doit en effet s’insérer de nouveau dans un collectif qui l’aidera à reconstruire une nouvelle « identité de substitution » 1632. La question de la reconversion socioprofessionnelle des anciens djihadistes se pose ici avec acuité. Que l’on soit en présence d’une « auto réinsertion » ou d’une réinsertion par le haut (aide institutionnelle), l’étude des modalités d’une réintégration sociale chez les « repentis » peut apporter des éléments fort utiles à la compréhension du processus de déradicalisation chez certains djihadistes désengagés de l’action armée. Comme c’est globalement le cas dans la plupart des pays arabo-musulmans, il existe actuellement en Algérie, trois pôles distincts s’érigeant comme représentants authentiques et exclusifs du salafisme. Il y a bien sûr les salafistes pieux, qui, en théorie, ne s’occupent que du travail de prédication et d’éducation religieuse de la société. Ensuite, il y a les salafistes activistes, qui, en plus de la prédication, pratiquent ce qu’on appelle le salafisme politique. Enfin, il y a les salafistes djihadistes, qui préconisent l’action violente dans le but d’instaurer l’État islamique ou plus précisément la khilafa (le califat). Même si ce présent travail s’intéresse essentiellement à l’aspect violent de la radicalisation salafiste, il ne peut faire l’impasse sur un état des lieux nécessaire concernant les différents visages des salafismes dominants en Algérie. La raison est que le contexte politique actuel invite à réfléchir sur l’éventualité de la réémergence du salafisme radical et radical violent sur la scène politique et sécuritaire algérienne. En effet, même si le régime politique algérien semble pour l’instant avoir échappé au vent des révoltes arabes, l’impasse politique dans laquelle il se trouve actuellement lui impose de composer avec des forces politiques et sociales qu’il a jadis marginalisées, notamment le salafisme pieux et le salafisme haraki. Sur le plan sécuritaire, l’avènement de l’État islamique et ses tentatives d’enracinement dans le paysage djihadiste algérien, profitant de l’affaiblissement notable d’Al Qaida pour le Maghreb, soulève un certain nombre de défis pour les autorités algériennes.

Désengagement, déradicalisation et modalités de reconversion chez les anciens djihadistes salafistes

Si les termes de « désengagement » et de « déradicalisation » ne peuvent être utilisés de manière indifférenciée1633, souvent, l’un succède à l’autre, voire, le complète de manière réversible. Si bien qu’un processus de déradicalisation peut déboucher sur un « désengagement comportemental » behavioural disengagement, ou, à l’inverse, ce dernier peut évoluer vers un « désengagement psychologique » psychological disengagement (déradicalisation)1634. Comme ce fut le cas pour la majorité de nos anciens djihadistes interviewés, le désengagement compris comme un acte consistant à quitter l’organisation armée et stopper l’action violente, est lié aussi bien à des facteurs répulsifs push factors qu’à des facteurs attractifs pull factors1635 . D’une part, on constate que certains facteurs répulsifs ont amené des recrues djihadistes à rejeter l’action armée en remettant en cause l’utilité ou la légitimité du combat djihadiste. Les traumatismes dus à la répression, la ligne de conduite déviante adoptée par l’organisation ou la misère vécue au maquis, en sont d’illustres exemples. D’autre part, des facteurs attractifs ont incité de nombreuses recrues djihadistes à franchir le pas et quitter l’action armée, telles que les offres institutionnelles en matière d’amnistie, de réhabilitation et de réinsertion, mais aussi, les soutiens des réseaux d’amitiés ou l’emprise d’un leadership organisationnel favorable à un abandon de la violence armée1636 . Si la déradicalisation est susceptible d’intervenir en amont comme en aval d’une démobilisation (au sens physique) de l’action armée, elle ne constitue pas pour autant une constante dans le processus de désengagement. D’une part, le désengagement peut se manifester par un simple abandon pragmatique du djihad qui relève d’un calcul rationnel (coût/avantage). D’autre part, il peut aussi être précédé par un processus de désendoctrinement qui va agir sur le cadre cognitif de l’individu en modifiant ses croyances et ses représentations sur le jihad. Néanmoins, ce que nous avons le plus souvent observé chez nos interviewés, c’est une déradicalisation qui se situe en aval du désengagement physique (comportemental). D’où notre démarche qui consiste à nous interroger sur l’après désengagement, seul à même de nous éclairer sur les modalités de réinsertion sociale chez les anciens djihadistes salafistes, dont certaines peuvent nous apporter des éléments de réponse concernant les mécanismes de déradicalisation.

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