La protection des minoritaires fondée sur l’autonomie de la filiale

La protection des minoritaires fondée sur l’autonomie de la filiale

Le risque qu’encourent les créanciers des sociétés filiales trouve également sa source dans l’organisation structurelle du groupe, qui transcende souvent la personnalité morale de chacune des sociétés membres. Comme nous l’avons constaté dans le chapitre préliminaire, cette organisation est diverse : le groupe pouvant revêtir une structure pyramidale, radiale, circulaire, ou complexe. Le groupe pyramidal (dit aussi en cascade) se compose d’une société mère qui contrôle des filiales contrôlant à leur tour des sous filiales et ainsi de suite. Dans cette forme, on constate l’existence d’un groupe principal constitué d’une société mère – tête du groupe – et des sociétés filiales directes, et d’un ou de plusieurs sous-groupes composés des filiales et des sous-filiales. La société mère exerce en l’occurrence deux types de contrôle : un contrôle direct sur les filiales et un indirect sur les sous-filiales. Le groupe radial est une structure où la société mère contrôle directement l’ensemble des filiales, sans qu’il existe entre ces dernières de lien en capital. Le contrôle qu’elle exerce sur ses filiales est direct, et non indirect ou par personne interposée. Le groupe circulaire est une forme dans laquelle une première société contrôle une deuxième qui en contrôle à son tour une troisième et ainsi de suite, la dernière de la chaîne contrôlant à son tour la première. Il existe enfin le groupe à structure complexe qui peut revêtir à la fois les différentes formes décrites ci-dessus. 165. Ces organisations structurales du groupe débouchent en effet sur une antinomie criante entre la réalité et le droit. Il s’agit de l’autonomie juridique dont dispose chacune des filiales à l’égard des autres sociétés du groupe373 et l’interdépendance économique qui lie l’ensemble de ces sociétés autour d’une seule et même société mère. Cette contradiction n’est pas sans avantage à la fois pour la société mère et ses filiales et pour les associés minoritaires de ces dernières, la société mère y trouvant une grande latitude pour répartir les tâches opérationnelles entre ses filiales et aménager les capitaux et les pouvoirs au sein de son groupe. De leur côté, les associés minoritaires des sociétés filiales sont classés sous le même régime de protection applicable à ceux des sociétés isolées. L’appartenance de leur société à un groupe ne met pas en péril leurs droits à l’égard de cette dernière. Les sociétés filiales en tirent elles-mêmes avantage : cette situation paradoxale n’est pas de nature à les priver de personnalité morale. Leurs organes sociaux, dont la société mère, restent soumis dans l’exercice de leurs pouvoirs aux mêmes dispositions régissant ceux des sociétés non-affiliées d’un groupe. Dès lors, à partir de ces aspects juridiques, nous essayerons dans ce chapitre de rassembler les différentes règles assurant l’indépendance de la société filiale vis-à-vis de sa mère. Il s’agit des dispositions relatives aux droits des associés minoritaires (1ère section), et de celles afférentes à l’organisation légale des pouvoirs au sein de la filiale (2ème section). 

Section I : L’obligation de respecter les droits des minoritaires 

 Les droits des associés minoritaires à l’égard de la filiale sont divisés selon leur nature en deux catégories : droits extra-pécuniaires (1ère sous-section) et droits pécuniaires (2ème sous-section). Nous les mettrons en évidence, tout en étudiant, au fur et à mesure, les sanctions encourues par la société mère dans le cas de leur non observation. 

Sous-section I : Les droits extra-pécuniaires 

L’associé est considéré par certains auteurs « comme  »citoyen » de cette  »cité » qu’est la société ». Il dispose des droits essentiels, acquis dès sa signature du contrat social ou sa souscription aux titres émis par la société. Ces droits sont en principe conservés jusqu’à la dissolution de celle-ci. Ainsi dans une filiale, outre le droit d’en faire partie et le droit à l’information face à sa direction, l’associé minoritaire ne peut voir ses engagements augmentés contre son gré, ni être privé de son droit de vote. Ces quatre prérogatives doivent être analysées. 

Le droit de faire partie de la filiale 

La conception contractuelle de la société permet d’expliquer que l’associé ait le droit de se prévaloir du contrat conclu avec la société. La souscription aux titres émis par la société constitue un contrat synallagmatique qui oblige l’associé à libérer ses actions ou parts et la société à délivrer les titres lui conférant le droit d’en faire partie. En revanche, le caractère institutionnel de la société a permis au fil du temps de considérer le droit de rester associé comme un principe général auquel le législateur peut déroger par des textes admettant l’exclusion d’associé à titre de sanction . De même, la collectivité des associés est en mesure d’insérer dans les statuts des clauses dérogatoires qui autorisent la société à éliminer un associé. La doctrine et la jurisprudence françaises acceptent également l’exclusion d’un associé à l’origine d’une mésentente grave qui menace la société de dissolution. A partir de cela, il convient d’aborder en préalable le principe général et de clarifier ensuite les exceptions.

Affirmation du principe général 

 La qualité d’associé procède toujours de deux façons : ou bien des statuts dont l’associé fait partie par sa signature, ou bien de l’acquisition par l’associé d’une fraction de titres émis par la société. Une fois cette qualité acquise, l’associé dispose de son droit de demeurer dans la société aussi longtemps qu’il le voudra. Il ne peut en principe être privé de cette qualité qu’au vu d’un texte ou d’une clause statutaire au sens de l’article 227-16 du Code de commerce français (art. 7 C. com. lib.). « Le juge n’a pas, de lui-même, à prononcer l’exclusion d’un associé, de même que les associés ne peuvent prononcer l’exclusion de l’un d’entre eux376 ». Ce droit, bien que n’étant pas prévu par un texte législatif, est considéré par la doctrine et la jurisprudence comme un dogme prépondérant. Ripert et Roblot ont écrit depuis longtemps que « l’actionnaire est membre de la société, il ne peut pas être privé de cette qualité, parce qu’il y aurait là une véritable expropriation. C’est seulement avec son consentement que son droit peut disparaître377». La Cour suprême libyenne eut également l’occasion de se prononcer sur cette question378, s’agissant d’une SNC constituée entre deux personnes, dont l’une procéda à la révocation de l’autre. La Cour considéra l’exclusion comme illicite en raison du caractère contractuel de la société, déclarant qu’un associé ne peut révoquer un autre associé d’une manière unilatérale. Elle déclara en ce sens que «quand bien même la société créée par deux personnes n’est pas dissoute dès la réunion de ses parts en une seule main, persistant aux termes des articles 522 du Code civil et 461 du Code de commerce six mois afin de récupérer le nombre légal des associés, il n’en résulte pas moins qu’un associé ne saurait, de lui-même, résilier le contrat social en révoquant son coassocié contrairement à la loi des contractants». De même, la Cour de cassation française a eu l’occasion d’énoncer ce principe en 1996. Selon elle, c’est un droit fondamental pour l’associé de demeurer dans la société, quoi qu’il arrive.

Les exceptions 

. Les règles relatives à l’atteinte au droit des associés minoritaires s’appliquent à tout associé sans tenir compte de la société dont il fait partie. Dans une filiale, l’exclusion d’associé peut s’opérer d’une manière directe ou indirecte. C’est-à-dire, par le biais d’une clause statutaire ou d’un texte législatif permettant à l’assemblée générale ou au juge de révoquer l’associé (1), ou encore suite à une réduction du capital ou à un changement de titres du capital en actions de priorité (2). 1- L’atteinte directe au droit d’associé de faire partie de la filiale 171. L’atteinte directe au droit de l’associé consistant en l’exclusion de ce dernier trouve sa légitimité dans les statuts de la société380. Elle est prévue à la fois en droits français et libyen. Dans le premier, la possibilité d’exclure l’associé est énoncée dans plusieurs textes. Ainsi, selon l’article 227-16 du Code de commerce relatif à la SAS « dans les conditions qu’ils déterminent, les statuts peuvent prévoir qu’un associé peut être tenu de céder ses actions ». L’article suivant prévoit une disposition relative à la modification du contrôle d’une société associée. Il dispose que « les statuts peuvent prévoir que la société associée dont le contrôle est modifié au sens de l’article L.233-3 doit, dès cette modification, en informer la société par actions simplifiées. Celle-ci peut décider dans les

conditions fixées par les statuts, de suspendre l’exercice des droits non pécuniaires de cet associé et de l’exclure ». De même, les sociétés à capital variable ont aussi la possibilité d’introduire une telle clause. Selon l’article L. 231-6 du Code de commerce : « il peut être stipulé que l’assemblée générale a le droit de décider, à la majorité fixée pour la modification des statuts, que l’un ou plusieurs des associés cessent de faire partie de la société ». De même, l’article L. 221-16 autorise les associés en nom collectif à introduire une clause d’exclusion afin d’éviter la dissolution de la société en cas de liquidation judiciaire, d’interdiction ou d’incapacité d’un associé381 . 172. Partout ailleurs, les textes sont muets, et la question repose ainsi sur la possibilité d’étendre la procédure d’exclusion aux autres sociétés. La jurisprudence tend à admettre la validité des clauses statutaires d’exclusion pour la plupart des sociétés. Un arrêt de la Cour d’appel de Rennes, rendu en janvier 2011, vient d’approuver implicitement une clause de non concurrence insérée dans les statuts d’une SARL, laquelle permet à l’assemblée générale l’exclusion d’un associé en cas de violation. Dans cette affaire, la Cour d’appel n’a pas discuté la validité de cette clause, mais est allée plus loin en se penchant sur l’établissement de cette violation382. De même, la Cour de cassation, dans un arrêt rendu en mars 2005, à propos d’une SNC, a reconnu expressément la validité de la clause d’exclusion insérée aux statuts de celle-ci383 . Plus récemment, la même Cour384 a statué sur une clause d’exclusion insérée aux statuts d’une SC (dite Finamag), prévoyant que « dans le cas où l’un des associés ne remplirait plus les conditions requises pour le demeurer, notamment en raison de son licenciement lorsqu’il est salarié du groupe, il pourrait être exclu en tout ou partie à l’entière discrétion du gérant ». Il s’agit dans cette affaire d’un salarié du groupe, par ailleurs associé d’une SC, ayant été licencié pour faute grave. La gérante de cette dernière l’a informé alors de sa volonté de mettre en œuvre une procédure d’exclusion partielle par voie de réduction de sa participation. Le rachat devait intervenir peu de temps après.

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