LA THEORIE DE L’ETAT DE NATURE CHEZ JOHN LOCKE

LA THEORIE DE L’ETAT DE NATURE CHEZ JOHN LOCKE

Etant préoccupé par la liberté de l’homme, John Locke fait un diagnostic du pouvoir politique afin de lui tracer les contours au-delà desquels il n’est plus légitime. C’est du moins ce qui se laisse voir à travers son Second traité du gouvernement civil qu’il a rédigé alors qu’il était encore en exil avec son ami Lord Ashley , un homme politique représentatif du parti whigs, qui lui aussi subissait les contrecoups d’un climat politique dominé par l’exercice monarchique du pouvoir en Angleterre. De ce fait, il est question dans ce Second traité d’une tentative d’intelligibilité du pouvoir politique. Les questions auxquelles Locke tente de répondre peuvent être réduites à trois principales : quelle est l’origine du pouvoir politique ? Quelles sont ses extensions ? Quelle est sa fin ? Cependant, un préalable semble s’imposer avant toute étude du pouvoir politique. C’est du moins ce que nous constatons dans la théorie politique de Locke. Car, dès le chapitre II de son Second traité il montre que « pour bien entendre en quoi consiste le pouvoir politique, et connaitre sa véritable origine, il faut considérer dans quel état tous les hommes sont naturellement » . En d’autres termes, il convient d’étudier d’abord les conditions d’existences naturelles de l’homme afin de comprendre ce que doit être un pouvoir politique juste. Par conséquent, une meilleure compréhension des fondements de la critique de l’absolutisme politique chez Locke, dépend d’une bonne compréhension de la condition naturelle de l’homme chez cet auteur. Dans la pensée politique, cette condition naturelle de l’homme s’appelle communément « état de nature ». De manière générale, l’état de nature est un état dans lequel les hommes auraient vécu avant l’existence des sociétés. Mais signalons avant de passer que l’usage de ce terme montre peu l’originalité de la pensée de Locke. Il est presque devenu un lieu commun de la pensée politique. C’est dire que c’est un terme dont d’autres se sont servi avant et après Locke, et souvent de manière différente. Par exemple selon Rousseau, on utilise l’état de nature dans une perspective hypothétique permettant de mieux élaborer sa pensée. De son point de vue, c’est un état qui n’a peut être pas existé et peut être n’existera jamais. Tandis que pour Locke, c’est une période historique primitive. en édifie en disant que l’état de nature chez Locke n’est pas une fiction ni une hypothèse de travail ; c’est un fait réel qui constitue une nécessité pour l’existence des sociétés civiles. Aussi la théorie de l’état de nature chez Locke diffère-elle de celle des autres philosophes par la nature intrinsèque même de cet état, par exemple Thomas Hobbes. Ce philosophe anglais, qui représente pour certains le véritable père de la philosophie politique moderne. En effet pour Hobbes, l’état de nature est un état d’insécurité, de « guerre de tous contre tous ». Chacun étant soucieux de préserver sa propre conservation, use de tous les moyens dont il dispose à l’encontre des autres. C’est un état où « l’homme est un loup pour l’homme ». Hobbes fait ici preuve de ce que l’on pourrait appeler un pessimisme anthropologique. Car pour lui, l’homme est naturellement méchant et égoïste. L’extravagante liberté qu’il a à l’état de nature, de faire tout ce que bon lui semble, fait qu’il n’y a point de liberté.

LIBERTE ET EGALITE A L’ETAT DE NATURE

Il est possible de comprendre la détermination de Locke à vouloir trouver à l’homme un environnement propice à l’épanouissement des grands privilèges que Dieu lui a donnés. En d’autres termes il est possible de comprendre la préoccupation de Locke qui consiste à fustiger un à un les fondements de l’absolutisme politique. Ce système politique qui consiste à ôter à l’homme toute sa liberté et tout son pouvoir qu’on confit à une seule personne à qui revient, de manière exclusive, le droit de décider de ses actions. En fait John Locke faisant partie des détracteurs les plus illustres de ce système politique, se fonde sur un principe plutôt naturel que civil pour se justifier. Selon lui, tous les hommes sont nés libres et égaux. La liberté et l’égalité sont, de ce point de vue, naturelles en l’homme. Elles sont inscrites en lui par Dieu. Elles sont donc d’origine divine plutôt qu’un privilège acquis à la suite d’une action de l’homme. Le détail de cette idée est exposé par le philosophe dans son second traité du gouvernement civil. En décrivant l’état de nature au chapitre II de ce livre, Locke nous montre qu’au sein de cet état l’homme jouit d’une parfaite liberté. Il n’est soumis à aucune autorité. Il peut jouir de sa personne et de ses biens sans demander permission à personne ni dépendre de la volonté d’un autre. Cette liberté est en la personne de manière naturelle. C’est ce qui donne la notion de liberté naturelle que Locke définit comme suit : « la liberté naturelle de l’homme, consiste à ne reconnaitre aucun pouvoir souverain sur la terre et de n’être point assujetti à la volonté ou à l’autorité législative de qui que ce soit ; mais de suivre seulement les lois de la nature»5 . Eu égard à cela, la liberté naturelle peut être assimilée à l’absence totale de soumission à un pouvoir absolu et arbitraire. Cette liberté, selon Locke, est d’autant plus importante qu’elle constitue une grande nécessité pour l’homme en cela qu’elle est étroitement liée à sa conservation. On ne peut pas la séparer de l’homme sans lui ôter sa conservation et sa vie. Ainsi Locke fait montre d’un lien intrinsèque entre la liberté et l’essence de l’homme. C’est ce qui sans nul doute permet à notre auteur de dire que la liberté de l’homme est inaliénable, ni par un autre ni par le concerné lui même. En effet, aliéner tel que Rousseau l’a défini, dans son œuvre intitulée Du contrat social, signifie donner ou vendre. Et on ne peut donner que ce que l’on possède. Autrement dit ce sur quoi on a tous les droits requis. Or l’homme n’a droit ni sur sa vie, ni sur la vie d’autrui. Donc il ne peut pas donner ni vendre la liberté qui est inhérente à la vie. Dans ce sens notre auteur soutient dans le Second traité qu’ « un homme n’ayant point de pouvoir sur sa propre vie, ne peut, par aucun traité, ni par son propre consentement, se rendre esclave de qui que ce soit » 6 . Rousseau en lui emboitant le pas soutient que « renoncer à sa liberté, c’est renoncer à sa qualité d’homme, aux droits de l’humanité, même à ses devoirs »7 . De ce point de vue, il n’est permis à personne d’avoir un autre sous sa domination à l’état de nature. Car dans cet état, la liberté de l’homme a une dimension vitale en cela que la vie et la conservation de l’homme en dépendent. Ce qui fait que vouloir mettre quelqu’un sous sa domination revient dans une certaine mesure à en vouloir à sa conservation donc à sa vie. C ‘est pourquoi selon Locke, celui qui décide de prendre quelqu’un sous sa domination se met avec lui dans l’état de guerre. En conséquence, il est permis à tout un chacun de contraindre, voire de prendre pour ennemi celui qui manifeste la réelle volonté de le soumettre par la force à son pouvoir absolu. De ce point de vue, il n’est guère étonnant de voir Locke s’insurger contre l’état d’esclavage. Ce qu’il peut admettre en revanche, c’est qu’à la suite d’une faute commise, l’auteur méritant la mort, l’offensé peut lui en différer et le prendre à son service. Ce fait n’est pas une manière de déroger aux principes qui régissent l’état de nature parce que ce qui lie l’offensé à l’offenseur n’est par un rapport de force mais plutôt un fait de justice. Partant delà, nous pouvons dire qu’à cet état de nature personne n’a droit sur la liberté d’un autre. Chacun jouit, au même titre que les autres, de ce privilège que la nature leur a donné. Ce qui par ricochet nous permet de comprendre l’égalité dont parle Locke dans cet état. Selon lui l’état de nature est aussi un état d’égalité. Du point de vue naturel, il n’y a pas de distinction entre les hommes. Ils sont de la même espèce et sont l’œuvre d’un seul et même créateur. De ce point de vue personne ne possédant pas plus qu’un autre, tous jouissent de la même manière de la liberté que Dieu leur a donné et de tous les autres avantages qui sont dans cet état de nature. Ici personne n’a de droit plus qu’un autre, alors toute sujétion est purement et simplement un acte contre nature. « Tout conte fait, la différence entre deux hommes n’est cependant pas si considérable que l’un puisse prétendre de ce fait à un bénéfice auquel l’autre ne pourrai prétendre aussi bien que lui. »

LA LOI NATURELLE

L’état de nature tel que décrit par certains théoriciens du contrat social, à l’image de Hobbes, se présente comme une sphère anarchique, désordonnée, bouillonnant de confit. Un état où le comportement de l’homme se définit par l’assouvissement arbitraire de ses intérêts. C’est dire que, c’est un état qui n’est pas habilité à se doter d’une bonne organisation car à première vue, il n’y a rien ou personne dans cet état qui se chargerait de son organisation. Cette conception de l’état de nature est d’autant plus justifiée que certains définissent cet état comme la situation de l’homme en l’absence de lois et ce, pour dire que c’est un état dépourvu d’institutions juridiques. D’après cette conception, il n’y a de loi que là où il y a un ensemble de règle institué par les membres d’un groupe social et une autorité souveraine chargée de leur exécution. En fait, on ne peut pas dire que cette conception est sans fondement car, si on se réfère à l’origine latine du mot loi, on se rend compte qu’il vient du mot « lex » qui veut dire une motion faite par un magistrat devant le peuple. Ainsi, selon Jacqueline RUSS dans son dictionnaire de philosophie, la loi signifie au sens premier une règle impérative émanant d’une autorité souveraine. Certes, il y a une absence avérée de magistrat institué à l’état de nature, mais il ne faut pas pour autant tomber dans ce qu’on pourrait appeler le pessimisme hobbesien qui consiste à croire que, faute d’autorité souveraine, l’état de nature est inéluctablement un état de désordre et de violence. En tout état de cause, il est clair que John Locke n’est pas du même avis que Hobbes dans ce sens. Déjà du point de vue de Hobbes l’état de nature n’est pas un état social au sens structurel du terme. Ce que Locke ne partage pas du tout. Notre auteur voit en cet état de nature un état réellement social au sein duquel les rapports entre les hommes sont régis par une organisation bien définie. Autrement dit la conduite de l’homme dans cet état n’est pas laissée à la merci de ses passions, mais celles-ci sont plutôt circonscrites par des règles, donc par une loi qui consiste à ne jamais causer du tort aux autres et se comporter à leur égard comme la raison le veut. Dans ce cas il est possible de dire avec Locke que les rapports entres les hommes n’ont jamais été exempts de loi. Ainsi Locke s’adjoint la tradition antique où, à la suite d’Aristote, les stoïciens considéraient que la sociabilité était un phénomène naturel à l’homme. Autrement dit, l’homme est naturellement destiné à vivre en société. Ses rapports avec ses semblables lui sont indispensables. C’est une condition non seulement impérative pour le 23 déploiement de son humanité mais aussi pour sa conservation. Ainsi pour que cela soit effectif, il est fondamental que leurs rapports soient régis par une loi. Toutefois, il est important de préciser avant de passer que cette loi à l’état de nature n’est pas l’émanation d’une concertation entre les hommes, mais elle est relative à la nature de l’homme. De ce point de vue, ce qu’il y a lieu de dire ici, c’est qu’il n’y a pas de loi au sens juridique du mot, mais on ne peut pas affirmer, du moins du point de vue de Locke, qu’à l’état de nature la conduite de l’homme n’est pas conformée à une loi. Il n’y a point de doute qu’à l’état de nature l’homme a une liberté incontestable, mais cette liberté n’est pas sans limites, faute de quoi cet état serait un état de licence. Selon Locke, l’état de nature a une loi qu’il appelle « la loi naturelle ». En revanche, il est important de préciser le sens que Locke donne à l’expression loi naturelle dans la mesure où celle ci a au moins deux acceptions qui se distinguent l’une de l’autre. D’abord au sens large, elle peut signifier la loi de la nature et renvoie à la régularité qu’il y a dans les rapports entre les phénomènes de la nature en tant que milieu physique. Cette acception est intrinsèquement liée au principe de causalité, à l’universalité et parfois, par exemple chez Kant, à la notion d’a priori. Ensuite cette expression a aussi un sens politique que les philosophes modernes lui ont donné. Par rapport à ce sens, les points de vue varient d’un auteur à un autre. Cependant quel que soit l’angle sous lequel on l’appréhende (dans le contexte politique), la loi naturelle reste un ensemble de contrainte qui est commandé par la raison pour assurer à l’homme sa bonne conservation. C’est effectivement dans ce sens que Locke a abondé pour faire montre de sa conception de la loi naturelle. 

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